La saison 2023 restera comme celle ayant permis à Valentin Madouas de définitivement faire sa place dans le gratin du cyclisme mondial. Champion de France et vainqueur d’une Classique WorldTour – sur ses terres -, le Breton de 27 ans est appelé à endosser encore plus de responsabilités ces prochaines saisons. Dans cet entretien, il nous confie son désir d’explorer ses limites dans un futur proche, tout en remontant le fil de cette année charnière.

Valentin, qu’as-tu fait depuis le terme de ta saison ?

Je n’ai repris le vélo que ce mardi. Sinon, j’ai vraiment coupé. Après la fin de saison, j’ai enchaîné avec la préparation de ma randonnée (ndlr : La Val Madouas) qui m’a pris pas mal de temps. Je n’ai pas pu faire trop de course à pied comme j’en avais l’habitude ces dernières années, puis je suis parti en vacances immédiatement. J’ai peut-être fait un peu moins d’activité physique et sportive, mais j’ai quand même bien bougé. Je suis très content, j’ai bien récupéré physiquement et mentalement, et je suis prêt pour la nouvelle saison. L’année passée a été chargée, donc ce n’est pas plus mal d’avoir observé une vraie bonne coupure.

« J’ai vraiment franchi le cap pour jouer la gagne sur les Classiques »

Est-il évident de dire qu’il s’agit de ta meilleure saison en carrière ?

Oui, ça l’est naturellement. J’ai été régulier toute la saison, des Strade Bianche jusqu’à Montréal, et avec le championnat de France et la Bretagne Classic, je n’ai pas seulement rempli deux objectifs de saison, mais surtout deux objectifs de carrière. C’est très positif de ce point de vue. J’aurais forcément aimé gagner plus, et je pense que j’en avais la possibilité sur certaines courses, mais les circonstances ont fait que ça ne s’est pas produit. Ceci dit, deux belles victoires comme celles-ci valent largement cinq ou dix plus petites victoires. J’aurais aimé lever un peu plus les bras, mais on va garder ça pour les prochaines années (sourires).  

Quelle est ta plus grosse satisfaction de la saison passée ?

Ce qui m’a plu, c’est d’avoir été régulier et d’avoir franchi un vrai cap sur les Classiques WorldTour. Ces dernières années, j’étais plutôt entre le top-5 et top-15, et j’arrivais à faire un petit exploit de temps en temps, par exemple en montant sur le podium du Tour des Flandres. Cette année, je me suis bien plus rapproché, j’étais davantage dans le top-5, et régulièrement dans le top-10. J’en ai même remporté une. Cela signifie que j’ai vraiment franchi le cap pour jouer la gagne sur ces Classiques. Ma victoire n’est pas anodine car j’ai beaucoup tourné autour. Le fait d’avoir pu être aussi régulier à ce niveau, c’est vraiment quelque chose que je retiens de cette saison.

À l’inverse, qu’est-ce qui te laisse sur ta faim ?

Je suis un peu déçu concernant les courses par étapes. Je n’ai pas été performant comme je pouvais l’être ces dernières années. Pourquoi ? C’est difficile à dire. Je n’ai pas eu la réussite. J’ai souvent eu un problème, une allergie, une maladie, mis à part sur le Tour de France. Je pense que c’est un peu le point négatif de ma saison. Il m’a toujours manqué un petit truc sur les courses par étapes. C’est un domaine où je n’ai pas pu exploiter mon potentiel à 100%, et je reste donc vraiment sur ma faim car je pense que j’avais vraiment la capacité d’aller chercher de gros résultats. C’est dommage, mais je me dis que ça me laisse de la marge pour faire mieux. C’est aussi à moi de trouver des solutions pour ne pas tomber malade, faire attention aux à-côtés, et ne pas être handicapé sur ces courses afin d’être encore plus régulier l’an prochain. Maintenant, la déception est atténuée car mes objectifs ne se situaient pas là. Je voulais gagner le championnat de France, une Classique WorldTour et une étape du Tour. Ce n’était donc pas la priorité, même si ça laisse un goût d’inachevé à cette saison. C’est pour cette raison que lorsque je tire un bilan, je l’estime très bon mais pas excellent.

« Je deviens un coureur plus regardé, plus attendu »

Pour en revenir aux Classiques. Sens-tu que la grande victoire sur une Classique printanière est désormais à portée de main ?

