Après avoir défendu les couleurs de la structure Groupama-FDJ en tant que coureurs, ils sont nombreux à désormais officier dans l’organisation à divers postes. La reconversion au sein de l’équipe peut sembler naturelle, mais elle n’est pas pour autant anodine. Nous sommes allés à la rencontre de plusieurs de ces « reconvertis », à commencer par Benoît Vaugrenard, directeur sportif au sein de l’équipe WorldTour mais également co-responsable du suivi Juniors.  

Benoît, à quel moment de ta carrière as-tu commencé à songer à ta reconversion ?

Chacun a son propre timing. Certains attendent le dernier moment, d’autres anticipent assez tôt. Personnellement, j’y pensais depuis un moment. Avec les contrats de deux ans, on sait que tout peut s’arrêter assez vite. J’avais des idées en tête, puis au fur et à mesure, on fait le tri de sorte que ça aboutisse sur un projet plus concret. Ça a mûri quelques années avant ma retraite. J’en discutais aussi avec ma femme, pour savoir comment elle voyait les choses, si elle me voyait repartir. Je devais trouver ce qui était le mieux pour moi, mais aussi pour ma famille, car j’ai trois enfants. J’ai étudié un peu toutes les options, dans et hors du vélo, et au final, rester dans le milieu est ce qui me convenait le plus.

« On se rend compte que l’après est aussi voire plus important que la carrière »

Le sujet de la reconversion t’a-t-il toujours préoccupé ?

Au départ, on est un peu dans l’insouciance. Quand on passe pro à 20 ans, on ne réfléchit pas du tout à ça. Puis, au fil des années, via la famille et les amis, on voit aussi ce qu’il se passe à l’extérieur. On se dit que le métier de coureur est certes dur, mais qu’on a malgré tout une vie assez privilégiée. On se rend aussi compte que l’après n’est pas facile, et qu’il est aussi voire plus important que la carrière. C’est plus long, c’est différent, on n’est plus chouchouté, plus dans la lumière, plus autant reconnus. C’est une nouvelle vie. Quand on est coureur, on est dans sa bulle, mais en discutant avec des anciens pros, des directeurs sportifs, on réalise que la suite n’est pas simple. Au fil des années, tu commences à l’intégrer et à t’y préparer.

Qu’est-ce que ta carrière t’a apporté, au-delà de l’aspect sportif ?

Certains chefs d’entreprises m’ont déjà fait la remarque que le sportif de haut-niveau est pourvu d’un certain courage. Il faut s’entraîner dans le froid, tout seul. Malgré des avantages, il y a beaucoup de contraintes comme le sommeil, l’alimentation, le fait de partir de la maison. Il y a aussi le stress, la gestion de la pression. Ce sont des choses qui nous servent pour la suite. C’est un plus qu’on acquiert. Après avoir vécu de grosses compétitions, la boule au ventre, on réussit à bien gérer les moments de tension dans la vie d’après. On dit que le vélo est une école de la vie, et c’est vrai. La volonté, l’abnégation, le courage sont des qualités que le coureur cycliste peut exploiter dans sa vie future.

Concrètement, comment s’est opérée ta reconversion ?

J’ai pris ma retraite en 2019, mais j’avais déjà pris ma décision d’arrêter courant 2018. Un an en amont, je commençais à vraiment savoir ce que je voulais faire. J’ai passé mon diplôme d’État lors de ma dernière année pro, avec l’accord de l’équipe qui m’autorisait à suivre une formation. J’étais toujours coureur cycliste mais j’avais déjà un pied dans ma reconversion. Ma carrière était derrière moi, et ce qui comptait, c’était l’avenir. Lorsque j’ai passé mes diplômes, je ne savais pas si l’équipe allait m’engager, mais j’avais en tout cas vraiment dans l’idée de continuer dans le milieu, même amateur. Ces diplômes m’ouvraient pas mal de portes. Je pouvais aussi travailler pour une ville. Je savais que je voulais rester dans le cyclisme, et une fois mes diplômes en poche, il me fallait voir les opportunités qui se présentaient.

« On essaie de faire en sorte que ce ne soit pas écrasant pour les juniors »

Tu as finalement rejoint la Groupama-FDJ de manière assez naturelle…

C’était une marque de confiance de continuer avec l’équipe. Marc était venu me voir fin 2019 en me disant qu’il avait pour projet de remettre en route le suivi juniors. Il m’a laissé réfléchir, mais travailler avec les jeunes était clairement quelque chose qui m’intéressait. Je lui ai dit « banco », et on est parti, même si l’année 1 a été compliquée en raison de la pandémie. En tous les cas, ça s’est fait très naturellement. Le métier de directeur sportif m’intéressait évidemment, mais j’avais également cette volonté de voir ce qui se passait chez les jeunes. Je voyais qu’il était en train de se passer quelque chose avec les nouvelles générations, avec ces coureurs qui arrivaient très tôt à maturité, qui gagnaient de grandes courses très vite. J’étais curieux vis-à-vis de cela, je voulais comprendre le pourquoi du comment et aller voir de moi-même.

Ce qui nous amène à ton rôle aujourd’hui. Quel est-il ?

