À l’occasion du Tour de l’Algarve ce mercredi, Stefan Küng lance sa saison 2023, sa cinquième au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ. Devenu un membre incontournable de la structure, et un leader extrêmement fiable, le Suisse compte bien surfer sur l’excellente dynamique qui l’a porté l’an passé, qu’importe le terrain. Le vice-champion du monde du contre-la-montre s’est confié en longueur à l’aube de sa reprise.

Comment s’est passé ton intersaison, Stefan ?

Il y a eu plusieurs phases. Nous sommes devenus parents en juin, on a donc bien profité des vacances pour passer du temps ensemble, en famille, et ça m’a aussi permis d’attaquer l’entraînement avec de l’envie. Puis, étant donné que j’avais terminé la saison assez tard sur le Chrono des Nations, je n’ai repris que mi-novembre. Après quelques semaines d’entraînement, je me retrouvais déjà en stage à Calpe, où j’ai notamment pu rencontrer certains nouveaux de la Conti pour la première fois. C’était cool, il y avait vraiment une bonne ambiance. J’ai ensuite passé une bonne partie de l’hiver sur les Îles Canaries. J’étais d’abord deux semaines à Gran Canaria avec la famille pour un petit stage personnel, puis j’ai effectué un stage avec l’équipe, d’abord à Tenerife sur le Teide, puis à Pedreguer. Tout s’est déroulé parfaitement, je n’ai jamais été malade. Tout est en ordre pour une bonne saison.  

« 2022, une saison extraordinaire pour moi »

Te sens-tu dans le bon timing ?

C’est dur à dire. Même si on a des capteurs de puissance qui nous permettent de savoir plus ou moins où on se situe, ça reste un peu flou dans un premier temps. Je me suis bien entraîné, mais en même temps, le Tour de l’Algarve reste une course de reprise. Les grands objectifs se situent quelques semaines voire mois plus tard, en l’occurrence le Tour des Flandres et Paris-Roubaix en ce qui me concerne. Si tu arrives déjà à 100% en Algarve, le chemin est ensuite très long jusqu’à Roubaix. Il s’agit toujours de trouver le bon équilibre entre se préparer comme il faut, bien travailler, se construire de bonnes bases, tout en se laissant une marge. Surtout, il faut conserver beaucoup de fraîcheur. Je pense avoir trouvé la bonne façon de faire ces dernières années. Je suis assez confiant. J’aime aussi beaucoup le Tour de l’Algarve. Il y a un chrono, deux arrivées au sommet, une très raide, l’autre plus roulante, puis deux étapes pour sprinteurs qui ne sont pas non plus toutes plates. C’est vraiment la course de reprise parfaite, et si on s’aperçoit qu’il manque quelque chose, on pourra ajuster ça d’ici le Tour des Flandres. Je suis assez confiant sur le fait que ça va bien se passer.

Parlons un peu de la saison 2022. Est-ce selon toi la meilleure de ta carrière ?

D’un point de vue global, ça reste une saison extraordinaire. Je ne sais plus pourquoi, mais je me suis retrouvé sur mon profil ProCyclingStats il y a quelques jours, et je me suis vraiment rendu compte que j’avais été présent sur toutes les courses, dès le début de saison. C’est la première chose : j’ai été très très constant à haut-niveau, j’étais tout le temps présent. Maintenant, c’est très bien d’être tout le temps présent, mais il manque à mes yeux une très grande victoire. J’ai eu de grands résultats, notamment avec des médailles aux Mondiaux et aux championnats d’Europe, avec la troisième place à Roubaix, mais ce qui marque une saison, c’est une très très grande victoire. Le fait que les gens me demandent si je trouve cette saison réussie tend à le démontrer. C’est d’ailleurs un objectif pour cette année. Je me dis qu’il vaut peut-être mieux prendre un peu plus de risques en termes de tactique de course pour aller chercher une victoire que de finir dans le top-10 tout le temps. C’est très dur, je le sais, et on essaie toujours de faire au mieux, mais je me dis que ça paiera un jour. De manière générale, c’était en tout cas une saison extraordinaire pour moi. Elle m’a apporté beaucoup de confiance, notamment sur une course comme le Tour de Suisse où j’ai pu jouer le général (5e). C’est motivant pour la suite, car on se dit qu’on peut nourrir des ambitions sur quasiment toutes les courses.

