Un nouveau chapitre s’est ouvert en 2024 pour l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, avec l’arrivée d’un tout nouveau partenaire cycles : Wilier Triestina. La marque centenaire italienne, installée en Vénétie, sait les défis nombreux dans cette fraîche collaboration. Dans cet entretien, son PDG et directeur des ventes Enrico Gastaldello nous présente d’abord la marque à la hallebarde avant de revenir sur les motivations et les ambitions de ce sponsoring.

Enrico, pouvez-vous nous dresser un petit historique de la marque Wilier Triestina ?

La maison Wilier a été fondée en 1906 à Bassano del Grappa par un entrepreneur qui s’appelait Pietro Dal Molin. Il a commencé à produire des cycles, et des informations dont nous disposons, l’entreprise a également fourni des moyens de transports aux forces armées lors de la Première Guerre Mondiale. Bassano del Grappa est une petite ville qui se trouve à dix kilomètres de Rossano Veneto, la commune où nous siégeons désormais, où je suis né, où j’ai grandi, et où ont travaillé mon grand-père et mon père avant mes frères et moi. Juste après la deuxième Guerre Mondiale, Wilier a commencé à sponsoriser une équipe cycliste professionnelle. Dès 1946, la marque avait son équipe sur le Giro. D’une certaine manière, Wilier a contribué à la relance du cyclisme et à sa popularité dans l’après-guerre. En Italie, on s’est évidemment beaucoup passionné par ce sport de par la rivalité Coppi-Bartali. Chez Wilier, il y avait le troisième « homme » du cyclisme italien : Fiorenzo Magni. Il était également très populaire car il essayait de se faire sa place entre les deux grands champions, et s’est d’ailleurs adjugé de grands succès comme le Giro 1948 et les Tours des Flandres 1949 et 1950. À cette époque, la marque a construit son histoire et s’est bâti une belle notoriété.

« Une première approche vers le sponsoring d’équipes dans les années 80 »

Quelle est l’origine du nom Wilier Triestina et de son logo ?

Wilier est l’acronyme de « W l’Italia liberata e redenta » (Longue vie à l’Italie libre et rachetée). Notre symbole est désormais la hallebarde de Trieste, mais si on regarde les symboles plus anciens de la marque, on trouve la bannière de Bassano del Grappa en plus de la hallebarde. Cette dernière trouve son origine sur le Giro 1946, auquel participait l’équipe Wilier. La douzième étape censée se terminer à Trieste fût interrompue en raison d’une manifestation politique. À cette époque, le territoire de Trieste était « zone neutre », contrôlée par les armées anglo-américaines. La ville était divisée en deux, comme Berlin. Il y avait des forces politiques de gauche, proches du communisme, et des restes des forces fascistes. Sur ce Giro 1946, ces problèmes politiques ont conduit à bloquer la course à quinze kilomètres de Trieste. Une « combine » a finalement été trouvée pour faire entrer une partie du peloton dans Trieste avec le leader de la Wilier en tête, un coureur de Trieste du nom de Giordano Cottur. Cette victoire a apporté beaucoup de joie à la ville et a calmé un peu les esprits. C’est ce pourquoi le fondateur de la Wilier a décidé d’associer le nom Triestina (qui signifie « de Trieste ») à sa marque.

Comment votre famille est-elle arrivée aux commandes de la marque ?

Dans les années 50, le « boom économique » est arrivé en Italie. L’entreprise est entrée dans une crise financière pour certaines raisons, notamment du déclin de l’industrie du cycle. La maison Wilier a fermé en 1958, et des années plus tard, le tribunal qui s’occupait de la faillite de l’entreprise a mis aux enchères la propriété de la marque. À l’époque, mon grand-père possédait un magasin de cycles à Rossano Veneto, où il faisait des réparations et fabriquait quelques vélos de sa marque privée. Il s’est jeté sur l’offre et a remporté les enchères. La famille Gastaldello est devenue propriétaire de la marque en 1969. Pendant quelques années, la société est restée assez modeste, se confinant à des ventes dans la province et dans la région. Elle ne faisait pas d’exportations, mais continuait de fabriquer le produit caractéristique de la marque, avec la couleur cuivre chromée caractéristique du vélo Wilier. Puis, l’entreprise a continué à grandir. Dans les années 80, mon père a opéré une première approche vers le sponsoring d’équipes avec la Mecap-Hoonved, puis se sont enchaînées plusieurs années de partenariat avec d’autres équipes. Durant les années 80-90, on a pu récolter quelques bons résultats, dont un championnat d’Italie. À la fin des années 90, la troisième génération, avec mes frères Andrea et Michele et moi, est arrivée. On a décidé d’entrer de manière plus sérieuse dans les affaires, même si, petits, on allait au magasin pour aider mon grand-père, mon père et mon oncle tous les étés. Ça nous a toujours plu, même si nous étions plutôt footballeurs (sourires). On aimait traiter avec la clientèle, générer quelques ventes, suivre quelques clients, et on nous envoyait aussi faire des livraisons en camionnette dans la région. On partait à 5 heures du matin avec un employé et ça ressemblait à des petites excursions. C’étaient des années complètement différentes.

