Ce samedi à Monreale, Jacopo Guarnieri se présentera au départ du Giro pour la deuxième fois, simplement, de sa carrière. Le Transalpin l’a découvert sur le tard (l’an passé, ndlr) et il lui presse aujourd’hui d’entamer cette édition 2020 au sein d’une Équipe cycliste Groupama-FDJ pleine d’ambition. Fidèle poisson-pilote d’Arnaud Démare depuis 2017, Jacopo Guarnieri évoque en longueur « son » Grand Tour ainsi que la belle dynamique dans laquelle se sont inscrits le champion de France et son train depuis la reprise.  

Jacopo, quel est ton état d’esprit à l’approche de ce Giro 2020 ?

C’est d’abord curieux, car nous entrons dans une période où l’on part généralement en vacances. Ce sera étrange de ce point de vue. Nous n’avons pas l’habitude d’arriver au départ d’une course de trois semaines début octobre. Mais personnellement, en tant qu’Italien, je suis très excité d’y être, d’autant que l’équipe marche très bien et que nous savons que nous avons les possibilités de faire un très beau Giro. On a envie de démarrer cette dernière course de la saison ! En revanche, je suis un peu plus inquiet vis à vis de la météo, qui pourrait largement influencer la course. Il va faire froid, c’est une certitude. Il faut surtout espérer qu’il ne pleuve pas, et surtout qu’il ne neige pas. Faire une journée sous la flotte en octobre, ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable. Ceci étant dit, on devrait commencer sous la chaleur dans le Sud de l’Italie, où l’été n’est pas complètement terminé.

« Si tu veux gagner, tu ne peux pas être sentimental »

Es-tu également inquiet vis à vis du contexte sanitaire ?

Honnêtement, ça se passe relativement bien en Italie actuellement. Le nombre de cas positifs quotidien n’est pas extrêmement élevé, et j’espère que ça va continuer ainsi. Et puis il y a l’exemple du Tour. Il a débuté alors que la situation n’était pas la plus alarmante, et il a réussi à aller jusqu’à son terme malgré une croissance des cas pendant les trois semaines. On a donc vu qu’il était possible de faire un Grand Tour malgré le contexte. Je pense que ça a donné de l’optimisme à tout le monde. Il faut aussi dire que le Giro n’est pas seulement important pour les organisateurs, il l’est aussi pour l’État, pour les villes. Ça concerne toute l’Italie. Je doute qu’il y ait de vrais problèmes une fois qu’on sera entrés dans la bulle. Je crois qu’une fois lancé, ça ira au bout.

As-tu craint qu’il soit purement et simplement annulé ?

Oui, mais pour la saison de manière générale. Quand nous avons repris à Burgos, il y avait encore un peu de flottements, la situation n’était pas optimale. On ne savait pas comment gérer la chose. C’était une première, et à ce moment-là, on n’était pas forcément optimistes pour la suite. Il y a aussi eu des doutes sur le Tour de Wallonie, le Tour du Poitou-Charentes… Puis, fin août, on a compris qu’il était possible de « vivre » avec le virus, et c’est pourquoi nous sommes plus confiants aujourd’hui.

Ressens-tu un certain enthousiasme monter en Italie vis à vis du Giro ?

À dire vrai, je ne suis pas du genre à consulter les journaux sportifs tous les jours, et je n’ai même pas la télé. Maintenant, j’ai l’impression qu’il n’y a pas une grande différence par rapport à d’habitude. Je sens que dans le monde du vélo, il y a un vrai intérêt de voir le Giro se disputer. En Italie en revanche, tout tourne autour du football. Je n’ai pas le sentiment que la population réclamait que le Giro ait absolument lieu, même si tout le monde sera sans doute content de voir une manifestation sportive à la télé, ou bien près de chez soi. Je pense aussi que le rapport des Italiens au Giro est différent de celui des Français au Tour. En France, tout le monde se déplace car c’est aussi perçu comme une fête. En Italie, ce sont surtout les passionnés de vélo qui viennent voir la course. Pour cette raison, je pense que l’engouement sera plus ou moins similaire, puisqu’un passionné est tout autant passionné en mai qu’en octobre.

En tant qu’Italien, cela te procure-t-il une émotion particulière d’être au départ ?