Qu’est-ce qui t’a le plus satisfait ?

Avant tout, je pense que c’est ma bonne campagne de Classiques avec comme point d’orgue le podium à Roubaix. Certes, j’étais déjà bien là sur les Classiques les années précédentes, mais c’était de loin ma meilleure saison au niveau des résultats. Puis, il y a le classement général sur le Tour de Suisse. J’ai repoussé mes limites. Je ne m’étais jamais imaginé être capable de faire un tel résultat sur une course par étapes WorldTour d’une semaine, au plus haut-niveau, avec deux arrivées au sommet très difficiles. Je me suis épaté moi-même. Ce sont les deux choses qui m’ont le plus marqué. Il y a évidemment les médailles d’argent au championnat d’Europe et au championnat du monde, mais je savais déjà que j’avais le niveau des meilleurs mondiaux sur le chrono. Sur les deux autres aspects, j’ai vraiment franchi un cap, et je suis rentré dans le très haut niveau.

« On se dit que c’est possible, que ça se joue sur des détails, et ça motive tout le monde »

Qu’est-ce qui t’a le plus déçu ?

Le plus frustrant, c’est évidemment le championnat du monde. C’était vraiment un très grand objectif pour moi, alors passer si proche d’une victoire et être battu par un « homme surprise », c’était très dur à digérer, d’autant que j’étais en tête au dernier intermédiaire. Le Tour de France a aussi été très compliqué à vivre pour moi. J’avais attrapé le Covid une semaine avant, j’étais négatif juste à temps pour prendre le départ mais je n’étais pas à mon niveau. J’ai galéré pendant près de deux mois pour retrouver mon niveau. C’était très difficile à vivre, car je n’étais pas au niveau qui était le mien sur tout le reste de la saison. Quand tu es au départ mais que tu te sais battu d’avance, c’est dur à accepter.

A-t-il été simple de tourner la page des Mondiaux ?

Oui et non. Ça m’a pris quelques jours, c’est aussi revenu quelques fois, et encore maintenant quand les gens me disent « j’ai souffert avec toi », ça fait rejaillir des mauvais souvenirs. Maintenant, je reste aussi très pragmatique car j’ai vraiment donné mon maximum ce jour-là, j’ai battu tous les mecs que je voulais battre et je n’avais pas forcément pris en compte celui qui m’a battu. Ça reste mon meilleur résultat aux Mondiaux jusqu’à présent. Je voulais le maillot arc-en-ciel, évidemment, et c’est hyper frustrant quand tu es battu de si peu, mais quand tu sais que tu es si proche d’y arriver, c’est aussi motivant car ça te donne envie de travailler encore plus dur pour aller chercher ces dernières secondes. Je ressens aussi cela au sein du pôle performance de l’équipe, quand on va en soufflerie, quand les sponsors sont vraiment prêts à tout mettre en œuvre, faire tous les efforts… Je ne termine pas à deux minutes du vainqueur, je termine à deux secondes et demie. On se dit que c’est possible, que ça se joue sur des détails, et ça motive tout le monde. Il y a d’ailleurs eu des changements de réglementation de la part de l’UCI cet hiver, qui sont a priori à mon avantage. Jusqu’à présent, tous les coureurs avaient la même réglementation quant à la hauteur des prolongateurs, peu importe leur taille. Ils ont ajusté ça, et on a été obligés de modifier la position. On a aussi un nouveau partenariat au niveau des casques. On a donc dû beaucoup travailler pour trouver la meilleure configuration possible. Il a fallu repartir de zéro pour certaines choses, mais on voulait vraiment valider les étapes une à une pour être sûr que ça tienne la route.

Concernant les Classiques, qu’est-ce qui a changé en 2022 ?

C’est difficile à dire, car j’avais aussi été présent sur les Classiques les années précédentes, avec des top-10 ici et là. J’ai simplement passé un nouveau cap. Dans la préparation, on a vraiment établi qu’on se concentrait sur les Classiques dans la première partie de saison, puis qu’on travaillait davantage le chrono dans la deuxième. C’est important de bien discerner ces deux blocs, surtout pour moi qui ai un rôle important sur toutes les courses dont je prends le départ. Il faut bien balancer ces objectifs, car les Classiques demandent des spécificités bien différentes des courses par étapes. La préparation joue pour beaucoup, puis il y a plusieurs autres choses autour. On a un groupe de Classiques qui devient de plus en plus fort, avec plus d’expérience, et qui me fait encore plus confiance. Il y a également la nutrition, le matériel… Si on arrive à gagner un demi pourcent sur chaque aspect, ça permet de franchir un vrai palier.

