En 2022, la « Conti » aura gagné deux fois plus que lors de ses trois premières années d’existence cumulées. Vingt-cinq victoires, d’innombrables podiums, des courses majeures accrochées au palmarès, douze coureurs sur treize victorieux et huit promotions au sein de l’équipe WorldTour. Un cru exceptionnel, sur lequel le directeur sportif Jérôme Gannat a accepté de s’arrêter longuement.

Jérôme, à froid, quelle note donnerais-tu à la saison 2022 de la Conti, sur 10 ?

Je m’approcherais clairement du 10, mais on ne peut pas non plus le mettre car rien n’est jamais parfait. Il reste toujours une marche pour atteindre l’excellence. Je dirais donc neuf.

Que manque-t-il ?

Je pense qu’en termes de résultats, il n’y a pas grand-chose à redire. Le petit point manquant se situe peut-être sur le Baby Giro, car même si on a réalisé de bonnes performances, on n’a pas pu ramener la victoire finale, qui était l’objectif majeur de l’équipe. À part ça, tous les objectifs ont été remplis. Nous avons gagné sur toutes les épreuves importantes du calendrier Espoirs.

« On a réussi à faire un groupe »

Aurais-tu pu imaginer une telle réussite en début de saison ?

On savait qu’on avait un bon groupe, de bons coureurs, mais je me rappelle m’être souvent posé la même question en février/mars : comment va-t-on faire pour que tout fonctionne correctement avec ces fortes individualités ? On avait un bel effectif mais ça ne garantissait rien. Il fallait que tout ce joli monde travaille ensemble pour que ça marche. C’était une nouvelle équipe, jeune, avec différentes nationalités, différents profils. On se doutait qu’on allait avoir des résultats, mais pas autant. Le nombre de victoires (25 sous le maillot de La Conti, 29 en comptant les équipes nationales) et le nombre de coureurs qui ont gagné au moins une course (12) sont des signes forts que tout a bien fonctionné. Surtout, je crois qu’on a réussi à faire un groupe. En deuxième partie de saison, c’est souvent plus délicat au niveau du collectif car il y a des intérêts plus personnels. Cette année, le fait que beaucoup aient signé dans l’équipe WorldTour et qu’on ait décidé de faire confiance à tous ces jeunes nous a aussi permis de prolonger la cohésion du groupe jusqu’au bout.

Quels moments forts de l’année te reviennent à l’esprit, instinctivement ?

Il y a la victoire de Romain sur Liège-Bastogne-Liège, où on a lancé une grosse offensive à 80 kilomètres de l’arrivée. On s’était retrouvés avec trois coureurs de l’équipe devant, et je crois que c’était assez impressionnant. C’est relativement rare d’avoir trois hommes dans une échappée de quatre qui part en costaud de cette manière. J’ai aussi en mémoire la veille de la dernière étape du Baby Giro. On s’était réunis pour faire le point. C’était un drôle de sentiment, car on était troisième au général, on avait fait de belles performances, réalisé de beaux numéros, mais on avait tous ce sentiment d’avoir un peu manqué le coche. Il nous restait cette dernière étape, Romain avait dit qu’on ne repartirait pas bredouille, et au final, Romain et Sam font premier et deuxième le dernier jour. Ces moments où on a pris le temps de faire nos propres analyses et relever nos erreurs ont été importants. On a fonctionné de manière à ce que tout le monde ait la parole, que le coureur ait la possibilité de s’exprimer durant le briefing pour aboutir à une stratégie construite ensemble. J’arrivais naturellement avec mes certitudes, mais nos discussions nous amenaient bien souvent à conforter mes choix de départ.

La Conti se donnait trois ans pour être la meilleure équipe de développement du monde. Y êtes-vous parvenus ?

Je suis toujours très prudent avec ça, car ça peut paraître prétentieux, mais cette année, je pense effectivement qu’on l’a été. Marc et Yvon nous disaient aussi qu’il nous faudrait environ trois ans pour arriver à un aboutissement. Ce délai a été respecté. Maintenant, quand on regarde tout ça avec un peu de recul, on sait aussi qu’on va repartir dans un nouveau cycle. On a atteint le statut qu’on désirait, mais comme dans toutes les équipes de développement, les coureurs ne restent pas dans le temps. On est arrivés à l’apogée, mais on repart sur quelque chose de nouveau.

« Tout le monde ne les attendait peut-être pas à ce niveau-là »

Parmi les raisons de votre réussite, tu as souvent évoqué la qualité de l’effectif.

