Avec l’équipe Groupama-FDJ, William Bonnet a rejoint Jérusalem le 1er mai pour prendre le départ du Tour d’Italie qui s’élance d’Israël le 4 mai. Ce formidable équipier est un sage connaissant son métier sur le bout des doigts. C’est aussi un coureur d’expérience mais les années n’ont pas de prise sur son enthousiasme. À l’entendre, Thibaut Pinot et ses équipiers vont vivre un mois de mai exaltant !

William, comment abordes-tu le Tour d’Italie ?

Je suis prêt pour le premier gros objectif de la saison. J’ai connu un petit problème de santé pendant le Tour des Alpes qui m’avait contraint à l’abandon, mais tout est rentré dans l’ordre. En fait, j’avais le dos bloqué et l’ostéo n’a pas réussi à le remettre en place avant le départ. Au début de la troisième étape, j’ai ressenti une douleur au genou et il était préférable que je ne prenne pas de risques. Le soir, le médecin et l’ostéo m’ont dit que cette douleur était liée au blocage. Les douleurs étaient projetées le long du nerf sciatique et derrière le genou. Devant le genou aussi. Il a fallu deux jours pour tout remettre en place correctement et pour que je sois soulagé.

Dis donc, le nerf sciatique, c’est un truc de vieux ?

Oui (il rit) c’est les premiers signes. Je dois faire attention pendant le prochain mois en me couchant, en sortant dut lit…

« Il a fallu changer les méthodes d’entrainement pour appréhender les courses et les objectifs. »

Ce qui fait de toi un jeune coureur est ton nombre de jours de courses ?

Je compte moins de jours que Thibaut Pinot puisque j’ai abandonné au Tour des Alpes après avoir eu exactement le même programme que lui. C’est à dire le Tour du Haut-Var, le Tour de Catalogne et le Tour des Alpes. Cette année, il a fallu changer les méthodes d’entrainement pour appréhender les courses et les objectifs. On a tenté ce programme en allégeant le début de saison pour être frais dans le Giro et pour que Thibaut le soit en juillet.

« Ça m’a donné confiance »

Ce n’est pas frustrant de ne pas courir davantage ?

Ça ne m’a pas dérangé. On a fait des stages. Quand tu arrives pour disputer le Tour de Catalogne en World Tour avec seulement les deux jours du Tour du Haut-Var dans les jambes, tu te dis que ça va être dur et finalement, grâce aux stages et entraînements, la condition était bonne. Ça m’a donné confiance pour m’inscrire dans ce processus. Il faut du jus et de la fraicheur mentale pour bien atteindre nos objectifs. C’est le cas !

Tu sais combien de Grands Tours tu as disputés ?

J’en suis à huit Tours de France, c’est mon cinquième Giro et j’ai fait quatre Vuelta. Forcément, celui-là je l’appréhende différemment. Je le fais pour un leader du classement général et c’est différent quand tu viens pour un sprinteur ou pour toi. C’est un peu plus de pression. Quand tu apprécies la personne pour qui tu dois travailler, tu te mets plus de pression, tu mets tous les atouts de ton côté, tu donnes plus que pour toi-même. Je n’ai surtout pas envie de décevoir mon leader et tous les coureurs de l’équipe pensent comme ça. On fait confiance à Thibaut Pinot, il nous fait confiance et on veut que cette confiance mutuelle soit un bonheur commun.

« Thibaut gère de mieux en mieux son statut de leader. »

Comment avais-tu vécu sa quatrième place en 2017 ?

Ça a été une petite frustration parce que Thibaut aurait mérité d’être sur le podium. Il avait fait un super Giro, il aurait mérité la cerise sur le gâteau mais pour sa première expérience sur le Giro, c’était bien. Le fait d’avoir lutté pour la gagne il y a un an, d’avoir gagné le dernier Tour des Alpes même s’il faut relativiser, quand tu vois sa maîtrise pour gérer ses adversaires, sans paniquer, cela montre qu’il a conscience de ses moyens, que son expérience paie. Il gère de mieux en mieux son statut de leader.

C’est particulier de débuter le Giro en Israël ?

C’est spécial de partir d’aussi loin. En terme de climat, il y aura des températures de plus de 30°, puis on revient par la Sicile et on va descendre les températures en pouvant très bien trouver de la neige en troisième semaine au nord. C’est la mondialisation du cyclisme et l’argent qui veulent ça. On n’a pas le choix.

Le fait qu’il y ait un coureur de moins par équipe, cela ne te donnera-t-il pas plus de travail ?

Ca change la donne pour l’équipe et pour moi aussi. On peut être en difficulté. On l’a vu au Tour des Alpes avec l’abandon de Jérémy et moi le troisième jour. Tout de suite avec deux équipiers en moins, on a vu que c’est tendu. Sur trois semaines, ça peut aller vite. Forcément on est plus rapidement en difficulté à huit qu’à neuf. Toutefois, en terme de stratégie de course, sur un Grand Tour, ça ne va pas changer grand chose. Les équipes auront soit un sprinteur, soit un coureur de classement général à défendre. Les intérêts restent les mêmes, la façon de courir aussi.

