Unique coureur de l’effectif totalement étranger à l’organisation Groupama-FDJ avant la saison 2020, Fabian Lienhard n’aura pas eu l’occasion d’exhiber ses nouvelles couleurs très longtemps en compétition. Coupé dans son élan par la crise du coronavirus, le Suisse de 26 ans a malgré tout très vite trouvé sa place au sein de sa nouvelle équipe. À tel point que cet amoureux des Classiques a vécu les trois derniers mois avec beaucoup de sérénité et de confiance. Il l’évoque dans cet entretien au cours duquel il se dévoile aussi un peu plus largement au grand public.

Fabian, tu es actuellement en stage avec la sélection suisse. Dans quel but ?

C’est exact. Nous faisons un stage en altitude et notre hôtel est situé à environ 2000 mètres. À cause de la crise du coronavirus, la plupart des équipes ne peuvent pas organiser de rassemblements, la fédération nous a donc demandé si on voulait participer à celui-ci. Il y a huit vététistes, trois ou quatre pistards et trois ou quatre routiers, dont moi. L’objectif est de bien s’entraîner mais aussi de profiter des effets de l’altitude sachant que l’on dispose de beaucoup de temps en ce moment. Ça donne aussi un cap. Avant ça, je suis resté trois mois à la maison, alors c’est vraiment sympa de revoir d’autres gars et de m’entraîner à nouveau en groupe. Compte tenu de la situation, on a des chambres individuelles et on doit manger séparément. C’est forcément un peu spécial, mais ça fait du bien psychologiquement.

« Après deux semaines à Calpe, je me sentais déjà membre de cette famille »

Comment as-tu vécu ces trois derniers mois ?

J’étais censé faire les Strade Bianche mais ça a été annulé à trois jours du départ. À partir de là, je suis resté chez moi. En revanche, nous avons eu la chance en Suisse de pouvoir nous entraîner en extérieur et avec une personne maximum. Silvan Dillier vit près de chez moi et je me suis souvent entraîné avec lui. Mais dans un premier temps, l’entraîneur de l’équipe m’a dit que je pouvais prendre 10 jours de repos et ce fut une bonne chose. J’ai ensuite fait beaucoup de VTT et d’autres activités. Pendant 2-3 semaines, on pouvait rouler par simple plaisir et la météo était super ici. Depuis environ cinq semaines, on peut à nouveau s’entraîner à plusieurs. Il y a beaucoup de cyclistes professionnels dans les alentours, donc nous avons un bon groupe pour rouler. C’est évidemment dommage de ne pas avoir pu courir tout ce temps, mais pour moi ça s’est bien passé. Je pouvais sortir, je n’avais pas à être enfermé toute la journée à la maison et à rouler sur home trainer. Aussi, comme je suis nouveau dans l’équipe et que j’ai un nouvel entraîneur, c’était bien pour tenter de nouvelles choses. J’ai très envie de courir, c’est clair, je veux me montrer, mais je ne peux pas être énervé vis à vis de la situation. Je pense que j’en ai tiré le meilleur parti possible et je n’ai peut-être jamais autant profité à vélo.

Le fait d’être nouveau a-t-il joué sur ton approche de la situation ?

Je me souviens que c’était assez spécial au premier stage à Calpe car j’étais le seul à ne pas avoir de tenue Groupama-FDJ. Malgré tout, après à peine deux semaines en Espagne, je me sentais déjà membre de cette famille. J’ai aussi eu la chance d’aller en Australie avec l’équipe. J’y suis resté quatre semaines avec Jussi, les mécanos et six autres coureurs. C’était idéal pour s’intégrer. Sans ça, je n’aurais peut-être pas beaucoup connu les gars et cette longue pause aurait pu être plus compliquée. Grâce au stage et à cette campagne australienne, je me suis senti intégré très rapidement. Je suis très content de ma situation au sein de l’équipe aujourd’hui. J’ai également eu l’occasion de disputer le week-end d’ouverture en Belgique et j’ai même fait douzième à Kuurne. Ce n’était pas un excellent résultat mais j’ai quand même pu me montrer. Mentalement, c’était donc plus facile pour moi d’aborder cette période sachant que j’avais déjà réalisé un petit quelque chose avec l’équipe. Sinon, j’aurais eu l’impression de repartir de zéro au moment de nous retrouver.

Tu as signé ton contrat il y a près de 9 mois et tu n’as disputé que 10 jours de course avec l’équipe. C’est une situation étrange ?

J’étais, entre autres, censé faire les Classiques avec Stefan. Ça aurait été ma première fois sur ces courses et j’y ai pensé tout l’hiver, j’étais ultra motivé. Puis tout s’est arrêté. Quand on a appris que toutes les courses étaient reportées ou annulées, j’étais naturellement très frustré de ne pas pouvoir courir avec mes nouveaux coéquipiers. Heureusement, être dans une équipe si solide avec des sponsors tout aussi solides m’a aidé à me détendre. Je pense effectivement que cela aurait été très étrange si je n’avais eu que deux ou trois jours de course au moment de commencer cette longue trêve et ne plus voir quiconque de l’équipe pendant quatre mois. Outre Stefan et Kilian, que je connais bien, je suis aussi en contact avec des gars du Tour Down Under par exemple.

