Anthony Roux n’a pas sorti son échelle de corde, il ne veut pas redescendre de son nuage. Vingt-quatre heures après avoir décroché son titre de champion de France, il savoure son bonheur avec sa famille mais parvient difficilement à réaliser. Même si ce maillot est la formidable récompense de bien des galères et de bien des années de travail.

Sur un nuage…

Anthony, vingt-quatre heures après, réalises-tu que tu vas porter le maillot bleu-blanc-rouge pendant un an ?

Je le comprends un poil plus qu’hier mais c’est compliqué. Aujourd’hui, je me sens super bien dans ma peau et c’est déjà ça. D’ordinaire, je me plains pour pas grand-chose mais là, je suis sur mon petit nuage. Il était prévu que je coupe maintenant et pour une semaine et ça m’aide à me sentir encore mieux.

Comment s’est déroulé ton retour dans le Var dimanche ?

J’ai raté le premier vol. J’étais sur liste d’attente pour le deuxième mais j’ai réussi à le prendre. J’ai retrouvé ma petite famille, ma femme, Lynaël qui a 6 ans et Calycia qui a 4 mois. Hier soir, mon fils dormait mais à deux heures du matin il s’est réveillé et m’a rejoint dans le lit. Ce matin, avant de partir à l’école, il a essayé le maillot, il a mis la médaille, il a fait le kéké. Je suis fier de lui offrir ça, c’est un moment spécial dans une carrière. Thomas Voeckler en 2014 m’avait parlé de son fils qui parlait d’Arthur Vichot qui était champion de France. Thomas lui a dit ‘’Moi aussi, j’ai été champion de France’’ mais son garçon n’en avait aucun souvenir… C’est bien, Lynael va s’en rappeler. Depuis l’an dernier, il est plus conscient de ce que représente le cyclisme. Il connaît les maillots du Tour. Ce maillot Bleu-blanc-rouge représente quelque chose pour lui.

« Je craignais le retour de Julian Alaphilippe »

Te souviens-tu que tu as franchi la ligne d’arrivée en ne cessant de répéter « non », « non », « non » ?

Il faut le dire, le sprint final, c’est un truc ce fou. L’effort lactique a duré trente secondes et plein de trucs me sont passés par la tête… Même des trucs insensés… Quand j’ai passé la ligne d’arrivée, je craignais encore le retour de Julian Alaphilippe… Je me disais ‘’il est où ?’’. Puis sur le plateau des Rois de la Pédale (Eurosport), j’ai vu les images et je me suis dit que j’aurais pu savourer encore plus. Ce championnat a été très éprouvant, avec une forte chaleur, j’ai fini déshydraté, je n’avais pas la force de lever les bras. Si j’avais lâché une main, je serais tombé… Bon, pour répondre à ta question, je me disais « non ce n’est pas possible ». J’avais perdu cet espoir. J’ai beaucoup espéré ce titre et il est arrivé après cinq ou six grosses déceptions.

C’était la course de tes rêves ?

Non, je ne peux pas dire ça, il n’y a pas que le vélo ou plutôt ma vie ne s’articule pas autour du vélo mais ce maillot était un but. Après ma victoire d’étape dans la Vuelta en 2009 à Talaveira de la Reina, à ma deuxième année professionnelle, je m’étais fixé des buts. D’abord le Championnat de France. C’est beau d’être champion de France… Et puis gagner une étape de chaque Grand Tour. Je ne suis pas en fin de carrière non plus et ce n’est pas impossible.

Malheureusement, il y a eu ce gros pépin dans un cyclo-cross à peine un mois plus tard. Tu as semblé avoir beaucoup de mal à t’en remettre ?

Cet accident où je me suis cassé deux vertèbres a ralenti bien des choses. J’espérais beaucoup après cette victoire dans le Tour d’Espagne. En 2010, j’ai fait une assez bonne saison compte tenu des circonstances. En 2011, j’ai obtenu six victoires mais il m’a fallu des années pour me remettre de mon mal de dos. En fait, je me suis senti bien à partir de 2016, c’est-à-dire sans douleur, sinon celle liée au cyclisme. Il faut relativiser, je pense à William Bonnet qui a encore du matériel dans le corps qu’on ne lui enlèvera jamais. Ce n’est pas mon cas.