« Après le Tour 1997, le marché international s’est ouvert pour la marque »

Sous votre direction, la marque est également revenue dans le vélo professionnel…

Tout à fait. On a fait grandir l’entreprise, puis en 1995, on a voulu sponsoriser à nouveau des équipes professionnelles car on aimait ce sport et on voulait tenter cette aventure. On a d’abord trouvé un accord avec l’équipe Brescialat, puis en 1997 s’est présentée une occasion en or avec la Mercatone Uno. Ils ont fait un pari en signant Marco Pantani et ont créé une belle équipe autour de lui. Il a malheureusement abandonné le Giro après qu’un chat a traversé la route. Ce jour-là, j’ai pleuré devant la télé. Il s’est remis pour le Tour, où il est monté en puissance, et dans la première étape alpestre vers l’Alpe d’Huez, a inscrit son nom dans l’histoire en établissant le record encore inégalé de la montée avec un vélo Wilier Triestina. Deux jours plus tard, il a remis ça à Morzine et consolidé son podium final. À la suite de ce sponsoring, on a continué nos ventes en Italie, mais on s’est aussi un peu exporté dans les pays voisins comme l’Autriche, l’Allemagne, la Slovénie. Des distributeurs ont également commencé à m’appeler des Etats-Unis, du Japon, d’Espagne et le marché international s’est ouvert pour la marque. Malheureusement, on était encore une petite société et on avait seulement un an de contrat avec la Mercatone Uno. Bianchi, qui était bien plus imposante, a repris le sponsoring l’année suivante et Pantani a fait le doublé Giro-Tour en 1998… On a donc repris un cycle de sponsoring avec la Brescialat, devenue Liquigas, puis Gerolsteiner, Cofidis, Lampre, avec qui nous avons construit un beau palmarès aussi. Ce fût aussi l’occasion pour nous d’investir dans un nouveau siège et de nouveaux produits, notamment off-road. Par la suite, avec la réforme du WorldTour, on est redescendu à l’échelon continental, et on a tenté de faire grandir une équipe Conti pro italienne avec Wilier Triestina-Selle Italia, pendant trois ans. Ensuite, on a souhaité reprendre notre ascension vers le haut et revenir dans le WorldTour. En 2020, cette opportunité s’est présentée avec Astana.

Quels vélos ont marqué l’évolution de l’entreprise ?

Outre celui de Marco Pantani pour les raisons évoquées précédemment, l’une des pierres angulaires de notre production a été le modèle Cento1, lancé en 2008 et propulsé par la victoire d’Alessandro Ballan sur les Mondiaux de Varèse. C’est le premier modèle qui a été pensé et conçu chez nous de A à Z. On a investi et cru dans ce projet, et ce fût un modèle important pour nous. Cela a lancé notre cheminement d’approfondissement au niveau esthétique, performance, ou encore du poids ou des matériaux. Un autre modèle très important fut le Cento10, en 2017, que Filippo Pozzato a été parmi les premiers à utiliser. On fût les premiers à intégrer les câbles dans le guidon. Je me souviens d’une photo où, sur l’une de ses premières courses, on voit Pippo montrer le vélo à Cancellara qui reste bouche-bée. Ce fût une belle nouveauté. Le Zero SLR, introduit avec le Team Total Direct Energies en 2019, a également été un beau produit, à succès, qui nous a permis d’acquérir encore plus de considération de la part du public, du peloton professionnel mais aussi des autres concurrents.

« Ça nous semblait être l’alliage parfait »

Quelle est la force de Wilier Triestina ?