« C’était ma dernière chance de rejoindre le WorldTour »

La partie course n’est donc pas si nécessaire pour s’acclimater à une nouvelle structure si le reste se passe bien ?

Absolument. Dès le premier stage, j’ai pu me faire une première idée de l’équipe. C’était à la fois vraiment professionnel et très familial. Je l’ai aussi remarqué durant cette période sans compétition. Marc Madiot m’a appelé plusieurs fois et je ne pense pas que tous les managers ont appelé leurs 28 coureurs au cours de cette crise. Nous sommes aussi très chanceux d’avoir ces sponsors, qui ont signé des contrats longue durée avec l’équipe. C’est une fierté de faire partie d’une équipe avec des sponsors si engagés et un management, des entraîneurs et des directeurs sportifs qui vous appellent presque chaque semaine pour s’assurer que tout va bien. C’était agréable de se sentir autant soutenu pendant cette période. Et puis quand ils m’appelaient, j’avais cette impression que j’étais dans l’équipe depuis 2-3 ans. Ça n’avait rien d’un appel forcé, c’était vraiment un appel à un membre de l’équipe.

Est-ce spécifique à l’organisation d’une équipe WorldTour selon toi ?

Je pense que l’équipe a une base extrêmement solide, ce qui nous permet, à nous coureurs, d’être vraiment détendus. Je sais que d’autres gars avec qui je m’entraîne tous les jours sont plus nerveux. Ils ne savent pas ce qu’il adviendra de leur équipe l’an prochain en raison des problèmes économiques… Pour notre part, il ne semble pas que l’équipe s’apprête à faire face à d’énormes problèmes. Il est donc pour nous plus simple de gérer ces quatre mois. Pendant cette crise, j’ai dû dire une dizaine de fois à mes amis que j’avais fait le bon choix. J’ai dit à tout le monde que j’avais de la chance d’être ici, que j’avais l’impression d’avoir tiré les bons numéros du Loto. J’étais déjà fier quand j’ai signé mon contrat, car cette équipe est dans le vélo depuis toujours, mais quand on voit qu’ils prolongent leurs grands leaders pour une longue durée malgré la situation, ça conforte encore davantage. 

Tu arrives dans le WorldTour à 26 ans. Atteindre ce niveau a toujours été ton objectif ?

J’étais un coureur correct chez les Espoirs. J’ai terminé sixième des Mondiaux à l’époque et j’ai rejoint la BMC Development Team. J’ai ensuite été stagiaire dans l’équipe WorldTour et j’ai toujours rêvé d’atteindre ce niveau, oui. Ça ne s’est jamais produit avec eux. Je marchais bien mais pas assez pour leur montrer ce que je valais vraiment. En plus, nous n’avions plus d’équipe en Suisse après l’arrêt de IAM Cycling. Derrière, si tu veux intégrer une équipe étrangère, tu dois en fait être plus fort que les jeunes de ce pays. Mais j’adore le cyclisme, mon père était aussi coureur pro et je n’ai jamais lâché. En février 2019, mon père est décédé d’un cancer, dont il souffrait depuis un an et demi. Au cours de cette période, je n’étais pas complètement libre dans la tête et je ne m’étais pas entraîné du tout l’hiver précédant son décès. J’étais constamment à l’hôpital. Mais à quasiment 26 ans, je savais aussi que c’était plus ou moins ma dernière chance de rejoindre le WorldTour. Ensuite, c’est généralement trop tard pour accéder à la première division. Quand mon père est décédé, j’ai eu ce surplus de force et motivation pour accomplir quelque chose. J’ai donc tout donné au printemps dernier, puis j’ai eu l’opportunité de courir le Tour de Suisse avec ma sélection nationale. J’ai fait trois top-10 et j’ai pu montrer un peu de quoi j’étais capable. Bien sûr, il y a aussi eu Stefan… On a le même âge, on court ensemble depuis longtemps et Marc lui a posé des questions à mon sujet. Stefan lui a raconté mon histoire, le fait que j’étais proche de signer en WorldTour presque chaque année… Finalement, j’ai pu signer dans l’une des meilleures équipes professionnelles. Je pense même que c’est la meilleure compte tenu de la façon dont ils gèrent cette étrange saison.

« J’ai l’impression d’avoir encore 20 ans »

En arrivant ici, quels étaient tes objectifs et ceux de l’équipe?