C’est atteignable. On tombe à chaque fois sur des coureurs qui raflent tous les Monuments, donc c’est compliqué de s’en défaire, mais on a encore vu avec le top-5 de Stefan sur Paris-Roubaix qu’on tournait autour. L’opportunité se présentera à un moment donné. On progresse d’année en année. On avait un bon collectif, soudé, et c’est à Stefan et moi-même de le tirer vers le haut, pour qu’il soit encore plus fort et homogène, et qu’on puisse jouer au très haut niveau tous ensemble. Si on veut être maîtres de notre destin, c’est à nous de tenter des choses et de ne pas avoir peur de perdre des courses pour les gagner. Ce sont des belles paroles, et c’est plus facile à dire qu’à faire, car on fait face à de très gros effectifs avec Ineos Grenadiers, Jumbo-Visma voire Soudal-Quick Step. Mais je pense qu’on peut être juste derrière. Il faut maintenant avoir l’opportunité et la saisir. On ne l’aura pas sur toutes les courses, il faut être réaliste. On subira parfois, mais on l’aura, et dès qu’on l’aura, ce sera à nous de prendre notre destin en main. Stefan est dans la même optique que moi, il travaille aussi pour. Je pense aussi qu’on a de très bonnes recrues cette année pour combler le manque qu’on avait, et ces recrues vont nous faire beaucoup de bien. Il nous faut des équipiers qui soient là encore plus loin dans le final des courses. C’est ce qui nous permettra d’aller gagner une grande Classique prochainement.

Au printemps, tu disais que ton titre de champion de France amateur était encore ton meilleur souvenir sur le vélo. Est-il passé en troisième position pendant l’été avec tes succès sur le championnat de France et la Bretagne Classic ?

Ce sont les deux plus beaux moments de ma carrière, c’est une certitude. J’ai rêvé toute ma vie du titre professionnel. J’étais persuadé que j’allais l’obtenir, je ne savais juste pas quand. Mais entre le penser et le réaliser, il y a une vraie différence. Pour moi c’était presque une évidence, mais encore fallait-il mettre tout en place et y parvenir. Plouay, c’est aussi une course « de vie », car c’est la Classique WorldTour en Bretagne, que je connais depuis que je suis bébé. Tout ça a énormément impacté ma saison, et ma carrière plus largement. Je pense que ça a déclenché beaucoup de choses. Je deviens un coureur plus regardé, plus attendu, par les téléspectateurs et mes adversaires. Ce sont des courses qui m’ont fait franchir un cap, et il me revient maintenant de faire une saison avec d’aussi beaux résultats l’année prochaine.

Comment as-tu vécu le Tour, mitigé sur le plan des résultats pour l’équipe ?

Je me sentais bien physiquement, mais il est vrai que ça a été compliqué en termes de résultats. Je pense qu’on n’a pas eu la réussite de l’année dernière. Thibaut a été échappé sur des étapes qui ne lui correspondaient pas forcément. J’ai aussi fait trois échappées sur des étapes qui ne me convenaient pas vraiment non plus. Il aurait fallu inverser nos présences à l’avant, et on aurait peut-être eu de meilleurs résultats… Je pense qu’on était dans le coup collectivement. Il manquait le petit quelque chose, et ce petit quelque chose fait par exemple passer David du top-5 à la neuvième place. Il y avait aussi un niveau très, très élevé. Il y a évidemment eu une remise en question pendant le Tour et après le Tour. On essaie de comprendre pourquoi ça ne marche pas, d’identifier les erreurs, mais c’est très difficile d’inverser la tendance sur le Tour. Personnellement, j’ai identifié plusieurs erreurs que j’ai pu commettre. Le championnat de France était un objectif de carrière, et le fait de concrétiser cet objectif a sans doute fait retomber mon influx nerveux. Ce n’était pas conscient, juste naturel quand tu obtiens quelque chose. Mais ce n’est pas retombé au bon moment. Ce genre de détails fait que je n’étais pas focalisé à 2000% sur le Tour, que la condition physique était légèrement moins bonne, ce qui t’amène à louper les bonnes échappées.

« 2024 sera une année test pour voir jusqu’où mon corps peut aller »

Tu as fini la saison à la 27e place du classement mondial. Ça signifie quelque chose pour toi ?

