Il voulait conclure son histoire tumultueuse avec le Giro sur une belle note, et il n’a pas failli. Ce samedi, Thibaut Pinot a répondu à ses propres attentes dans le terrible contre-la-montre en bosse du Monte Lussari, qui constituait la vingtième et avant-dernière étape du Tour d’Italie. Dans cette ultime journée consacrée aux prétendants du général, le Français, maillot bleu de meilleur grimpeur sur les épaules, a fait fi des trois dernières semaines mouvementées, éprouvantes, et des nombreux efforts consentis, pour livrer ses ultimes forces dans la bataille pour le top-5 final. Aérien comme à ses plus belles heures, le Franc-Comtois a fait sensation sur les dix-neuf kilomètres du chrono. Il en a même occupé la tête pendant quelques instants avant d’hériter d’une sublime cinquième place, qui lui permet ce samedi de s’adjuger le cinquième rang du général. À la veille de l’étape romaine, Thibaut Pinot est sur le point de faire des adieux mémorables à la « Corsa Rosa ».

« Ce n’était que de la souffrance », Bruno Armirail

C’est donc ce samedi, sur les terrifiantes pentes du Monte Lussari, que tout devait se décider dans la 106ème édition du Tour d’Italie. La victoire finale était bien évidemment encore en jeu entre Geraint Thomas et Primoz Roglic, mais Thibaut Pinot avait lui le regard braqué sur le top-5, à portée de vue depuis sa performance majuscule aux Tre Cime di Lavaredo vendredi. Au matin de cette vingtième étape, le Franc-Comtois n’accusait que dix-sept secondes de retard sur Eddie Dunbar, cinquième, mais il était lui-même dans la ligne de mire de Thymen Arensman, trois secondes derrière. Tout restait donc à faire sur les 18,6 kilomètres du parcours, dont les dix premiers étaient plus ou moins plats avant d’attaquer l’ultime ascension du Giro : 7,8 km à 11%, dont quatre kilomètres à près de 15% de moyenne. Il fallait ainsi se hisser à plus de 1700 mètres pour apercevoir Rome au loin, mais surtout pour terminer en beauté. En raison de la configuration des lieux, les coureurs devaient s’élancer en trois salves. Fabian Lienhard, Ignatas Konovalovas et Jake Stewart ont parcouru le chrono autour de midi, Rudy Molard s’est lui retrouvé dans le second groupe sur les coups de 14 heures, alors que Bruno Armirail et Thibaut Pinot étaient attendus bien plus tard sur la rampe de lancement, entre 16h30 et 17h. Le champion de France, seizième du général au moment de s’élancer, a d’abord signé un très bon temps sur la première partie, avant de concéder du temps dans le Monte Lussari.

À son arrivée, il accrochait malgré tout le sixième temps provisoire, en 47 minutes et onze secondes. « Cela relève plus du chantier que du chrono, souriait l’homme habillé en bleu-blanc-rouge après la ligne. C’est un truc pour pur grimpeurs, c’est super dur. Ce n’était pas un moment agréable. Ce n’était que de la souffrance. » Thibaut Pinot avait rendez-vous avec cette même souffrance, et pour la dernière fois sur un Tour d’Italie, à partir de 16h59 très exactement. Et très vite, le coureur de Melisey a montré qu’il était disposé à tout lâcher. À l’issue de la partie plate, il venait ainsi signer le quatrième meilleur temps provisoire (le huitième final, ndlr), qui le propulsait de la meilleure des façons avant la dernière montée. Puis, dans le juge de paix du Giro 2023, le Haut-Saônois n’a aucunement faibli. Il est au contraire encore monté en pression, au point de s’emparer du meilleur temps provisoire lors de l’intermédiaire situé à environ un kilomètre du sommet. Tout en souplesse et en vélocité, mais aussi avec les dents serrés, Thibaut Pinot a tout lâché jusqu’aux derniers mètres pour finalement couper la ligne avec un temps fabuleux de 45 minutes et 22 secondes. Seuls les quatre premiers du classement général ont ensuite pu le devancer, mais dans cet exercice de vérité, le leader de la Groupama-FDJ s’est donc flanqué d’un top-5 remarquable pour sa dernière lutte sportive sur la Corsa Rosa. Une bataille, pour l’occasion contre soi-même, qui lui a par ailleurs permis d’intégrer le top-5 du classement général au terme de ce vingtième acte.

« Je suis fier de n’avoir jamais rien lâché », Thibaut Pinot

« C’est une très très belle journée pour Thibaut, commentait Sébastien Joly. On ne peut même pas dire qu’il était motivé. C’était plus que ça. Il voulait faire le chrono de sa vie, et on peut presque dire qu’il l’a fait. Le parcours était atypique mais il lui convenait parfaitement, et il a sorti une très grande performance ». « Ce n’est peut-être pas le meilleur chrono de ma vie mais ça reste l’un des meilleurs, souriait Thibaut. Je savais qu’il pouvait me correspondre, que j’étais dans une forme ascendante et que je finissais très bien cette troisième semaine. C’était mon dernier chrono sur le Giro, ça m’a poussé, je voulais tout donner ! C’était violent, mais c’est un chrono que seul le Giro peut nous offrir, et moi j’adore ça ! » Son excitation s’est ce samedi traduite sur le terrain. Et dimanche, il validera son deuxième top-5 final sur le Giro à Rome. « Ce n’est pas un podium mais je voulais vraiment aller le chercher ce top-5, car il signifie quand même beaucoup pour moi, confiait encore Thibaut. Physiquement, c’est peut-être le Grand Tour que je finis le mieux. Ça montre que j’en ai encore dans les jambes ! J’y ai toujours cru, même quand j’ai eu mes jours sans. Je sais que sur le Giro, il ne faut jamais lâcher et que cela se joue sur les 2/3 dernières étapes. J’ai toujours cru en mes capacités, je savais que j’avais des bonnes jambes. Ce n’était pas non plus simple de jouer le maillot de meilleur grimpeur et le général. C’est donc une fierté d’avoir réussi ces deux missions. Je vais encore profiter pendant 24 heures, mais ce soir, je me sens apaisé. Je savais que je pouvais revenir à ce niveau-là, dans le top-5 d’un Grand Tour. Pour ça, je suis fier de moi. Je suis fier de n’avoir jamais rien lâché ».

Dimanche, le Giro se conclura donc devant le Colisée, et si Thibaut Pinot aura l’honneur de grimper sur podium protocolaire dans la soirée, une ultime étape sera toutefois à boucler avant cela. « Ça peut être une belle arrivée pour Jake, concluait Sébastien. Il jouera sa carte avec Fabian. Même si on sent que la pression retombe un peu ce soir, on tenait à ce que les deux restent focalisés pour demain, dans une arrivée très particulière. C’est scabreux. En 2018, l’étape avait été neutralisée pour ce qui est du général. On verra ce qui nous sera proposé demain, mais une chose est sûre, Jake est très motivé ». Quant à la victoire finale, elle reviendra demain à Primoz Roglic, qui a subtilisé le maillot rose à Geraint Thomas ce samedi.

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