Plus fort que la douleur…

Tu as aussi un problème à un talon qui perturbe chacune de tes saisons ?

Au début de cette année, j’ai eu en effet une période très difficile mais aujourd’hui, je me dis quel est le problème ? Dans mon esprit, c’est loin, mais c’était en mars. Et cette année, c’est la pire année. J’ai eu ce souci de talon, je me suis cassé une côte… Une bonne galère mais trois mois après, quel bonheur ! Maintenant j’en rigole… Après mon retour du Tour Down Under en Australie, j’ai touché le fond du fond et puis comme pour Arthur Vichot qui a lui-aussi accumulé les pépins, ça se passe bien. Et je sais que mon talon me fera encore souffrir parce que le problème n’est pas résolu. C’est très compliqué d’opérer ça. Réussir à avoir des chaussures sur mesure n’est pas simple. La solution pour moi est de déformer les chaussures standard. Ce dont je souffre s’appelle la maladie de Haglund. Une excroissance du talon liée au frottement de la chaussure. Je constate que de plus en plus de coureurs en souffrent mais les chaussures sont de plus en plus rigides aussi.

Comment as-tu géré ton programme après ta fracture d’une côte pendant Cholet-Pays de la Loire fin mars ?

Ça a été très dur à l’entraînement. J’ai débuté le Giro avec 10 jours de course dans les jambes. En même temps, ce n’était pas non plus de gros pépins, je ne me suis pas trop arrêté, même avec le talon. J’ai roulé avec des chaussures ouvertes. La côte cassée m’a empêché de courir, pas de travailler. Ce n’était pas facile ces longs mois d’entrainement… En revanche, une fois les Classiques Ardennaises qui se sont bien passés pour moi, c’était lancé pour le Giro. Et ce fut un Tour génial même si la fin, on la connaît tous.

Tu l’avais écrit sur twitter, ce fut l’une des grandes expériences de ta carrière. Pourquoi ?

Parce qu’on y a connu un ascenseur émotionnel. Avec mes copains de l’équipe Groupama-FDJ, nous avons fait un Tour à la Sky avec un leader digne d’être un leader. Tous les jours j’ai été en action, à bouffer du vent. Tous les jours, je finissais cramé, je n’ai jamais connu une journée off et c’était bon. Humainement aussi, c’était bon parce que nous sommes une belle bande de copains. Bosser pour Thibaut Pinot, c’est génial. Puis il y a eu cette dernière semaine où à peu près tout le monde a été malade. Thibaut rate son contre la montre et on pense que c’est fini. Puis il y a ce vendredi de fou où Thibaut prend le podium. Puis un terrible samedi. C’était horrible de vivre des moments comme ça, sur le vélo, et à l’arrivée en voyant dans quel état était Thibaut, le soir à l’hôtel. Tout ça nous a lié et ce sera fort de refaire un Grand Tour ensemble. On en tirera que du bon. C’est un enrichissement pour l’avenir.

« J’ai aussi fait des trucs avant »

Ce lundi, tu as fait une petite sortie avec ton maillot bleu-blanc-rouge ?

Non, je n’ai pas roulé avec mon maillot. J’attends avec impatience le colis de l’équipe. Je suis dans une semaine sans vélo et je sais que je vais gratter de la patte avant de sortir le maillot. Je pense même que ce sera bizarre de rouler avec. J’ai l’impression de me prendre pour quelqu’un d’autre même si ce n’est pas arrivé par hasard mais à la pédale. J’ai aussi fait des trucs avant. Je ne veux surtout pas le mésestimer mais Steven Tronet n’a eu que ça dans sa carrière et n’a pas été à la hauteur de son titre en 2015. Je pense que je suis un bon coureur et c’est une fierté de représenter la France qui est une grande nation du cyclisme.