Pour moi, c’est quelque chose qui compte, surtout avec le nouveau barème, qui met plus en valeur la régularité et qui distingue vraiment les meilleurs coureurs au monde. D’ailleurs, ça se voit. Pour moi, les dix premiers du classement sont les dix meilleurs coureurs du monde. C’est quelque chose que je regarde et qui me donne envie de progresser. Quand je regarde le classement, je vois aussi que je gagne des positions chaque année. Je suis dans le top-30 et j’espère me rapprocher du top-10 le plus vite possible. C’est aussi un objectif de carrière.

Tu as dit qu’une des choses les plus dures dans le cyclisme professionnel était de garder la même envie tout au long de la saison. Maîtrises-tu désormais ce paramètre ?

Tout coureur sait qu’il est vraiment très difficile d’être au top toute l’année. De mon côté, j’apprends au fur et à mesure des années, j’emmagasine de l’expérience, je connais mieux mon corps, je sais comment je réagis. Je pense que j’ai réussi à être très régulier dans ma motivation cette année, et ça s’est traduit dans les résultats. D’autres coureurs s’expriment eux par des gros pics de forme. L’année prochaine, j’aimerais être encore plus régulier et évoluer à un haut niveau le plus longtemps possible. On va changer pas mal de choses. C’est un peu l’année pour innover, tout en gardant ce qui a marché. On va essayer de mettre encore plus de charges, pour être encore plus fort et régulier. Ce sera une année test pour voir jusqu’où mon corps peut aller, et ça me servira comme une bonne base de travail pour les années futures. Ce sera une année très importante pour moi. J’ai envie d’avoir de très grands résultats et j’ai envie de voir jusqu’où je peux aller. Je pense être arrivé à un âge de maturité mentale et physique qui me permet de pouvoir aller chercher de gros résultats.

Après avoir coché des cases importantes cette saison, comment conçois-tu tes objectifs futurs ?

Je fais évoluer mes objectifs au fur et à mesure des années, des courses que je dispute, de l’expérience que j’emmagasine, du plaisir que je prends, et des états de forme. Chaque année, je tire un bilan de ma saison, je vois où je peux aller et j’essaie de me fixer des objectifs hauts mais réalisables. Je fonctionne par palier. J’essaie d’être réaliste. Je n’avais jamais gagné en WorldTour avant cette année. Je me suis dit que c’était le moment de le faire, et j’ai réussi. Je voulais gagner une Classique, et j’ai réussi. Mais je reste assez vaste dans mes objectifs, car je suis aussi conscient qu’il y a un très gros niveau sur les Monuments et qu’il faut avoir beaucoup de réussite. J’essaie de prendre chaque course comme des objectifs, même si inconsciemment, certaines nous font plus vibrer que d’autres. Maintenant, il y a des points de passage que je n’ai pas encore atteint. Gagner sur le Tour, c’est quelque chose que je veux et je ferai tout pour y parvenir. Tant que ce ne sera pas fait, je continuerai d’y aller, car le Tour est quelque chose qui me fait rêver depuis que je suis enfant. C’est la prochaine étape. Je ne néglige pas non plus les Classiques, un Monument, et pourquoi pas les Jeux Olympiques, si j’ai la chance d’être sélectionné. Participer aux J.O est un rêve de gosse, mais au-delà de participer, je voudrais y être médaillé. Ça peut être un bel objectif pour l’année prochaine.

« Fédérer des personnes autour de moi est un beau challenge que je me fixe pour les prochaines années »

Avoir atteint deux objectifs majeurs cette année te donne-t-il confiance dans ta capacité à concrétiser ce pour quoi tu travailles ?

Beaucoup de gens me disent « Quand tu as un truc en tête, tu y arrives ». Puis me demandent « Pourquoi tu n’as pas plus de choses en tête ? » Je réponds simplement que je ne peux pas mettre toute mon énergie sur tout et à chaque fois. Quand j’ai un truc en tête, il y a aussi un travail presque inconscient. Je visualise, je travaille aussi beaucoup ma préparation mentale. Dès que je roule, j’ai ça en tête, j’imagine quinze scénarios, comment ça va se passer, les coureurs que j’aurai face à moi. J’essaie de le faire sur un maximum de course, mais c’est très dur de pouvoir le répéter, et il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. C’est comme ça que je fonctionne. Ça a marché cette année, mais c’est peut-être car j’ai désormais cette maturité physique et mentale. Maintenant que j’ai réussi à me prouver certaines choses à moi-même, j’ai de super bases de travail pour essayer de le reproduire plus souvent l’année prochaine.

