Thierry, le modèle de formation va encore évoluer cet hiver. Pourquoi ?

Notre sport, comme tous les autres, se rajeunit, la performance se rajeunit, et nous avons nous-mêmes signé des projets de long terme avec des coureurs, des rangs juniors jusqu’au WorldTour. À mon arrivée, en juin dernier, j’ai été convaincu de la nécessité pour l’équipe de structurer encore davantage son modèle de formation. Notre vision sur 3, 5 ou 10 ans, est que l’équipe puisse alimenter le plus haut niveau de sa structure, à savoir le WorldTour, conservant donc un vrai équilibre entre coureurs issus de La Conti et coureurs potentiellement recrutés ailleurs. C’est ce qui permettra in fine à l’équipe de garder le sens qu’elle souhaite y donner, son ADN et ses valeurs. C’est quelque chose de particulièrement important pour nous, pour nos partenaires Groupama et FDJ, et eu égard à l’histoire de l’équipe. Le modèle est déjà installé depuis 2019, avec une promotion unique Conti vers la WorldTour à l’intersaison 2022 (8 coureurs sont passés de la Conti en World Tour cette année-là). Notre ambition est de lui faire passer un nouveau cap.

Comment cela va-t-il se traduire d’un point de vue structurel ?

Une seule équipe. Dès les juniors, mais encore davantage de La Conti à la WorldTeam, la Groupama-FDJ est une seule équipe. C’était déjà vrai dans les faits, notamment avec ces ascenseurs fréquents entre Conti et WorldTeam. Désormais, cela va se traduire dans l’organisation. Julien Pinot est responsable de la direction entraînement, donc de tous les entraîneurs, des juniors jusqu’en WorldTour. Philippe Mauduit est responsable de la direction course, donc de tous les directeurs sportifs, des juniors jusqu’en WorldTour. C’est une étape importante. Comme pour les coureurs, on va utiliser le programme juniors et La Conti pour intégrer du staff dans l’équipe, le faire grandir, et l’amener vers la WorldTour. Une seule équipe, donc.

Comment cette « seule équipe » va-t-elle se matérialiser ?

Par exemple, le calendrier et la participation des coureurs sera piloté de manière commune entre La Conti et la WorldTour, sous la supervision de Philippe. Cette coordination existait auparavant, elle est maintenant formalisée dans l’organisation. L’objectif est de faire en sorte que la participation des coureurs de La Conti aux courses avec la WorldTeam soit bénéfique à leur développement en même temps qu’à l’équipe.

Les moyens humains sont-ils également accrus ?

On monte en puissance structurellement, mais on renforce aussi significativement le support et l’accompagnement dans les secteurs juniors et Conti avec l’arrivée de Yann Le Boudec depuis début septembre et de Jimmy Turgis à compter de début novembre. Yann Le Boudec arrive en tant que chargé de la détection, du scouting. Il prendra le temps nécessaire pour comprendre l’environnement du coureur, connaître ses attentes, savoir si elles rejoignent les nôtres. Jimmy Turgis arrive en tant que coordinateur du programme juniors, et sera aussi entraîneur pour les juniors et La Conti. On va ainsi proposer aux juniors un vrai fil conducteur d’entraînement vers la Conti. Jimmy entraîne actuellement des coureurs d’une autre équipe WorldTour, il a lui-même été coureur, et a une perception exacte de ce qu’implique ce métier. On a renforcé la structure à la base, pour s’assurer qu’elle soit encore plus solide sur les niveaux supérieurs.

« Il y a une vraie responsabilité commune »

Les fondements sont déjà bien solides.

Assurément. Lorsque j’étais à l’extérieur de l’équipe, en 2022, et que j’ai vu ces huit coureurs débarquer de La Conti à la WorldTour, je me suis dit que le modèle « centre de formation » propre au football ou à d’autres sports était en train de porter ses fruits de manière éclatante. Depuis, on a vu l’éclosion de beaucoup d’équipes de développement ces dernières années. En rejoignant l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, j’ai eu la confirmation que les bases de centre de formation étaient vraiment en place ici. L’ambition est maintenant de venir les renforcer de façon significative sur de nombreux d’aspects. Besançon est une base physique autant qu’humaine. On a la volonté, avec ce camp de base, d’apporter tous les ingrédients de support au développement idéal des jeunes qui nous rejoignent.

Quel est le rôle de l’équipe dans la formation ?


