Thibaut Pinot a offert à son équipe l’une des plus belles émotions de son histoire. En s’imposant en solitaire dans le Tour de Lombardie, il rejoint Frédéric Guesdon vainqueur de Paris-Roubaix en 1997 et Arnaud Démare, lauréat de Milan-San Remo en 2016, deux champions ayant inscrit un monument à leur palmarès. Un avènement pour le leader de l’équipe Groupama-FDJ qui ne laisse personne insensible.

Un amoureux de son sport !

L’image de ce Tour de Lombardie restera sans aucun doute la main gauche tendue par Thibaut à 500 mètres de la ligne d’arrivée afin de taper dans celle de ses deux équipiers William Bonnet et Jérémy Roy fous de joie, si fiers depuis des années de combattre au service d’un homme tel que lui. Thibaut est un fou de cyclisme, un fou de travail, un compétiteur dans l’âme, un homme sensible. Un homme bien.

Il est aussi un champion bien trop souvent réduit à des descentes ratées quand il débutait sa carrière quand il aurait été judicieux de se souvenir surtout de ses ascensions endiablées.

Thibaut Pinot ne parle jamais à tort et à travers, il préfère sans doute le calme de la nature qu’il affectionne en Haute-Saône mais cette année son palmarès parle encore : il est le vainqueur du Tour des Alpes avant d’être accablé par une pneumonie qui lui a fait perdre, le dernier jour, le bénéfice d’un podium dans le Tour d’Italie. Puis ce fut une convalescence silencieuse et digne avant une fin de saison atomique durant laquelle il a enchaîné un podium dans le Tour de Pologne, deux victoires et un Top 10 dans le Tour d’Espagne, une attitude de la plus exemplaire honnêteté au sein de l’équipe de France lors du Mondial d’Innsbruck bouclé à la neuvième place, une cinquième place dans le Tour d’Emilie, la deuxième place dans les Trois Vallées Varésines, la victoire dans Milan-Turin et un triomphe dans le Tour de Lombardie qu’il a de nouveau illuminé de toute sa hargne.

Un scénario de course spectaculaire et… rêvé !

Au cours de cette magnifique journée automnale, son équipe a fait front de nouveau, préparant collectivement le sacre transalpin tellement attendu.

Derrière l’échappée composée de Bonnamour (Fortuneo-Samsic), Tonelli (Bardiani-CF), Orsini (Bardiani-CSF), Marcato (UAE-Team Emirates), Ballerini (Androni-Sidermec), Storer (Team Sunweb), Sénéchal (Quick Step Floors) et Restrepo (Katuha-Alpecin) ayant compté 5’30’’ d’avance, Thibaut et ses équipiers ont été vigilants. Dans la mythique côte de Madonna del Ghisallo, David Gaudu était aux avant-postes avec son leader dans son sillage.

Signe de son incroyable confiance, Thibaut est ensuite redescendu en queue de peloton avant de se replacer au pied du Mur de Sormano à un peu plus de 50 kilomètres de l’arrivée.

« L’équipe Bahrain-Merida a roulé dans l’approche de Sormano, explique Sébastien Reichenbach, c’était étrange parce qu’on ne pensait pas que Nibali attaquerait de si loin… »

Dans cette difficulté, Roglic (LottoNL-Jumbo) avait pris quelques secondes d’avance quand Nibali a porté son attaque, suivi du seul Thibaut Pinot.

« La clé c’était d’attaquer, explique ce dernier. Quand j’ai vu Nibali le faire dans Sormano, je me suis dit ‘’Bingo, c’est le bon coup !’’ Vincenzo est un coureur particulier, personne n’avait imaginé qu’il le fasse là. Moi-même j’avais envie d’attaquer de loin mais je ne sais pas si je l’aurais fait ! »

Tous deux sont revenus sur Roglic et seul Bernal (Team Sky) est parvenu à rejoindre le trio dans la descente et en direction de la côte de Civiglio. C’est à cet endroit que Thibaut avait fait la différence avec Nibali en 2017 avant de voir l’Italien s’envoler dans la descente et prendre lui-même la cinquième place.

Au moment d’attaquer Civiglio, Roglic avait déjà marqué le pas, les poursuivants étaient pointés à 35 secondes. Thibaut a alors attaqué, une fois, deux fois, trois fois pour toujours voir Nibali se porter à sa hauteur.