Dans le final du Championnat, tu as eu des mots avec Julian Alaphilippe ?

Avec Julian, je suis copain. J’ai appris à le connaître pendant le championnat du monde en Norvège l’an dernier. Dimanche, à 4 kilomètres de l’arrivée, je lui ai demandé un relais. Il m’a répondu ‘’écoute grand, t’es plus fort que moi et tu vas aller au titre’’. Il avait peur de moi au sprint et on était deux contre un avec Rudy. Sur le coup, j’ai été énervé mais c’est de bonne guerre et c’est normal.

Dans le final, tu as parlé avec Rudy ?

Quand je suis revenu sur lui, je lui ai demandé de rouler, de m’emmener. Je n’étais plus trop moi-même avec la fatigue, je lui criais dessus, je l’encourageais, je ne voulais pas que la course s’arrête et permette des attaques. Je voulais un sprint lancé… je me sentais dans une bonne journée. En réalité, ça a été une journée idéale. Rudy l’a fait idéalement pour moi. À la fin avec Valentin Madouas et Arthur Vichot, on a produit la course parfaite. Valentin est de la famille pro, il n’y a pas grand-chose à lui apprendre. Il sait se faire mal, il est bon puncheur, bon grimpeur, un très bon coureur. C’est une pépite.

Il était assez symbolique de voir les quatre jeunes dans la grosse échappée du jour, Valentin, David Gaudu, Romain Seigle et Benjamin Thomas ?

Ils étaient désignés. En 2009, à Saint-Brieuc, j’avais pris l’échappée matinale et j’étais sur le podium le soir. Pour nous, il ne s’agit pas d’être présent dans l’échappée du matin mais d’être devant pour jouer le titre aussi. Il est donc important de mettre des mecs qui tiennent la distance, qui savent aller vite. Et puis quand ça rentre, qu’ils sachent se mettre chiffon pour aider les copains. Avec Valentin et David à l’avant on avait deux grosses cartouches. Valentin est un homme de championnat. Il tient déjà la distance…

Qu’as-tu fait depuis 24 heures ?

À part dormir, j’ai passé plus de temps à écrire et à téléphoner. Ça fait partie du truc. Hier, mes parents s’étaient retrouvés dans un village avec mes quatre grands-parents qui sont très amis. Ils étaient tous au même endroit et en plus il y avait la fête au village. Ils ont tout vécu en direct tous ensemble. J’imagine ce que ça a pu donner… À 23 heures j’ai appelé mes parents, la moitié de la famille avait bien fêté ça ! C’était chouette. Pour mes parents et mes grands-parents, c’est une fierté terrible. Mes grands-pères devaient bomber le torse lundi matin pour acheter leur journal. J’imagine ce que ça a pu donner pour les journaux locaux, pour un petit département comme la Meuse.

« Préparer la Clasica San Sebastian »

Parlons de la suite Anthony, quel sera ton programme ?

Je ne ferai pas le stage dans les Pyrénées avec l’équipe mais je vais disputer le Tour de Wallonie fin juillet pour débloquer les jambes et préparer la Clasica San Sébastien qui est un premier rendez-vous. Avant le Grand Prix de Plouay et les classiques du Canada. Normalement, je ne disputerai pas la Vuelta. Je vais aussi profiter du maillot dans quelques critériums mais sans me cramer. Encaisser et finir fatigué, ce n’est pas la peine… Je veux être opérationnel jusqu’à la fin de la saison qui est déjà super réussie. Le reste sera du bonus.

Donner une suite à ta quinzième victoire ?

Oui, la quinzième… La plus belle avec l’étape de la Vuelta dans son scénario où j’avais gagné mon étiquette de finisseur, de sprinteur long. Que puis-je espérer de mieux aujourd’hui ? Gagner une étape du Tour mais dans mon esprit, ça s’équivaut. Porter le maillot Bleu-blanc-rouge toute l’année, pfff…

Par Gilles Le Roc’h 

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