« Prendre davantage de risques »

Que te manque-t-il pour franchir ce dernier palier sur les Classiques ?

Je dois juste continuer à travailler sérieusement, et comme je le disais tout à l’heure, peut-être prendre davantage de risques, quitte à entrer dans une logique de « tout ou rien ». Le niveau est très élevé, il y a des phénomènes, qui sont les grands favoris sur ces courses, et il faut peut-être essayer de tirer profit de leur rivalité pour aller chercher ce grand succès. Je me suis senti proche de le faire l’an passé. Si tu termines cinquième du Tour des Flandres et troisième de Paris-Roubaix, c’est que tu joues avec les meilleurs. Si la course se déroule un peu autrement, tout est possible. En tout cas, moi j’y crois.

Est-ce pour toi une fierté de voir le groupe des Classiques devenir aussi performant ?

Pour moi, c’est d’abord très cool de voir qu’on a une équipe jeune et motivée. Ce sont des courses très dures, avec des conditions météos pas toujours simples, qui se jouent beaucoup au mental, et où il ne faut jamais rien lâcher. Alors avoir de l’envie et de la motivation fait pour beaucoup. On passe aussi beaucoup de temps ensemble, et c’est toujours plus agréable quand on s’entend bien. Je pense que ce sera encore le cas cette année. Et puis, quand tu as plusieurs cartes à jouer dans une course, c’est là où ça peut tourner à ton avantage. On s’appuie beaucoup sur nos jeunes coureurs qui viennent de la Conti, et si tout le monde réussit à faire un petit pas en avant, ça ne peut qu’aller dans le bon sens.

En parlant des jeunes, que t’inspire l’arrivée de huit coureurs de la Conti ?

C’est toujours une bonne chose d’avoir de nouvelles têtes dans l’équipe. C’est aussi bien d’avoir une équipe continentale, mais c’est encore mieux d’arriver à les prendre en WorldTour derrière. On voit que la stratégie de la jeunesse fonctionne. Comme je le dis, c’est d’autant plus motivant quand tu as un groupe motivé, et les jeunes sont à coup sûr très motivés. Certains d’entre eux le sont pour les Classiques, c’est de bon augure. Je ne suis pas un coureur qui va se dire « il y a des jeunes qui arrivent, il va falloir que je me bouge », car j’essaie toujours de donner le maximum de toute façon. Je ne vois pas mes coéquipiers comme des concurrents mais comme des collègues. Pour moi, c’est une nouvelle vague qui arrive. Ça change quand même une équipe, ça la rajeunit, et on se projette aussi vers le futur. Ça démontre qu’on veut investir dans la jeunesse. Je pense que c’est une bonne chose quand une équipe est équilibrée, car c’est bien d’avoir de l’expérience, mais c’est bien aussi d’avoir ce vent de fraîcheur. Ça permet à l’équipe de rester dynamique.

« Je préfère faire moins de course, mais être performant sur chacune d’entre elles »

Tu évoquais plus tôt les classements généraux. Est-ce quelque chose que tu veux explorer cette saison ?

On verra course après course, aussi car ce sera très particulier cette année étant donné que les championnats du monde seront juste après le Tour de France. Or, si je fais le Tour de Suisse avant le Tour, ça ferait un très gros bloc. Il est peut-être parfois mieux de ne pas faire un général mais d’aller chercher des étapes tout en conservant des objectifs à long terme. On verra au fil de la saison, mais je ne vais certainement rien m’interdire. Sur une course comme le Tour de l’Algarve, je verrai au jour le jour comment je me sens, et si je me sens bien, pourquoi pas essayer de m’accrocher pour faire un bon résultat au général.

N’est-ce pas trop difficile de cumuler tous ces objectifs ?