Notre objectif est de fabriquer des produits qui satisfont le public et lui permettent d’atteindre de nouveaux objectifs. On souhaite fournir un produit esthétique, mais qui est aussi confortable et performant, permettant les plus grands succès aux équipes avec qui nous collaborons. On a démontré qu’on pouvait gagner et obtenir ces résultats très importants avec nos vélos. En dehors de ces aspects, en tant que marque italienne, nous voulons offrir une expérience et une attention au détail, comme des artisans modernes, peut-être un peu différentes par rapport à des grandes marques. J’aime dire que nous sommes la nouvelle génération de la meilleure industrie italienne de cycles. La force de Wilier est de proposer des vélos à la pointe de la technologie. Nous avons une histoire, une passion et une grande envie d’innover. De plus en plus de clients souhaitent partager leur passion avec une entreprise comme la nôtre.

Pourquoi avoir souhaité entamer une collaboration avec l’Équipe cycliste Groupama-FDJ ?

On recherchait une équipe parmi les meilleures mondiales, une équipe avec une tradition, une histoire mais aussi une équipe performante. On souhaitait négocier avec une équipe en prenant en compte son classement UCI, les perspectives, et l’investissement sur les jeunes talents. Tout comme nous, qui ne faisons pas partie des mastodontes du marché, la Groupama-FDJ ne possède peut-être pas encore le budget du top-3 mondial et doit emprunter un chemin similaire au nôtre : celui de l’investissement. Alors que nous devons investir sur l’innovation, eux doivent investir sur la jeunesse, découvrir des talents et les faire grandir. Ça nous semblait être l’alliage parfait par rapport aux caractéristiques de notre marque. Pour Wilier, c’est la bonne équipe au bon moment, du point de vue de nos ambitions et de notre position. Dès le départ, ça nous a semblé être un partenariat logique.

Initier une collaboration telle que celle-ci présente-t-elle des défis majeurs ?

Le démarrage est toujours la partie la plus difficile car les coureurs, habitués à un certain produit, doivent en changer. Les équipes sont importantes pour nous, leurs besoins également, et il faut pouvoir organiser les approvisionnements dans des timings honnêtes. La phase initiale est donc la phase la plus critique. Dans les faits, une fois le processus mis en route et après avoir bien fait connaissance, on n’a pas rencontré d’énormes difficultés. Il y a naturellement toujours des défis car il nous incombe de satisfaire les demandes particulières dans les temps les plus brefs possibles, mais j’ai la sensation que le partenariat a bien démarré. Quand il y a du changement, la première phase est aussi source d’enthousiasme. Il faut être à la hauteur de cet enthousiasme et ne pas faire d’erreurs. On sent la responsabilité, et pour l’entreprise, le sponsoring est fondamental. On a respecté les timings prévus, et les coureurs sont contents. Après la livraison de décembre, on n’a reçu que des retours positifs de la part des coureurs. On a senti un vrai enthousiasme concernant le vélo de route Filante SLR et le vélo de chrono Turbine SLR, et ça nous a rendu très fiers. On savait que le défi était d’autant plus important car on devait succéder à une bonne marque qui collaborait avec l’équipe depuis de très nombreuses années, et qui a contribué à de très nombreux succès. Ce n’était pas simple, mais on est sur le bon chemin. Je le note aussi vis-à-vis du public qui a commencé à remarquer le produit Groupama-FDJ. On a de bons chiffres de commandes sur ce produit.

« Si on fait notre part au niveau du produit, l’équipe fera aussi la sienne sur le terrain »

Justement, quelle a été l’inspiration pour dessiner le Filante SLR de la Groupama-FDJ ?

Nous avons trouvé quelques idées en nous inspirant de certaines marques de mode italiennes, notamment des chaussures avec une teinte un peu vieillotte et des nuances de couleurs qui donnent un côté usé. J’ai personnellement proposé d’imaginer quelque chose de ce type avec un dégradé qui rappelle les couleurs de l’équipe. Notre équipe marketing a également analysé les couleurs actuelles du World Tour, nous nous sommes rendu compte que le blanc était rarement utilisé, et nous avons pensé que cela permettrait de clairement distinguer l’équipe. Enfin, Groupama-FDJ a également joué un rôle en indiquant que le poids de la peinture était un aspect important à prendre en compte, si bien qu’au final notre vélo de route était parmi les trois plus légers de tout le circuit World Tour lors du Tour Down Under. En somme, toutes ces raisons ont conduit à la création de la livraison actuelle de la Filante SLR x Groupama-FDJ.

Qu’attendez-vous de la collaboration avec l’équipe ?

