Arnaud Démare a rarement abordé Milan-San Remo dans de telles prédispositions. Extrêmement confiant sur sa condition et dans le groupe qui l’entoure, le sprinteur picard sait avoir les armes pour à nouveau lever les bras sur la Via Roma, quatre ans après. Une ambition appuyée par les dernières semaines de préparation et le comportement exemplaire affiché par l’équipe depuis la reprise.

Ils s’étaient quittés après un séjour prolongé dans leur hôtel d’Abu Dhabi début mars. Plus de quatre mois plus tard, Arnaud Démare et ses acolytes se sont retrouvés au Grand Bornand, mi-juillet, pour un stage de « pré-saison » censé les mettre sur les rails pour Milan-San Remo, programmé à peine un mois plus tard. Un stage également appelé à initier une stimulation collective. « Le groupe est très solide, on se connait désormais très bien, mais il est clair que le stage a été très important pour se remettre dans une mentalité de course, explique Jacopo Guarnieri. Après les moments difficiles qu’on a passés, c’était génial de renouer avec cette vie d’équipe qui nous manquait énormément. Le feeling est très vite revenu. Sachant qu’on court ensemble depuis 2-3 ans, on met très peu de temps pour retrouver nos repères ». Dans les Alpes, Arnaud Démare a ainsi retrouvé ses coéquipiers habituels : Jacopo Guarnieri, Ramon Sinkeldam, Miles Scotson et Ignatas Konovalovas. « J’ai senti dès le stage que toute l’équipe était vraiment bien, assure-t-il. On sentait que le confinement ne nous avait pas perturbés ». « Là où j’ai été le plus surpris, c’était de retrouver l’équipe déjà bien bien prête lors du stage, abonde Jacopo. Cela veut aussi dire que les entraîneurs ont fait du bon travail. On s’est retrouvés avec une bonne forme collective au bon moment, ce qui signifie que les fondamentaux avaient déjà été faits et bien faits à la maison ».

« Cette confiance va nous suivre », Jacopo Guarnieri

Au sortir de six jours d’efforts et d’émulation collective, tous ont pu profiter de quelques jours de repos avant d’entrer dans le « vrai ». C’est sur le Tour de Burgos que s’est opérée leur reprise, et où leur puissance s’est exprimée la première fois. « On voulait reprendre directement pour gagner et c’est l’état d’esprit qu’on a montré à Burgos, souligne Arnaud. On a mis en place ce qu’on avait laissé en suspens à UAE, où on avait pas eu l’occasion de s’exprimer le dernier jour. Cinq mois après, on est repartis sur ce schéma et ça a fonctionné ». Piégé par Fernando Gaviria lors de la deuxième étape, ralenti par une chute lors de la quatrième, le Picard a malgré tout pu, à chaque fois, tirer satisfaction du comportement de son train. « Cette année on s’est dit : on fait notre course sans regarder les autres, ajoute Jacopo. Je crois que ce changement de mentalité se constate bien si on compare l’UAE Tour avec le Tour de Burgos notamment. On a aussi bien travaillé sur la vidéo pour analyser nos sprints et nos éventuelles erreurs. Pendant le briefing on se parle beaucoup, on confronte nos opinions et en sortant du bus, on sait comment on souhaite réaliser notre sprint. Quand tu as les idées au clair, et quand tu profites d’une forme physique comme on l’a actuellement, tout est plus simple : tu peux mettre en application le scénario que tu as en tête. Cette approche porte ses fruits et ça booste naturellement le moral de tout le monde. »

Ces paroles ont trouvé un écho encore plus concret lors de Milan-Turin, mercredi, où Arnaud Démare a été en mesure de lever les bras après une partition parfaite de ses équipiers dans les ultimes kilomètres. « On était super bien à Burgos, mais quand on gagne pas, on a l’impression qu’il manque quelque chose, confie Jacopo. Sur Milan-Turin, une belle Classique ProSeries avec un beau plateau, tout le monde a bien suivi les consignes et le résultat était au bout, cette fois. On est très content de la façon dont ça se passe actuellement. Cette confiance va nous suivre tout au long de la fin de saison et je pense honnêtement qu’on fait actuellement partie des tous meilleurs trains. On évolue vraiment à un super niveau ». « On a sorti un sacré sprint mercredi, acquiesçait Arnaud. D’un point de vue collectif, c’était très fort. Personnellement, j’ai réussi à me faire ma place et j’ai pu m’exprimer comme je le voulais, avec de bonnes jambes et une agressivité que j’avais peut-être un peu perdue ces dernières années. C’est aussi une preuve que le travail paie et qu’il ne faut pas baisser les bras. Il me manquait aussi une certaine confiance en moi et ça joue beaucoup. Repartir de zéro cette année m’a fait du bien ».  