T’es-tu définitivement trouvé comme coureur, ou souhaites-tu encore évoluer ?

Je pense qu’il y a plein de choses à exploiter, à travailler. Pour moi, le cyclisme est un sport où on est sans cesse en train de se renouveler. Ce qui est très important pour moi, c’est de voir ce qui a marché, faire des bilans avec soi-même, avec l’équipe, avec les personnes qui m’ont permis d’obtenir ces résultats. On travaille à partir de ça, puis on essaie d’élaborer de nouvelles choses pour franchir un cap et sortir d’une routine. Pour moi, il n’y a rien de pire que d’avoir une routine dans le haut-niveau. Il faut certes une routine de ce qui a fonctionné, mais il faut savoir en sortir pour tenter de nouvelles choses et éviter de se reposer sur ses lauriers. Pour l’instant, je n’ai pas atteint le très, très haut niveau mondial sur une année complète. Il faut donc essayer d’aller chercher encore plus loin. Je pense bien me connaître, mais je pense qu’il y a encore des choses à explorer. Je ne connais pas mes limites, et je suis arrivé à un âge où j’ai envie de les connaître, qu’elles soient mentales ou physiques. C’est pourquoi on a envie de tenter des choses et voir où elles se situent.

Comment gères-tu ton désormais statut de leader à part entière au sein de l’équipe ?

C’est quelque chose d’important pour moi, d’autant qu’avec le départ de Thibaut et d’Arnaud de l’équipe, plus de responsabilités reposeront sur moi l’an prochain. C’est quelque chose que j’ai envie de faire perdurer, et je veux prouver que je peux prendre leur suite. Ce sera à moi de le prouver sur le terrain, de créer un groupe, des liens avec des coureurs, de tirer tout le monde vers le haut niveau pour gagner des courses. Moi, je dois gagner des courses, mais il faut aussi fédérer des personnes autour de moi et c’est un beau challenge que je me fixe pour les prochaines années. Ça se travaille, et c’est naturel à la fois. Remercier les coureurs, c’est la base. Être respectueux et réglo, c’est le premier pas pour fédérer autour de soi. Il ne faut pas jouer un jeu, savoir être franc et nature. Thibaut en est un parfait exemple, et il savait dire quand c’était bien fait ou mal fait, et expliquer pourquoi. C’est ce schéma là que j’aimerais suivre. Je prends aussi de l’assurance avec mes résultats. Il y a encore quelque temps, je ne me sentais pas légitime par moments car je n’avais pas encore eu de résultats ou certaines victoires par rapport à d’autres coureurs. Mais au fur et à mesure, on prend de l’envergure, de l’expérience et de la confiance en soi. C’est ce qui me permet de fédérer de mieux en mieux autour de moi, et de fédérer aussi l’équipe entre elle. C’est un rôle que j’ai envie d’avoir.

« Tout mettre en place pour être sélectionné pour les J.O et y être médaillé »

Fin novembre, connais-tu déjà tes objectifs principaux pour 2024 ?

Je n’aurai le programme qu’au mois de décembre, mais je sais à peu près ce que je veux. J’ai des objectifs, et je sais ce dont j’ai envie. Tout dépendra beaucoup de ma sélection éventuelle pour les J.O. J’ai toujours regardé ça étant petit, et je rêve d’y être. Si j’ai la chance d’être sélectionné, la préparation optimale serait d’aller sur le Tour. Je veux tout mettre en place pour être sélectionné pour les J.O et y être médaillé. Ce sera à moi de prouver en début de saison que je mérite la sélection, et si je l’obtiens, je fixerai mon second pic de forme pour la fin du Tour/J.O afin d’être prêt le jour J. Le début de saison restera identique. Je rêve de gagner le Tour des Flandres et ce sera mon grand rendez-vous du printemps, avec les Strade Bianche. Ce sont des courses taillées pour moi et que j’espère remporter un jour.

Dernière question Valentin : on s’habitue à rouler en bleu-blanc-rouge ?

Ça fait toujours plaisir quand tu l’enfiles, surtout la première fois de l’année, lors de la reprise comme ce mardi. On se dit « C’est quand même cool ». On s’y habitue malgré tout, mais je n’ai aucune envie de le lâcher au mois de juin, donc je pense que c’est positif (sourires).

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1 commentaire

MARQUET

MARQUET

Répondre

Le 25 novembre 2023 à 22:28

Super entretien tous mes vœux de réussite pour la prochaine saison