Avec des coureurs comme Romain, on partait forcément avec beaucoup de certitudes. C’était sensiblement pareil, dans un autre registre, avec Lenny. Mais ensuite, quand on prend des coureurs Sam, Finlay, Enzo, Jensen ou Lorenzo, ce sont des coureurs qui ont énormément progressé et fait leur trou, entre le début et la fin de saison. Tout le monde ne les attendait peut-être pas à ce niveau-là. Romain et Lenny ont confirmé leur potentiel, et tous les autres ont progressé et passé un cap, ce qu’on espérait intimement. Je crois que c’est un fait majeur. Sam Watson a par exemple énormément progressé tout au long de l’année avec la Conti. Jensen Plowright n’avait pas gagné une course l’an dernier, et il est devenu l’un des meilleurs sprinteurs au niveau Espoirs. Reuben et Paul ont confirmé leurs performances passées. Le scouting et le recrutement ont été très bons à la base, mais on a aussi eu la capacité à les faire progresser.

Il a aussi fallu gérer les ambitions et les envies de chacun afin de créer une cohésion…

On a réussi à fédérer tout le monde autour d’un même projet, et je pense que l’identité Groupama-FDJ n’y est pas pour rien. Tout le monde pense que c’était une longue partie de plaisir, mais on a eu de longues discussions. Parfois, tout le monde n’était pas forcément d’accord, mais on a tous essayé de se parler, d’expliquer pourquoi on agissait de telle ou telle manière. Même si chacun avait sa part d’ambition, on parvenait toujours, à la fin des briefings, à s’accorder de jouer sur untel ou untel. Parfois, et c’était assez ambitieux, on se laissait aussi l’opportunité de faire le doublé. Tout le monde a réussi à mettre ses objectifs personnels de côté au profit du groupe à un moment ou un autre, afin de viser la victoire. On ne voulait pas faire 3-4-5, on voulait gagner. Je pense que le groupe a été réceptif à notre message, et je crois que le fait qu’ils habitent ensemble à Besançon a bien aidé. On a aussi essayé de leur faire comprendre, notamment en début de saison, qu’il y aurait toujours un retour positif, y compris pour un travail d’équipier. Le fait que douze coureurs sur treize aient gagné le prouve. Au bout d’un moment, celui qui avait reçu avait envie de donner. Lorenzo a par exemple beaucoup travaillé en début de saison, et les gars ont voulu lui rendre la pareille, et faire qu’il soit récompensé de son dévouement. C’est la même chose pour Enzo. On a aussi essayé, avec les sprinteurs, d’inverser les rôles de temps en temps, afin que chacun puisse donner ET recevoir. Les mecs savaient qu’ils auraient un retour, mais cette cohésion a été le fruit d’un gros travail. Ça ne s’opère pas naturellement chez les jeunes. Il fallait les responsabiliser. Ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique, du jour au lendemain. Ça se travaille et se peaufine tout au long de l’année.

Comment cette cohésion s’est-elle traduite en course ?

Les coureurs avaient le sens du sacrifice. Quand ils avaient un job d’équipier, ils le faisaient à 100%. On savait aussi, à chaque départ de course, qu’il y avait une possibilité de victoire, et qu’il fallait courir pour ça, et donc pour le meilleur coureur d’entre nous. Cette ligne directrice a été maintenue sur la quasi-totalité de la saison. Néanmoins, on n’a pas voulu fermer les portes. On aurait très bien pu désigner des leaders immuables toute l’année, mais je ne pense pas que ça aurait fonctionné si on avait agi de la sorte. On souhaitait que chaque coureur puisse s’exprimer individuellement et ait un jour la possibilité de gagner. La victoire procure une sensation tellement particulière, et en cela, c’est une vraie satisfaction que douze coureurs sur treize aient pu connaître cette sensation. On sentait aussi que lorsque l’un gagnait, tout le groupe était content.

« Une formidable opportunité pour l’équipe WorldTour »

Est-ce devenu un objectif de faire gagner tout le monde ?

À partir du milieu de saison, on a commencé à y penser. Ce n’était pas l’objectif prioritaire, mais ça pouvait être une consécration. Le fait d’avoir accroché beaucoup de victoires en début d’année et que beaucoup soient assurés de passer en WorldTour a aussi libéré tout le monde. On a sans doute couru de manière plus instinctive. Certains coureurs étaient conscients qu’il y avait des priorités dans l’effectif du début de saison, mais ils ont pu, en cours d’année, avoir leur propre opportunité de gagner avec l’équipe.

Les places disponibles dans l’équipe WorldTour pour 2023 sont-elles aussi une explication de votre réussite ?

Je me souviens du discours de Marc, qui avait vraiment insisté sur ce point. Le déroulement de la saison, à la fois dans la Conti et dans l’équipe WorldTour, a permis de libérer pas mal de places pour les jeunes. Je pense que le contexte a permis cette opportunité d’en signer huit. C’était presque la suite logique que ces coureurs-là évoluent en WorldTour, même si on sait très bien que tout le monde ne peut pas rester chez nous. Ceci étant dit, pour nous, staff de la Conti, quand on voit que 13 des 28 coureurs de l’équipe pour 2023 sont issus de la Conti, on se dit que oui, on a réussi. L’objectif reste de former des coureurs pour l’équipe WorldTour. C’est pour moi l’essence même de l’équipe. Pour l’instant, on peut dire que ça fonctionne très, très bien.