« Ils sont tous au niveau maximal qu’ils peuvent m’offrir », Arnaud Démare

S’il a remis certaines choses à plat quant à l’entraînement ou la préparation, Arnaud Démare a également évolué sur ses priorités « Comme l’avait dit Nono en début d’année, l’objectif de la saison était de gagner. Gagner n’importe quelle course mais gagner, souligne Jacopo. De fait, on a eu une approche similaire à Burgos et à Milan-Turin de celle qu’on aura sur Milan-San Remo. Pour l’instant on peut dire que cette approche ne marche pas mal car on cumule une première place et deux deuxièmes places. Milan-San Remo est forcément une course importante, c’est notre premier gros objectif de la saison, mais on ne s’est pas pris la tête à ne parler que de ça. On savait que ça arrivait mais on voulait surtout essayer de gagner avant. C’est ce qu’on a fait ». Se présente donc désormais la Classicissima, où les cinq hommes cités précédemment recevront pour l’occasion le soutien – non-négligeable – de Stefan Küng. Mais ils ne seront que six, effectivement, eut égard à la décision de l’organisateur d’inviter deux équipes supplémentaires. « On va s’adapter, assure Arnaud. C’est nouveau pour tout le monde mais je ne pense pas que ça change énormément de choses. Cela va même sûrement brider un peu plus la course. L’échappée prendra moins de champ. Moins on a de coureurs, moins on va jouer… »

Outre la réduction du nombre de coureurs par équipes, le peloton devra composer avec un changement de parcours qui exclura le traditionnel Turchino et les Capi pour laisser place au Colle di Nava avant une longue redescente en direction de la Cipressa. Au bout du compte, les instants-clés demeurent, et aussi performant ait été le train d’Arnaud Démare dernièrement, il aura donc un tout autre rôle ce samedi. « Nous sommes tous des rouleurs-sprinteurs, dans le groupe, et cela a son utilité pour le placement, poursuit Jacopo. Il est certain que notre objectif ne sera pas de conserver quatre coureurs pour amener Arnaud à 200 mètres de l’arrivée. Notre objectif est de lui permettre d’être là à 200 mètres de l’arrivée. Notre tâche sera évidemment de le placer au mieux avant dans les deux dernières bosses, et surtout au pied du Poggio ». Ce sera ensuite au principal intéressé d’entrer en jeu. Et d’improviser. « Il va falloir se méfier de tout le monde, mais j’ai plus peur des puncheurs que des sprinteurs, confesse Arnaud. Ce sont eux qui peuvent dynamiter. Il faudra alors décider si on tente de suivre ou d’attendre. Ça se fera à l’instinct, et en fonction des coureurs présents. On ne peut pas trop faire de plans. Nos premiers objectifs, ce sont des objectifs de placement ».

L’objectif ultime est lui connu de tous. Quelques minutes après sa victoire à Turin, l’ancien lauréat de la Primavera confiait la sensation palpable qu’était la sienne quant à son groupe, pour lui un cran au-dessus des années précédentes. « Je me suis déjà senti aussi fort avant Milan-Sanremo, mais jamais aussi bien entouré, a-t-il répété en conférence de presse. Je peux compter sur mes équipiers encore plus que d’habitude. Ils sont tous au niveau maximal qu’ils peuvent m’offrir, et j’en tiens compte ». « Arnaud voit que ses équipiers sont en pleine forme, mais il ne faut pas s’y tromper, on se stimule mutuellement pour passer un palier et être plus performant, conclut Jacopo. On se tire tous vers le haut. Quand tu vois les watts que sort Arnaud à l’entraînement, cela te pousse encore davantage à t’entraîner pour répondre présent en course auprès de lui. Et cette mentalité-là, elle était présente dès le Grand Bornand ».

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