Comme révélé cette semaine, l’Équipe cycliste Groupama-FDJ s’est assurée la présence pour trois années supplémentaires de ses quatre principaux leaders, à savoir Thibaut Pinot, Arnaud Démare, Stefan Küng ainsi que David Gaudu. Une série de prolongations qu’Yvon Madiot, directeur du pôle sport, a bien voulu décrypter, de manière générale mais aussi plus spécifique.

Yvon, les quatre leaders de l’équipe ont donc renouvelé jusqu’en 2023. Qu’est-ce cela veut dire de l’équipe et d’eux-mêmes ?

Je crois que cela veut dire la même chose, en fait. Il y a une vraie relation de confiance vis à vis du projet que nous proposons. De leur côté, ils ont confiance dans le fait que nous leur mettons tous les moyens à disposition, que ce soit sportif, technique, technologique, pour réussir. Inversement, nous leur faisons entièrement confiance, mais j’ai tout de même une préférence à dire que ce sont surtout eux qui adhèrent au projet, voilà la chose la plus importante. Il est évidemment indispensable que nous croyions en eux, et c’est le cas, mais ça me plait surtout de penser qu’eux se rendent bien compte qu’il y a ce qu’il faut chez nous pour arriver au plus haut.

« Ils sont conscients de ce qu’ils ont ici »

Des contrats de trois ans, ce n’est pas monnaie courante dans le cyclisme actuel.

Ce sont encore de jeunes coureurs. Thibaut vient d’avoir 30 ans mais il arrive tout juste à maturité. Il va désormais pouvoir exploiter la plénitude de ses moyens, et il est encore relativement neuf dans de nombreux domaines selon moi. C’est la même chose pour Arnaud. On ne le sent absolument pas en bout de piste, au contraire. Tous deux sont en pleine force de l’âge. David et Stefan sont bien plus jeunes mais nous avons des projets sportifs élevés et d’importance avec chacun d’eux. Pour Thibaut et Arnaud, c’est pour maintenant. Le stade d’évolution, d’apprentissage est bien terminé eux. Nous sommes vraiment dans le vif du sujet et il nous faut accumuler le maximum de résultats. Pour David et Stefan, c’est pour très bientôt.

Qu’ils prolongent en même temps, pour la même durée, cela signifie-t-il aussi que les leaderships sont bien partagés et compris ?

C’était important que chacun ait son registre, que les positions soient établies et annoncées. Ce sont des choses qui sont assez claires entre nous. Il y a aussi ce qu’on maitrise un peu moins, à savoir leur manière de travailler ensemble, leur faculté à trouver leur place. Cela relève aussi du côté intuitif de chacun, de sa capacité à mettre de côté son égo à certains moments, ou non. Pour eux, cela s’inscrit surtout dans un projet global. Pour les grands évènements mondiaux, on a besoin de coureur sur chaque terrain et aussi de faire tourner le compteur grâce à quelqu’un comme Arnaud. Qui plus est, ils sont capables de travailler entre eux, ils se connaissent très bien. De ce point de vue, c’est d’ailleurs assez rassurant de ne pas avoir un coureur dire « je m’en vais » car il y aurait une petite rivalité interne.

Comment expliquez-vous la fidélité de tous vos leaders ?  

Je pense qu’ils sont conscients de ce qu’ils ont. Ça discute beaucoup entre membres de différentes équipes pour savoir ce que chacun a ou va avoir, pour connaître la situation ici et là. Je ne vais pas dire qu’on est forcément mieux chez Groupama-FDJ, mais les coureurs savent ce qu’il y a ici, ils savent aussi très bien ce qu’il y a ailleurs, et le choix est visiblement vite fait, alors tant mieux pour nous. On constate que nous avons aussi de plus en plus de demandes de coureurs de l’extérieur. Il y a chez nous quelque chose d’assez stable même si l’équipe a énormément évolué ces dernières années. Il y a un esprit de famille mais dans un environnement hyper professionnel.

