Ce samedi 22 juillet 2023, dans ses Vosges chéries, Thibaut Pinot n’a pas regoûté à la victoire. Mais il a vécu quelque chose de bien plus grand. En direction du Markstein, dans la dernière étape de montagne de son dernier Tour de France, le Franc-Comtois a usé de l’énergie qui lui restait pour se faire sa place dans l’échappée et se donner une ultime chance de briller. Devant ses supporters et une foule bruyante, venue en nombre et totalement acquise à sa cause, Thibaut Pinot a fait le spectacle. Une énième fois. Il est même passé seul en tête au sommet du Petit Ballon avant que les grands favoris ne se réapproprient brièvement la scène dans la montée finale du Platzerwasel. Car c’est bien lui, septième et plus combatif de l’étape, qui demeurera comme le principal protagoniste d’une journée qui restera à jamais ancrée dans les mémoires. À la veille des Champs Elysées, Thibaut Pinot figure au onzième rang du général, David Gaudu au neuvième.

« Je n’avais que ça en tête depuis quelques jours, j’étais pressé d’y être ». Thibaut Pinot le savait. Ses véritables adieux avec le Tour étaient pour ce samedi, dans une vingtième étape qui s’élançait symboliquement de Belfort, également ville-départ lors de son tout premier succès dans la Grande Boucle, en 2012. Soit le jour où son histoire avec le Tour avait débuté. La boucle se bouclait donc onze ans plus tard dans cet avant-dernier acte du Tour de France 2023, qui plus est sur ses terres, dans son massif voisin des Vosges. Il n’y avait donc aucune question à se poser, ni aucun doute à avoir : Thibaut Pinot allait peser sur cette journée. Il aura néanmoins d’abord fallu arpenter le Ballon d’Alsace et arriver dans le Col de la Croix de Moinats, après une cinquantaine de kilomètres, pour le voir dégainer. Le régional de l’étape a attendu son moment et s’est dès lors lancé en poursuite en compagnie de Valentin Madouas avant de profiter d’un gros relais de Stefan Küng, intercalé, avant le Col de Grosse Pierre. Le faciès rageur, Thibaut Pinot a alors fourni une vive accélération pour rejoindre les cinq hommes de tête, et son coéquipier champion de France l’a imité dans la phase de transition suivante. Le porteur du maillot bleu-blanc-rouge s’est alors immédiatement mis à plat pour son aîné, qui n’a pas non plus ménagé ses efforts face à un peloton seulement pointé à une minute et lui aussi décidé à se jouer la victoire.

« J’avais du mal à réaliser que tout ça était pour moi », Thibaut Pinot

L’échappée a ainsi beau eu se livrer pleinement, l’écart n’a que très sensiblement oscillé. Alors, dès le pied du Petit Ballon, Thibaut Pinot a demandé à Valentin Madouas d’hausser l’allure, avant de lui-même lancer l’estocade attendue par tout un peuple, notamment à l’approche du sommet où un virage lui était consacré. Le Franc-Comtois s’est ainsi délesté de ses compères échappés, les a relégués à trente secondes et a pu vivre une ascension comme il n’en avait jamais connue. « Ce n’était pas forcément calculé, mais si je voulais gagner, il fallait que j’attaque tôt », racontait Thibaut, toujours à la merci du peloton mais grisé par les émotions. « C’était incroyable de jouer l’étape devant ce virage et ce public, confiait-il encore. C’était noir de monde toute l’étape. Dans le virage, j’ai eu énormément de frissons. C’était une adrénaline incroyable, de la folie. C’est indescriptible. J’ai croisé des regards que je connaissais mais il y avait tellement de public que je n’ai pas pu voir tout le monde. Mais ils étaient là, et j’ai eu la chance de passer en tête. C’est peut-être la dernière fois que je vivais ça. Je ne sais pas si beaucoup de coureurs ont déjà connu ce que j’ai vécu, mais j’avais du mal à réaliser que tout ça était pour moi. J’avais juste envie de dire merci et de donner un peu d’émotions en échange ».