« À huit, les liens sont renforcés. Chacun connaît son rôle »

Tu es un homme de la plaine, tu sais les étapes où tu seras mis à contribution ?

Je vais donner un coup de main dans les étapes de montagne notamment pour le placement mais c’est vrai, j’interviens plus dans les étapes en plaine, celles exposées au vent, avant les arrivées massives pour éviter les cassures. À huit, les liens sont renforcés. On vit très bien ensemble. Chacun connaît son rôle. Il n’est pas besoin de nous expliquer, il n’est pas besoin que les directeurs sportifs nous disent ‘’tu dois faire ça…’’ Ils savent qu’on est un peu en autogestion dans la course. Dans l’équipe, on ne peut pas dire qu’il y ait un capitaine de route, on apporte tous quelque chose au groupe et à Thibaut Pinot. On vit bien.

« Je vis le moment présent »

Tu vis ta quatorzième saison professionnelle mais tu fais preuve d’un enthousiasme réjouissant ?

Oui mais les jeunes, ça me pousse. Je ne regarde pas l’âge que j’ai. Je n’y pense pas. J’essaie d’être au niveau, je sais que des jeunes arrivent et que je ne peux pas me reposer. J’ai toujours eu besoin de la confiance de mes employeurs et de mes leaders. Je veux la justifier en ne les décevant pas. Un jour ou l’autre le maximum ne sera peut-être plus assez. J’en suis conscient mais je n’y pense pas. Régulièrement on me demande quand je vais m’arrêter mais je vis le moment présent. À la fin du Giro, j’aurais peut être pris un coup de vieux mais dans le groupe de Thibaut comme dans celui d’Arnaud Démare, c’est un plaisir d’être sur les courses avec des coureurs comme eux.

Tu as surmonté un accident très grave en 2015, un autre plutôt ennuyeux en 2017. Tu ne t’es pas découragé ?

Pour mon dernier arrêt, le temps m’a paru très long de la fin du Giro où la douleur au genou est apparue à la fin du mois d’octobre pour l’opération. Je passais des examens, j’avais cette douleur sans jamais réussir à en connaître la cause. J’enchainais les traitements qui ne faisaient pas effet, l’inflammation revenait. Le fait de ne pas connaître la cause du problème a été frustrant. Je voyais un chirurgien à Paris, j’insistais pour qu’il fasse une arthroscopie mais on ne voyait rien sur les images et il ne prenait pas de décision. J’ai fini par aller en Belgique, j’ai rencontré un spécialiste qui ne voyait rien mais m’a fait passer des examens. Il m’a dit ‘’on ne voit rien mais je sais ce que tu as. Je vais t’ouvrir là, sur 4 centimètres, le cartilage est abimé, on va le poncer, on va regarder les gaines où passent les nerfs’’. Il m’a dit après l’intervention que l’opération était obligatoire. J’ai été soulagé. Ce fut une longue période de doutes mais j’en avais vu d’autres… C’est quand même frustrant que tu sentes quelque chose et qu’on te dise ‘’non tu n’as rien’’. Je ne suis pas néo-pro quand même, je me connais bien. Je comprends maintenant que ça puisse vraiment retarder de jeunes coureurs qui ne se connaissent pas bien et qui s’entendent dire ‘’c’est dans la tête’’. Moi, j’avais connu pire et il me restait une année de contrat.

C’est dire que tu n’as pas beaucoup couru depuis un an ?

Il y a dix ans on disait il faut courir, courir et encore courir. Aujourd’hui on sait que ça ne sert pas forcément. Tu t’arrêtes longtemps, tu reviens frais sans avoir perdu ton potentiel. Les entraîneurs chez nous le savent et c’est pourquoi aujourd’hui on allège facilement les programmes. Je le disais pour commencer, je suis prêt !

Quand tu pars un mois, la valise est difficile à faire ?

Tu te casses la tête. Est-ce que je vais avoir assez ? C’est la question rituelle. La mienne est prête depuis plusieurs jours. J’ai pris trois maillots et deux combinaisons. Mes enfants ont préparé des dessins, j’aime bien ces petites attentions avant le départ mais moi, je ne prends rien de particulier. Je ne prends pas de Game boy ou la play station, je suis un peu dépassé. Je n’en ai pas à la maison.

Quel est ton souhait avant le départ de Jérusalem ?

Que Thibaut Pinot soit très heureux de son Giro. On le sera avec lui. Après, le résultat, s’il est battu par plus fort, c’est le sport. Si l’équipe a donné le meilleur d’elle même, c’est le principal.

Par Gilles Le Roc’h

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