« La maturité de Thibaut va faire la différence »

Dans sa déclaration relative à sa prolongation, Stefan a d’ailleurs utilisé cette phrase dont l’équipe a fait sa devise : l’envie de venir le plaisir de rester.

C’est une phrase née dans la bouche de Marc, il y a très longtemps… mais qui est visiblement toujours d’actualité. L’idée derrière ça, c’est de proposer du professionnalisme avec un esprit de famille. Nous avons beaucoup progressé avec les différents pôles, nous disposons d’une équipe bien organisée et très professionnelle sur beaucoup de points, mais c’est cet esprit de famille, qui nous tient à cœur, qui incite aussi probablement les coureurs à rester. Nous sommes par exemple sensible au fait qu’un garçon comme Stefan, qui débarque chez nous en provenance une structure importante, décide au bout de deux ans de prolonger son contrat sans trop se poser de question. C’est très valorisant pour nous venant d’un coureur très reconnu, de très haut-niveau, respecté et sans aucun doute courtisé. Les autres sont là depuis le début de leur carrière mais se sont déjà certainement posés la question d’aller voir ailleurs. Ils se sont même certainement renseignés sur ce qu’il se faisait autre part, et malgré tout, ils décident aussi de rester. Cela veut aussi dire que ce qu’on propose est satisfaisant.

Pour Thibaut, cela doit-il être le contrat de la consécration ?

Notre travail est de le mettre dans de bonnes conditions, de proposer tout ce qu’il faut et de mettre tous les moyens possibles pour que ça marche. S’il signe, c’est qu’il valide le fait qu’il va trouver ce qu’il veut. Thibaut arrive clairement dans ses meilleures années et on ne va plus changer beaucoup de choses chez lui désormais. C’est sa propre maturité qui va faire la différence. Grâce à Thibaut, on peut même se projeter au-delà des trois ans. Car en plus de travailler avec lui, de lui faire entièrement confiance, ces trois ans de contrat nous serviront aussi à préparer le ou les coureurs qui prendront un jour son relais. Avec Thibaut, nous avons des bases très solides pour les prochaines années afin de pouvoir, sereinement et sans être dans l’urgence, continuer de le porter au plus haut tout en préparant un remplaçant pour les années futures.

À 30 ans, le meilleur reste à venir pour Thibaut ?

Thibaut a toujours besoin de voir, de comprendre et parfois de traverser un moment difficile avant de passer une étape. Avec lui, il y a toujours une phase de validation avant de monter à l’étage au-dessus. On franchit les marches les unes après les autres. Aujourd’hui, il est complètement prêt à réaliser de très grandes performances dans les plus grandes courses et on s’en est déjà aperçu ces dernières années.

« Arnaud est une valeur sûre »

La question du Tour a-t-elle été cruciale vis à vis d’Arnaud ?  

Non, car Arnaud veut surtout gagner des courses. Il souhaite évidemment revenir sur le Tour, et il y reviendra assurément, mais actuellement, tant que les parcours sont intéressants pour les grimpeurs, nous avons la volonté de travailler autour des grimpeurs. Si l’an prochain se profile un Tour avec moins de montagne, peut-être que nous repartirons sur une option à deux leaders ou une option orientée sprint avec un jeune grimpeur. On s’adaptera. Actuellement, nous sommes plutôt en réponse au parcours proposé par les organisateurs.

L’idée est d’encore conforter Arnaud dans ce rôle de sprinteur titre et pourvoyeur de succès ?

Tout comme c’est le cas avec Thibaut, avoir Arnaud Démare dans l’équipe est une assurance de résultats. Il n’a pas toujours été chanceux, mais ça va tourner, et il fait quoiqu’il en soit partie des meilleurs sprinteurs mondiaux. Bon an, mal an, depuis 2017, il a chaque année gagné une étape sur un Grand Tour. Ce n’est pas négligeable. C’est un grand professionnel et une valeur sûre, à qui il manque simplement quelques victoires, mais plutôt d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Arnaud a besoin de regagner 7-8 courses par an. C’est à nous de lui proposer des programmes et des propositions pour qu’il atteigne cet objectif. Il y a évidemment des Classiques qui lui conviennent très bien, comme Milan-San Remo, Gand-Wevelgem, Paris-Roubaix, auxquelles il pourra donc ajouter des épreuves qui lui correspondent pour gagner. Car c’est l’essence d’un sprinteur, et à cet âge là, il veut lever les bras régulièrement. On va essayer de se recentrer là-dessus.