« Il va nous laisser autre chose », Marc Madiot

Ses supporters, et bien au-delà, ont largement été servis en la matière. Thibaut Pinot a ainsi basculé seul au sommet de l’avant-dernier col du Tour et s’est alors dirigé vers l’ultime ascension, celle du Platzerwasel (7km à 8%), dont le sommet précédait l’arrivée d’environ huit bornes. Peu après les premières rampes, Tom Pidcock et Warren Barguil sont parvenus à le rejoindre, mais surtout, la bagarre entre les favoris s’est enclenchée derrière et tout est alors devenu plus complexe. Jonas Vingegaard, Tadej Pogacar, Felix Gall ont rapidement comblé le trou, puis se sont logiquement dégagés à l’approche du sommet. Tenace, Thibaut Pinot s’est arraché à une trentaine de secondes mais n’a pu profiter d’une temporisation en tête pour revenir dans l’ultime portion menant au Markstein. Il s’est ainsi présenté sur la ligne au sein d’un deuxième groupe et obtenu la septième place du jour. « J’ai fait ce que j’ai pu et j’ai tout donné pour gagner devant mon public, soufflait-il. Malheureusement, quand Pogacar et Vingegaard veulent jouer l’étape, c’est compliqué pour les autres. Il me manque simplement un peu de jambes pour accrocher le groupe des meilleurs, mais je n’ai pas de regret et l’important était aussi ailleurs pour moi. J’ai pris du plaisir et c’était magnifique. Aujourd’hui, ça allait au-delà du résultat. Ce que j’ai vécu, c’est plus qu’une victoire ». Ce que Marc Madiot, très ému aussi ce samedi, résumait ainsi : « Le palmarès, ce sont des lignes sur des bouts de papier. Il n’a pas des dizaines de lignes, mais il va nous laisser autre chose ».

« Je voulais vivre ces dernières émotions, et je les aie vécues », Thibaut Pinot

À l’occasion de cette étape vosgienne, Thibaut Pinot a encore une fois, une énième fois apporté cette « autre chose », et même ses coéquipiers pouvaient en attester.  « On savait que ce serait une journée mémorable, Thibaut l’a rendue historique, lâchait Quentin Pacher. Il a fait du Thibaut et nous a fait vibrer une dernière fois sur ses routes, et sur le Tour. On y a tous cru, et j’ai gardé l’oreillette toute la course pour savoir ce qu’il se passait. C’était un truc de fou. Je ne sais pas si un coureur nous a déjà donné autant d’émotions dans un passé récent, et s’il y en aura un dans un futur proche. J’ai moi aussi profité de cette journée et on a tous essayé de l’aider. Valentin et Stefan ont été forts, et on s’est tous battus pour que cette journée reste, et elle restera quoi qu’il arrive ». Légitimement récompensé par le prix du plus combatif, Thibaut Pinot a enfin eu l’occasion de monter sur le podium dans un décor des plus familiers. « Je vais savourer, surtout dans cet endroit qui m’est si cher, glissait-il avant la cérémonie, au bord des larmes. J’ai le cœur serré car c’est fou d’être là… Ce sont mes routes d’entraînement, c’est le lieu que je préfère. Finir ici, c’est juste incroyable… C’est malgré tout une page de mon histoire qui se tourne ce soir, et c’est plus fort que ce que j’imaginais. Je voulais vivre ces dernières émotions, et je les ai vécues aujourd’hui. Elles resteront gravées pour toujours ».

Avant de rejoindre les Champs Elysées demain, Thibaut Pinot a remonté une place au général, siégeant désormais au onzième rang. David Gaudu, malgré une chute en descente, a pu limiter les dégâts ce samedi, grâce également au soutien de Valentin Madouas, et s’apprête à conclure le Tour de France en neuvième position.

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