C’est un peu spécial, mais j’approche cette course comme n’importe quelle autre. En début d’année, Arnaud a dit qu’il voulait gagner n’importe quand, et n’importe où, mais qu’il voulait gagner. Cette mentalité, ce n’était pas que la sienne, c’était celle de tout le groupe. J’arrive sur le Giro tranquille, serein. C’est une course évidemment importante, et on va l’aborder en tant que telle, mais si tu veux gagner, tu ne peux pas être sentimental. Il faut avoir la tête froide. On souhaite être le plus performant possible, et se laisser submerger par les émotions est le meilleur moyen d’être perturbé dans son approche.

« Chacun s’épanouit dans son rôle »

Y a-t-il une grosse excitation au sein du groupe ?

Très clairement. On est d’ailleurs restés en contact ces derniers dix jours, bien que nous n’étions pas ensemble en course. Nous arrivons avec un très gros moral car nous avons gagné partout, et c’est bien. Maintenant, il s’agit de la course la plus importante de l’année nous concernant. C’est différent pour Milan-San Remo, qui se déroule sur une journée. On se présente avec un train en très bonne forme et c’est clair qu’on a très envie de compétition, de se mesurer aux autres. Il y avait certes de beaux adversaires sur des courses moins huppées, mais il est évident que dans un palmarès, ce sont les grandes courses qui comptent. Et donc le Giro. Après San Remo, notre objectif était d’arriver au Tour d’Italie dans les meilleures conditions possibles. C’est notamment pour ça qu’on n’a pas disputé Tirreno, qui arrivait trop tôt, mais le Tour de Luxembourg. On s’est privés de belles courses, de belles opportunités, mais on a tout mis en place pour être à 100% au Giro. On arrive avec de l’ambition mais aussi de la pression, positive. La saison dernière, notre approche avait été plus délicate et on avait vraiment besoin de gagner. Cette année, nous avons aussi vraiment envie de gagner, mais nous avons la confiance en plus. Ces dix derniers jours, chacun a fait ce qu’il avait à faire à la maison pour être totalement opérationnel. C’est beau de voir comment le groupe, et en particulier les coureurs du train se sont stimulés les uns les autres.

Sur ce Giro, certaines équipes envoient une équipe B voire C. Arnaud, lui, aura tout un train à sa disposition.

Je crois que beaucoup de coureurs et d’équipes, craignant que la saison ne se soit vite abrégée, ont voulu tout jouer sur le Tour. Notre équipe est elle restée sur les plans de janvier, et notre objectif est clairement affiché quand on voit la composition du groupe : gagner des sprints. Les autres équipes savent que nous sommes là pour ça, et il ne fait aucun doute qu’ils vont jouer là-dessus. Étant donné que nous avons le train le mieux équipé, la responsabilité de la course va souvent nous revenir, mais nous avons les épaules suffisamment larges pour l’assumer. Aujourd’hui, beaucoup d’équipes jouent également sur plusieurs tableaux dans les Grands Tours. Nous avons fait un choix différent et nous nous y tenons. Le fait que nous ayons décidé de courir presque toute l’année ensemble illustre bien cette philosophie. C’est en faisant beaucoup de course ensemble qu’on trouve des automatismes. Des coureurs d’autres équipes, d’autres trains, viennent d’ailleurs nous le dire : « vous êtes forts, et vous avez la chance de beaucoup courir ensemble ». Cela joue énormément. Certes, on ne pourra pas toujours faire le train parfait, mais on met tout en place pour y arriver. Tout cela va beaucoup nous aider sur le Giro. On se connaît parfaitement, notre groupe est très soudé, et quand on se retrouve, c’est comme une réunion de famille. Rien n’a changé, et tout se remet en place très vite.

Comment expliques-tu le niveau atteint par le train cette année ?