La responsabilité de l’équipe ne s’arrête pas au moment où le contrat est signé. En échangeant avec quelques coureurs désormais en WorldTour, je leur ai posé les questions suivantes : imaginais-tu faire ce métier lorsque tu étais au lycée ? Est-ce que ce métier te plaît au quotidien ? Est-ce que tu te sens bien dans l’équipe et en dehors ? Notre responsabilité est avant tout de mettre en place ce qu’il faut pour amener, de la meilleure manière possible, ces coureurs à faire leur métier. Nous avons cette responsabilité de mettre en face les moyens et l’attention nécessaires. À l’inverse, le coureur a aussi une vraie responsabilité de mettre les ingrédients qu’il faut, à savoir son implication, son engagement, sa transparence sur ses attentes ou ses difficultés. Il y a une vraie responsabilité commune, et le renforcement de notre modèle de formation, de manière structurelle et humaine, s’inscrit dans cette logique.

Quels sont les écueils à éviter dans ce processus ?

À cet âge, le coureur devient vraiment acteur de son développement. Sans sous-estimer les investissements consentis chez les minimes ou cadets pour atteindre un certain niveau, dans la catégorie juniors et lors des deux premières années espoirs, les coureurs sont dans des phases particulièrement importantes de leur développement. Notre rôle est d’éviter qu’ils se dispersent, que ce soit en termes d’entraînement, d’accompagnement, ou de leur laisser penser que ça va être facile. Coureur, c’est un métier. Ça impose pour certains d’être équipiers, pour d’autres de développer des qualités de leadership, qui naissent souvent à ce moment-là, avec des satisfactions et des échecs. La volonté de renforcer la structure agit aussi dans ce sens : détecter les qualités très tôt, les renforcer très tôt, et ne pas hésiter à faire monter un coureur en WorldTour si ses qualités physiques le lui permettent. De la même manière, il nous faut détecter les faiblesses très tôt, de sorte qu’on puisse les corriger et qu’elles ne l’embêtent pas plus tard.

« On aura réussi notre mission quand on retrouvera les mêmes sourires, la même envie et la même énergie que chez Thibaud ou Brieuc »

Le sujet de l’attractivité est-il central ?

L’attractivité peut consister à faire briller quelque chose qui en coulisses est moins abouti. Notre orientation est plutôt de donner du sens aux projets sportifs et d’apporter aux coureurs des éléments de compréhension qui feront en sorte que notre approche à Besançon les séduira plus qu’une autre. C’est-à-dire une approche d’accompagnement solide, une volonté de les supporter dans leur double-projet pour ceux concernés et une vision sportive partagée. Un coureur qui a pour unique objectif d’être un coureur WorldTour ne va pas forcément réussir. En revanche, un coureur qui intègre La Conti et qui est bien au clair sur le fait qu’il est là pour se développer, et que cela passera par un investissement mutuel, aura toutes les chances de réussir. Dernièrement, Brieuc et Thibaud ont encore confirmé que ce modèle fonctionne. Notre volonté est de renforcer ce modèle pour le rendre encore plus performant et amener les coureurs sur des délais plus ou moins courts, mais de la meilleure manière possible, dans le WorldTour. Cela ne veut pas uniquement dire être performant en termes de résultats, mais aussi intégrer que c’est le métier qu’ils feront pendant des années, et qui nécessitera des investissements quotidiens et des responsabilités.

Peux-tu nous dire un mot sur le recrutement des espoirs pour l’an prochain ?

Nous avons eu une attention particulière sur différentes dimensions que j’ai citées précédemment. Rémi Daumas est par exemple en double projet à l’INSA de Toulouse. Reef Roberts vient confirmer notre filière néo-zélandaise, avec la reconduction de Lewis Bower l’année prochaine. Je suis aussi impatient de voir nos juniors qui rejoignent La Conti, avec Baptiste Grégoire et Eliott Boulet, en plus de l’intégration d’un coureur comme Maximilian Cushway, en provenance d’un club élite. On aura réussi notre mission quand on retrouvera chez eux les mêmes sourires, la même envie et la même énergie que j’ai notamment perçu chez Thibaud ou Brieuc lors de leurs récents entretiens. Je pense d’ailleurs au staff qui les a accompagnés pendant deux ans. C’est particulièrement gratifiant et même émouvant pour eux de voir au quotidien les coureurs se développer et s’épanouir au plus haut niveau de notre sport. La victoire de Brieuc sur le Tour de Lombardie Espoirs il y a quelques jours est à ce titre une très belle récompense pour Brieuc mais aussi pour le staff de « La Conti ».