L’équipe va aussi permettre à Stefan de s’épanouir davantage dans son rôle de leader ?

Stefan est encore jeune et il a encore besoin d’apprendre un petit peu, notamment vis à vis des Classiques qui prennent toujours un certain temps avant d’être pleinement maîtrisées. Il a en tout cas le potentiel physique, il a la volonté de bien faire et il lui manque encore un brin d’expérience pour confirmer tout cela par des résultats d’envergure. Maintenant, ce sont simplement des petits ajustements à faire, de la confiance à engranger. Contrairement à Thibaut et Arnaud, nous sommes davantage dans « l’affinage » en ce qui le concerne.

« David est un grand coureur »

Tu disais que son désir de rester était « valorisant ». Selon toi, qu’est-ce qui l’a amené à faire ce choix ?

Il a tout à disposition. Stefan est très demandeur au niveau de la technologie et du développement matériel. Il s’y intéresse, s’en nourrit beaucoup, et je pense qu’il a déjà trouvé chez nous, avec le pôle performance, des points d’amélioration. Il a aussi besoin de ça, de savoir qu’on travaille pour lui, et sur un matériel plus récent, plus avancé technologiquement. Il est dans la recherche de la perfection, et comme on l’est également, je pense que ça lui plait. Il n’aurait peut-être pas trouvé ailleurs ce qu’il trouve ici. Rares sont les équipes qui disposent d’un pôle performance orienté sur le matériel comme on peut l’avoir, où tout le monde participe, y compris les coureurs. Je pense que ça l’a beaucoup motivé dans sa décision, outre le sens du fameux « l’envie de venir, le plaisir de rester ».

A-t-il été aisé de conserver un jeune grimpeur talentueux comme David ?

Cela s’est fait très vite et très naturellement avec David. Il grandit vite, il grandit bien, et nous sommes aussi dans cette optique de le laisser évoluer, à son rythme. Nous avons Thibaut au top de sa forme, de son potentiel, mais nous laissons aussi à David l’opportunité de nous prouver sa valeur. Il a 2-3 ans pour finir d’éclore et atteindre son meilleur niveau. Il est en pleine croissance et suit complètement la feuille de route qu’on s’était ensemble fixé au départ. Il a déjà commencé à voler de ses propres ailes de temps à autres. Nous allons de nouveau le mettre dans de telles situations, avec des coureurs autour de lui, pour qu’il continue à grandir.

Avec des responsabilités de plus en plus importantes ?

Il aura bien sûr toujours plus de responsabilités, mais n’oublions pas que d’être auprès de Thibaut est aussi une grande responsabilité. Être capable d’accélérer, de dynamiter la course, dans un col décisif sur une étape du Tour, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est très dur, il faut pouvoir le faire. Il doit d’ailleurs encore un peu apprendre, dans ce rôle comme dans celui de leader à part entière, qu’il a déjà réussi à assumer de belle manière sur les deux dernières années (UAE Tour, Tour de Romandie). David est aujourd’hui un grand coureur. Le plus dur, désormais, c’est de gérer à la fois son travail d’équipier et son travail de leader. Je pense que dans les deux ans à venir, il aura la responsabilité du classement général sur un Grand Tour. Nous n’avons pas besoin de le bousculer, nous sommes largement dans les temps de passage. La marche qui lui reste à franchir, c’est d’être en pole position pour un Grand Tour. Et dans trois ans, quand son contrat et celui de Thibaut s’achèveront … on aura alors deux grands leaders pour les Grands Tours.

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