Mais pouvais-tu imaginer que huit coureurs de la Conti rejoindraient l’équipe WorldTour ?

On savait, au vu de l’effectif, que certains allaient rejoindre la WorldTour dans un avenir proche. Disons que leur formation a été accélérée. Pour certains, on s’était dit que ça allait peut-être être plus compliqué. On espère toujours qu’ils vont progresser, mais pour certains, la progression a été spectaculaire, et c’est ce qui leur a permis de signer dans la WorldTour. Aujourd’hui, huit coureurs font la transition, mais on en aurait sûrement pas mis huit en début de saison. C’est le travail, les entraînements, la vie à Besançon, l’environnement, qui ont fait évoluer le groupe vers ce point final. Je pense que c’est une formidable opportunité pour l’équipe WorldTour d’entretenir la vie de groupe de ces huit coureurs qui ont été ensemble pendant une grosse partie de la saison. Il y a quelques années, en football, on a vu que l’Ajax Amsterdam était devenu l’une des meilleures équipes d’Europe en alignant des joueurs tous issus de son centre de formation. Ce groupe a évolué ensemble dans toutes les catégories jusqu’à la Ligue des Champions. De la même manière, je pense que l’équipe WorldTour a là une très belle opportunité. En plus, les jeunes arrivent dans un environnement connu, ils ont tous fait des courses avec l’équipe WorldTour, ils connaissent tout le monde. Je pense que c’était vraiment le bon moment. Il y a eu un cru exceptionnel, et il fallait en profiter. C’est une opportunité qu’il fallait saisir à 200%. Cela va apporter un bon bol d’air frais à toute l’équipe, ce que Stefan Küng dit lui-même. Cela permet aussi à l’équipe de se projeter assez facilement sur 2-3 ans. 

« Faire éclore 2-3 coureurs, ce sera le challenge de ces prochaines années »

À la vue du bilan comptable 2022, l’appel de la victoire a-t-il supplanté la formation ?

L’objectif principal est de former. Maintenant qu’on a dit ça, si tu peux te former et gagner des courses, c’est encore mieux, et c’est ce qu’on a réussi à faire cette saison. Ce n’est pas contradictoire. On sait qu’on a vécu une année fantastique, et on était tous tristes de se quitter. Je pense, et c’est selon moi très important, que tout le monde a pris énormément de plaisir cette saison. Je pense qu’aucun coureur, ou membre du staff, ne peut dire le contraire. Or, cette notion de plaisir, à 19-20 ans, il faut à tout prix la protéger. J’ai toujours beaucoup insisté sur ce point, car ce qui engendre l’enthousiasme et la motivation, c’est le plaisir de faire du vélo et de courir en équipe. C’est vraiment important, car on sait aussi que tout se professionnalise davantage au niveau WorldTour. Tout le monde a pris énormément de plaisir, et avec le staff, je crois qu’on a réussi à faire aimer l’équipe aux coureurs et leur donner envie de rester.  

Fidéliser les coureurs, c’est aussi un objectif ?

Ça peut l’être, d’autant qu’il y a aujourd’hui une telle surenchère sur les contrats. On a déjà eu l’occasion d’en parler avec Marc. C’est aussi notre rôle à la Conti, de faire en sorte qu’ils aient envie de rester. Cela rejoint d’ailleurs le slogan de l’équipe : « l’envie de venir, le plaisir de rester ». C’est un point important, car on savait que tous ces jeunes auraient potentiellement des offres d’autres écuries, mais on souhaitait les imprégner de l’équipe, de notre passion du vélo, qui est peut-être différente de celle des autres. En y repensant, c’était aussi un petit défi. Il a fallu transmettre cette notion d’équipe un peu à part, où tout le monde est très professionnel mais où le fonctionnement reste familial et humain, afin que ça leur donne envie de rester.

Les places pourraient être plus chères dorénavant dans l’équipe WorldTour. Va-t-il falloir davantage cibler les besoins de l’équipe première ?

On va repartir avec un effectif où il n’y a pas de profil qui se dégage, mais ce sera aussi le rôle de la Conti de les spécialiser dans un domaine où ils peuvent l’exprimer le mieux. Faire éclore 2-3 coureurs, ce sera le challenge de ces prochaines années. Les besoins de l’équipe WorldTour vont être un peu différents. On l’a peut-être un peu moins fait cette année, mais auparavant, le but était qu’un coureur de la Conti intègre la WorldTour pour y apporter une plus-value spécifique : équipier, profil… Ce schéma devrait se reproduire sur les prochaines années. On n’aura pas des Romain ou des Lenny à chaque fois, mais il faudrait qu’on en retrouve d’ici 2-3 ans.

1 commentaire

Mary Pascal

Mary Pascal

Répondre

Le 5 novembre 2022 à 19:38

Superbe saison en effet, la formation paye !!!