C’est mon naturel. Je préfère faire moins de course, mais être performant sur chacune d’entre elles. De toute façon, les courses d’entraînement n’existent plus dans le cyclisme moderne. Sur chaque course dont je prends le départ, je donne le maximum. J’aborde toutes les courses avec cet état d’esprit et ça ne me coûte pas plus. Quand je m’aligne sur une course, j’aime être performant. Je préfère faire un peu moins de quantité, mais être présent tout le temps. Maintenant, on se fixe certes des objectifs bien en amont, et je connais déjà bien ceux de la saison à venir. Si ça ne se passe pas idéalement sur le Tour de l’Algarve ou lors du week-end d’ouverture, il n’y aura pas pour autant besoin de paniquer car il faut voir les objectifs à long terme.

Qu’espères-tu justement de la saison à venir ?

Si j’arrive ne serait-ce qu’à faire une place de mieux sur chaque course, ce serait déjà pas mal (sourires). L’objectif reste le même : gagner une grande course d’un jour et le championnat du monde du contre-la-montre. Ça peut paraître fade de répéter les mêmes objectifs chaque année, mais étant donné que je tourne autour, ce serait bête de changer d’objectifs maintenant.

« Je m’identifie beaucoup à cette équipe »

Tu entames aussi ta cinquième saison au sein de l’équipe. As-tu la sensation de déjà faire partie « des meubles » ?

Je ne me suis pas posé la question en ces termes. Je ne suis pas venu dans l’équipe en me disant que j’allais m’imposer. Ça se fait à travers les performances, le charisme et le caractère d’une personne. Je ressens aussi la confiance de l’équipe, des équipiers, du staff. Je commence ma cinquième année avec l’équipe, et je crois qu’on a beaucoup progressé ensemble lors des quatre premières. C’est très bon signe et ça fait plaisir quand on peut avancer et travailler sur des beaux projets ensemble. C’était d’ailleurs l’un des points centraux de nos discussions lors de ma prolongation. J’ai dit à l’équipe : « on a évolué jusqu’à maintenant, et je veux qu’on continue à le faire ». On était sur la même longueur d’onde. Je ressens aussi que les fans de l’équipe m’apprécient, et c’est forcément très plaisant. Je m’identifie beaucoup à cette équipe. Pour moi, l’équipe est quelque chose de quotidien. On porte le maillot tous les jours, il faut qu’on se sente bien pour être capable de performer. J’ai de très bonnes relations avec le staff et les autres coureurs. Au fond, peu importe que ce soit une équipe suisse ou française, tant que je me sens bien et que je suis toujours fier d’enfiler le maillot. Je sens que je fais partie de cette équipe. On fait tous partie de la même équipe, on essaie tous d’avancer ensemble, et c’est ce qui est excitant.

Tu vas enfin partager tes dernières courses avec Thibaut en 2023. Comment as-tu accueilli la nouvelle ?

On se parle beaucoup entre coureurs, et j’ai toujours eu une très très bonne relation avec Thibaut. Il nous l’a évidemment annoncé plus tôt qu’il ne l’a fait au grand public. Je n’étais pas surpris, car il aime toujours le sport, mais il ne faut pas oublier que c’est sa quatorzième saison au sein du peloton professionnel. Or, quand on est comme lui leader français dans une équipe française, il y a quand même beaucoup d’attentes. Je l’ai vécu plusieurs fois avec lui. Certains disent qu’il n’a que 33 ans, qu’il pourrait encore faire plusieurs années, mais ce qui est beau avec lui, ce que je ne l’ai quasiment jamais vu aussi motivé à l’approche d’une saison. Même s’il sait que c’est la dernière, il veut vraiment montrer le meilleur Thibaut pour terminer sur une bonne note. Je trouve que c’est beau : pouvoir dire « ça suffit, j’en ai eu assez » mais terminer en beauté, et non pas quand on n’a plus du tout l’envie et peut-être plus le niveau de se battre avec les meilleurs. J’ai beaucoup de respect pour sa décision, et aussi pour la façon avec laquelle il aborde cette dernière saison. Il l’a annoncé à tout le monde afin que les choses soient mises au clair, et il peut profiter de cette dernière saison car il n’a plus de pression. Il a tellement gagné qu’il n’a plus rien à prouver. On sait quel coureur il est, il ne lui reste plus qu’à profiter, et profiter pour lui c’est être à l’avant de la course.

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