Si le groupe autour d’Arnaud marche très bien, c’est certes dû à nos capacités, mais aussi à l’équipe qui a mis en place un programme de préparation très efficace. Ensuite, nous sommes tous habitués à rouler pour un leader, mais quand un groupe est aussi soudé, on a forcément envie d’aller plus loin dans l’effort. Aussi, chacun connaît son poste, et surtout chacun s’épanouit dans son rôle. On se fait déjà plaisir dans notre propre performance, mais quand ton leader ramène la victoire, c’est encore plus plaisant. On se tire tous vers le haut. Si l’autre marche fort, tu veux travailler pour atteindre son niveau. Quand on voit les jambes d’Arnaud cette année, ça pousse tout le monde à en faire plus. Au niveau tactique, on approche chaque sprint d’une manière différente. L’idéal est que l’on soit encore trois à la flamme rouge, mais il faut aussi parfois s’adapter au scénario et au parcours. Je crois que nous l’avons bien fait cette année. À chaque briefing, on parle entre nous de la manière dont on envisage le sprint. On a des idées, on les expose, on échange, puis on ajuste en fonction du déroulement de la course. Je pense que c’est aussi ce qui fait la force de notre train. Les automatismes prennent une part fondamentale de la performance. Dans le cyclisme de haut-niveau, aucun sprinteur n’est largement au-dessus du lot. C’est pour cela qu’il faut la bonne décision et le bon timing au moins autant qu’il faut les jambes. En plus de cela, nous avons décidé d’être plus entreprenants en course cette année, d’être plutôt dans l’action que dans la réaction. Enfin, on a tout axé sur le sprint. L’entraînement était quasi-uniquement orienté sur cela. Tout le monde a joué le jeu et je crois que les résultats sont là. Les hommes n’ont pas bougé, mais l’approche est différente et c’est ce qui nous a permis d’être performants depuis le début d’année.

« Il ne faut pas se brider »

Vos récentes performances vous accordent-ils plus de légitimité dans la préparation des sprints ?

On avait déjà notre place l’an passé, et même en 2018. On était toujours là parmi les meilleurs trains du monde. En revanche, ce qui change quand tu es aussi fort et que tu gagnes, c’est que les sprinteurs sans train jouent sur toi. On l’a vu sur nos premières courses. Certains avaient beau avoir un ou deux coureurs pour les emmener, ils préféraient rester derrière nous. Ça va peut-être encore être le cas sur le Giro, et ce sera à nous de faire en sorte de ne pas leur dérouler le tapis rouge. Ils sont au courant que nous avons un train entier dédié à Arnaud et nous n’aurons pas le droit à l’erreur.

Concrètement, quel est l’objectif principal que vous vous êtes fixés ?

Gagner des étapes. On a commencé la saison avec l’idée de gagner le plus possible et c’est ce qu’on va continuer de mettre en place sur ce Giro. Personnellement, j’espère que l’on pourra gagner plusieurs étapes. Il ne faut pas se brider en se disant « avec une ou deux, on sera contents ». On est en forme, il y a pas mal d’opportunités, alors pourquoi ne pas aller chercher le maximum possible. Derrière, si on gagne, le maillot cyclamen viendra naturellement et pourra constituer un autre objectif.

Sur tes terres, as-tu aussi un rôle de grand frère, voire de guide, à tenir ?

Evidemment. Après Burgos par exemple, je suis rentré à la maison alors que les autres sont allés directement à Milan-Turin. Je leur avais alors conseillé des endroits pour prendre le café, des coins à voir. Je suis aussi l’un des plus expérimentés du groupe, avec Kono. J’aime ce rôle, et je vais de nouveau l’occuper avec plaisir, aussi pour apporter ma connaissance du terrain. Je sais que quand je vais dans le Jura, même si l’altimétrie n’a pas l’air très compliquée, le terrain l’est. Il y a le même genre d’endroits en Italie. Il y a des régions où les parcours sont plus exigeants qu’ils n’en ont l’air sur le papier, d’autres où le bitume est plus glissant. Je ne connais pas toute l’Italie sur le bout des doigts, évidemment, mais je pourrai parfois apporter des infos utiles. Dans l’équipe, Benji vit aussi en Italie. Kono adore ce pays. Personnellement, je suis super content qu’on parte d’une belle région comme la Sicile. Je crois que les mecs vont beaucoup apprécier les endroits qu’on va traverser, surtout en première semaine. Il y a de magnifiques villes sur la route, comme Palerme, où l’on démarre, ou bien Matera. Tous aiment venir en Italie, bien qu’ils n’aient pas eu l’occasion d’y courir beaucoup dernièrement, et je pense qu’ils vont se régaler ces prochaines semaines.

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