On espère une collaboration fructueuse, qui nous permette d’améliorer encore plus nos produits et de faire grandir la marque. Nous sommes d’ailleurs en train de finaliser des projets importants. Des nouveautés seront introduites en cours de saison. Les départements respectifs de R&D travaillent étroitement et on peut s’attendre à quelque chose entre le Critérium du Dauphiné et le Tour de Suisse. Puis, comme le Tour de France part d’Italie cette année, c’est une vitrine exceptionnelle pour faire connaître Wilier Triestina avec le soutien de l’équipe. D’un point de vue marketing, on attend une collaboration qui nous permette de créer des contenus adéquats et de grandir sur les plateformes digitales. L’objectif est double : renforcer Wilier Triestina dans l’innovation de ses produits, et on est convaincus que ça peut aussi être une vraie valeur ajoutée pour l’équipe, puis s’appuyer sur l’équipe pour développer des projets et des activités de communication, d’activation terrain, qui nous permette de bâtir un solide marketing. Enfin, nous partageons complètement l’objectif de l’équipe, à savoir d’aller sur les courses pour gagner, pas seulement pour participer. Nous sommes convaincus que si on fait notre part au niveau du produit, l’équipe fera aussi la sienne sur le terrain.

Il y a également un intérêt commun pour la Recherche & Développement…

Ce fût même l’une des premières conditions pour initier la collaboration. Que ce soit de notre côté, ou de celui de l’équipe, on cherchait un partenaire pour pouvoir grandir d’un point de vue de R&D. Pour nous, il est important d’avoir une équipe qui nous pousse à toujours faire mieux, et de l’autre, c’était important pour l’équipe d’avoir une entreprise capable de répondre à ses besoins. Dès l’accord finalisé, nous avons commencé à développer de nouveaux projets passionnants. L’équipe est en lien tous les jours avec l’entreprise pour améliorer tous les aspects des vélos. De ce point de vue, tout le monde est entièrement satisfait. La collaboration avec la Groupama-FDJ nous stimule à continuer notre parcours d’innovation et de développement, et proposer les meilleurs produits possibles, que ce soit pour les athlètes mais aussi les consommateurs.

« On espère que l’équipe pourra faire de belles choses sur le Giro et le Tour »

Avez-vous déjà échangé avec Stefan Küng, que l’on sait très impliqué de ce point de vue ?

On a rencontré Stefan en personne à Calpe quand on a été invités au stage. J’ai eu la sensation qu’il était agréablement surpris que nous, propriétaires de l’entreprise, soyons là pour nous exprimer et échanger avec eux dans le but d’améliorer leurs performances. C’est une valeur ajoutée que nous avons par rapport à d’autres grandes marques. Pouvoir parler en direct avec les propriétaires, émettre ses requêtes, et voir qu’il a en face des personnes qui apportent des réponses dans un délai respectable, j’ai vu que c’était important pour Stefan. Ça convainc aussi l’athlète que le produit a été développé comme lui le demandait. De manière générale, l’équipe apprécie beaucoup le fait que les décisions soient rapides, concrètes. Évidemment, on ne peut pas tout promettre, car certaines choses prennent plus du temps, mais si on est honnête et qu’on démontre qu’on met toute notre implication, cette valeur ajoutée peut faire la différence. D’un autre côté, c’est aussi à nous d’accueillir l’expertise de Stefan comme il se doit. Cela fait partie de notre croissance, il y a des marges de progression.

Quelle serait une bonne première année de collaboration pour vous ?

On serait déjà très satisfait si l’équipe pouvait plus ou moins confirmer sa position actuelle au niveau mondial et rééditer les résultats effectués l’an passé, avec une bonne visibilité sur les Classiques du Nord, où nous avons des marchés qui fonctionnent bien. Puis, on espère qu’elle pourra faire de belles choses sur le Giro et le Tour, et enthousiasmer le public. La seule chose qui me peine, c’est de ne plus avoir Thibaut Pinot. L’avoir dans son équipe, ou sur ses vélos, c’est quelque chose. Pour nous, c’est un peu dommage qu’il n’ait pas continué un an de plus (rires), mais quand je regarde l’équipe, je vois beaucoup de coureurs talentueux. Certains apporteront, j’en suis sûr, des satisfactions dans l’immédiat, et d’autres, je l’espère, dans un futur proche. D’ailleurs, le début de saison l’a prouvé. On espère que ça continuera comme ça.

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