Sur le suivi Juniors, je travaille avec Joseph Berlin-Sémon, qui est entraîneur au sein de la Conti. Il y a d’abord une étape de détection. On suit les résultats, les compétitions, on se déplace sur les grandes épreuves. Puis, on se rapproche des parents, des clubs. On essaie de voir ce qu’on peut faire avec le gamin, en sondant son entourage, en lui demandant ce qu’il a envie de faire, comment il voit les choses. Il y a tout un processus d’approche. Ensuite, il faut voir si le projet intéresse les deux parties. Si tel est le cas, on peut travailler ensemble sur une ou deux années, lors desquelles on lui apporte un soutien au niveau du matériel, des stages, de l’entraînement ou de formations sur la diététique et la communication par exemple. Pour ceux dont on sent qu’ils ont la capacité, on peut ensuite leur proposer une place dans la Conti. Ça a notamment été le cas de Lenny Martinez ou Eddy Le Huitouze en 2022, ou de Jens Verbrugghe et Colin Savioz cette année. Le but est de gagner du temps dans la Conti : on les connaît déjà, on sait leurs qualités, leurs défauts, ils connaissent le fonctionnement de l’équipe, Besançon, le matériel, les entraîneurs. On essaie aussi de ne pas faire d’erreurs. Si on sent que ça ne colle pas, le coureur est aussi libre de rejoindre une autre équipe. On essaie le fait d’optimiser nos recrutements pour ne pas perdre de temps. Pour l’instant, ça se passe plutôt bien. Lenny est passé du suivi Juniors à la Conti, et de la Conti à la WorldTour. C’est le premier à avoir franchi tous les échelons.

Y a-t-il des points de vigilance avec les Juniors ?

On essaie de ne pas changer leurs habitudes, car ils sont encore jeunes, scolarisés et vivent chez leurs parents. On essaie de faire le plus simple possible. S’ils veulent bénéficier de nos entraîneurs, ce n’est en aucun cas un problème, mais on ne fait pas de courses en tant que Groupama-FDJ. Ils ont leurs propres courses avec leur équipe, ou leur sélection. C’est surtout de l’accompagnement. On se téléphone, on parle avec leur entraîneur, leur président de club, on se déplace sur les compétitions pour les voir, on les rencontre sur les stages. C’est une relation qui s’établit au cours de la saison. On voit leur évolution, on essaie de régler tous leurs petits problèmes, de les aider à progresser, de répondre à toutes les questions qu’ils peuvent se poser. On essaie de faire en sorte que ce ne soit pas écrasant. On ne peut pas non plus trop en faire, leur vendre du rêve ou les traiter comme des pros. On doit être hyper vigilants. On les suit en juniors, mais il n’y a aucune « promesse d’embauche ». Il faut trouver le juste milieu, les aider, les soutenir, sans en faire des tonnes. Ils ont une vraie chance, mais tout reste à faire, et c’est ce qu’il faut leur faire comprendre.

« Cette double casquette me plait bien »

Bien qu’ancien pro, as-tu eu besoin de temps pour t’approprier cette mission ?

Ça n’a pas été simple, c’est sûr. Ça fait désormais trois ans et le cadre commence à être très solide, on commence à avoir nos habitudes et à comprendre plein de choses. Forcément, ça ne se fait pas du jour au lendemain, et on commet des erreurs. J’ai aussi bénéficié de l’appui de Joseph, qui avait une certaine expérience avec les jeunes. Il faut deux-trois ans pour bien s’approprier le sujet, pour comprendre comment fonctionne la détection, pour savoir quels sont les écueils à éviter. On apprend au fur et à mesure. C’est à nous de comprendre pourquoi certains sont plus matures que d’autres, pourquoi certains explosent tout à 20 ans, pourquoi d’autres éclosent à 23-25, pourquoi nous avons aujourd’hui tant de Juniors qui passent directement en WorldTour alors que c’était impensable avant. Au départ, je n’avais pas de réponses à toutes ces questions. Désormais, j’en ai davantage, même s’il reste dur de prédire l’avenir et savoir comment évoluera un gamin.

Tu es également directeur sportif avec l’équipe WorldTour. Comment concilies-tu les deux ?

Ça peut paraître compliqué, mais pour le moment, j’arrive à bien le gérer. Le suivi Juniors me permet de voir autre chose et d’éviter d’entrer dans une routine. Ça change. On a par exemple fait un stage en Mayenne, et c’était comme revenir aux bases : on fait le linge, on passe un coup de chiffon sur le vélo, on fait les courses. Je trouve ça assez sympa, et cette double casquette me plait bien. Même quand je suis directeur sportif avec la WorldTour, j’aime me prendre 10-15 minutes pour regarder le classement des gamins. À chaque fois, j’attends vivement le dimanche soir pour regarder tous les résultats chez les jeunes. Ça me permet de me déconnecter un peu du schéma professionnel. C’est un bol d’air frais, et il ne faut pas oublier notre base. Ça permet aussi de discuter avec les présidents de club, les dirigeants, les bénévoles, et de comprendre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Il ne faut pas oublier d’où on vient.

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1 commentaire

milord

milord

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Le 22 novembre 2022 à 11:02

j adore le vélo je pratique encore le vélo a 72 ans j ai été coureur amateur dans ma jeunesse en caté 3 j aimerais suivre vos équipe cordialement guy milord