« Je voyais bien qu’il se mettait à ma hauteur dès que j’avais attaqué, explique Thibaut, mais j’ai compris que c’était du bluff. Je ne devais pas me laisser faire, son regard pouvait être déstabilisant mais j’avais un si mauvais souvenir de l’an dernier qu’il me fallait tenter encore. Je me suis dit « Allez une dernière à 500 mètres du sommet pour voir ».  C’était la bonne !  »

Vingt secondes d’avance au sommet avant une descente frappante : Thibaut allait plus vite que Nibali et a débuté la dernière difficulté, la côte d’Olympino avec vingt-cinq secondes d’avance. Au sommet, son avantage s’était accru, il lui restait à bien négocier la descente vers Côme. Comme dans un rêve…

Sous la flamme rouge ; il avait course gagnée, il pouvait déjà savourer. Avant d’apercevoir William et Jérémy et de leur taper dans la main puis de franchir la ligne d’arrivée le bras levé sur lequel il a fait inscrire il y a bientôt dix ans « Solo la vittoria e bella ».

« Gagner ici, devant Vincenzo Nibali en plus, je ne pouvais rêver mieux, dit-il. Aujourd’hui, j’étais encore dans une très bonne journée, dans la meilleure forme de ma carrière peut-être. Me livrer à un duel avec ce grand champion, gagner devant lui est un symbole, surtout ici en Lombardie. J’ai encore du mal à réaliser… Si j’avais dû citer le nom du deuxième ce matin sur la ligne de départ, j’aurais désigné Nibali. C’est magnifique, j’ai fait la course rêvée !  »

« Dans les derniers kilomètres, poursuit-il, forcément j’ai pensé aux mauvais souvenirs mais je suis un battant. Me remettre du Giro a été une motivation, je surfe sur une vague depuis la Vuelta. Une nouvelle fois, mon équipe a été au top. Quand Jérémy Roy s’est écarté à 80 kilomètres de l’arrivée, j’ai voulu lui serrer la main parce que c’est aussi pour lui que je gagne. C’est important de gagner pour mes équipiers. Je lève les bras dans un monument, c’est réservé à très peu de coureurs et j’en fais partie ce soir. J’entre dans l’histoire de mon sport en gagnant en solitaire et c’est ce que je retiens. »

Un autre monument en tête…

Thibaut n’en doute pas, il va passer un très bel hiver et s’il a déjà prévu de disputer un seul Grand Tour en 2019, celui du mois de juillet, il prend goût au palmarès qu’il se forge. A 28 ans, il entre dans une nouvelle phase de sa carrière. Sans doute la plus belle !

« Liège-Bastogne-Liège me trotte dans la tête, dit-il, je ne l’ai bizarrement jamais faite en dix ans. Je dois l’apprivoiser, une classique prend du temps mais je sais que je peux viser la Doyenne ».

Après le protocole du Tour de Lombardie qu’il gagne vingt-et-un ans après Laurent Jalabert, Thibaut a retrouvé ses équipiers et les membres d’un staff tout aussi heureux que lui. Il est des jours comme ça qu’il serait bon de prolonger…

1 commentaire

Boris Iwanon

Boris Iwanon

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Le 17 août 2019 à 22:28

Le haut-niveau
Selon le cas de Thibaut Pinot – TDF 2019

Plus on est affuté, sur un fil, paradoxalement plus on est fragile.
Sur l’arête.Tout s’arrête. Si un bleu, un choc, une chute, mais aussi un virus, un coup de vent.
Le corps à la limite. Un alignement de planète ou une météorite.
La marge est tenue, c’est un risque à considérer, à prendre si mentalement on accepte l’échec.
Y-a-t-il une possibilité de se laisser une infime marge de manoeuvre tout en restant ultra performant, proprement? Je le crois en regardant la carrière de Monsieur Pinot.
Là se joue la dramaturgie du haut-niveau. Et les héros meurent ou se glorifie. Les foules idéalisantes les portent en demi-dieu.
Ce ne doit pas être évident d’être un demi-dieu. Il y a les sacrifices quotidiens, les sollicitations, la tête doit être bien faite et le corps répondre présent.
Ce n’est pas facile le haut-niveau, sur un fil, tenu, entre gloire et défaite, watts et giclette.
Pinot reviendra plus fort encore, rapidement. Car il est perspicace, il croit en son rêve, il aime le goût du sang de la victoire. « Solo la vittoria e bella » est gravé sur son bras. Celui qu’il lève pour célébrer ses plus belles batailles sur les pentes alpines, pyrénéennes, italiennes. Bravo champion!