Après le Tour de Suisse 2019, et même l’année précédente, j’ai réalisé que je pouvais être un honnête sprinteur, que je pouvais m’illustrer lors d’arrivées groupées, même si je n’ai jamais gagné de très grosses courses. Quand ils m’ont proposé de rejoindre l’équipe, et compte tenu de mes capacités pour me placer, ils m’ont demandé d’être poisson-pilote pour un autre coureur, à savoir Marc Sarreau. Je me suis dit : « C’est quelque chose que je peux vraiment bien faire s’ils me laissent un peu de temps pour apprendre ». Aussi, juste après mon premier échange avec Marc Madiot, Stefan m’a appelé et m’a dit que je pourrais peut-être avoir l’opportunité d’intégrer le groupe des Classiques. Ce double objectif m’a énormément motivé. Je ne suis pas vraiment quelqu’un qui va dire « je veux gagner les plus grandes courses ». J’aime vraiment aider les autres. C’est ma mentalité et je sais qu’ils aiment aussi ce genre de coureur dans l’équipe. Il n’y a pas que les résultats personnels.

En signant chez Groupama-FDJ, ton intention était aussi de franchir un cap physique?

Absolument. J’ai couru chez BMC pendant un an et c’était vraiment professionnel, mais j’ai ensuite été dans des équipes plus petites. Lorsque tu fais partie d’une grande formation, tu as tout ce qu’il faut pour devenir un meilleur coureur : un entraîneur personnel, un directeur de la performance, un meilleur soutien sur les courses… Si tu as l’occasion de rejoindre une organisation comme celle-ci, même à 26 ans, tu seras forcément plus fort un ou deux ans plus tard. J’espère bien que ce sera mon cas. Il y a deux ans, c’était un peu délicat pour moi car j’avais des résultats mais je n’arrivais pas à décrocher un beau contrat. Maintenant c’est fait, et compte tenu de mon historique, je suis potentiellement plus motivé qu’un gars qui signerait le même contrat à 19 ans. J’ai l’impression d’avoir encore 20 ans et j’espère que j’ai encore beaucoup d’années devant moi pour apprendre et progresser physiquement. Je suis simplement heureux de faire partie de cette équipe et d’être dans cette situation aujourd’hui.

« Kuurne, c’est une histoire sympa »

De manière générale, comment as-tu vécu tes premières courses ?

Au Tour Down Under, c’était génial. J’ai pu apprendre énormément auprès de Jacopo quant au travail que j’aurai à faire au cours des prochains mois. C’est un mec super sympa et il m’a donné toutes les astuces nécessaires au rôle de poisson-pilote. Aussi, moi qui faisais habituellement partie des outsiders face aux « grands », je faisais désormais partie des « grands », et on vous respecte plus dans le sprint avec le maillot Groupama-FDJ que quand vous roulez pour une Pro Conti. Lors du week-end d’ouverture, j’ai eu un peu de mal à me placer et je ne connaissais pas très bien le parcours sur l’Omloop Het Nieuwsblad. Néanmoins, dès le lendemain, j’étais déjà plus à l’aise et j’avais été très surpris de pouvoir finir douzième. Ce n’est pas un énorme résultat mais quand on voit les gars devant moi, ça reste très correct pour un gars nouveau dans le WorldTour et dans son équipe. C’était un jour assez spécial. J’étais fier de porter ce maillot et de voir des gars comme Stefan Küng ou Tobias Ludvigsson bosser pour moi pour les derniers kilomètres. Quand on reçoit de l’aide de ces mecs-là, on veut forcément faire top 10, mais on se rend compte avec le recul que ce n’est pas si mal. À l’origine, j’étais là pour aider Marc [Sarreau], mais il était malade ce jour-là et à 20 kilomètres de l’arrivée, on m’a dit que je pouvais faire mon sprint. J’étais nouveau dans l’équipe, là en tant qu’équipier et j’ai finalement eu l’occasion de jouer ma carte. C’est une histoire sympa. Je me souviens aussi que j’étais un peu déçu dans le bus mais Marc [Madiot] est venu vers moi et m’a dit « pour ton premier week-end en Belgique, 12e c’est très bien ». Si le grand patron le dit, alors ce n’est peut-être pas si mal.

Les Classiques pavées sont-elles les courses qui t’attirent le plus?

J’adore la mentalité et l’atmosphère des Classiques flandriennes. J’ai fait beaucoup de cyclo-cross plus jeune et j’ai donc passé beaucoup de temps à m’entraîner sur ces routes. Je connais certains monts et j’ai même fait le Koppenbergcross chez les Espoirs. Pour moi,  regarder les classiques printanières à la télévision a toujours été le meilleur moment de l’année. J’ai enfin cette chance de dire à mes amis « je pars pour les Classiques ». Quand des gars plus âgés me disaient la même chose avant, j’étais jaloux. Je me disais « moi aussi je veux faire ça ». Pour moi, elles sont plus belles que n’importe quelle autre course. Chaque dimanche, on a ces grandes courses en Belgique. Pour un cycliste, c’est quelque chose de fort. Le cyclo-cross m’aide un peu en termes d’agilité mais j’ai encore besoin d’engranger de l’expérience. Découvrir ces courses à 22 ou 26 ans, ça change tout. L’année prochaine, je veux encore davantage m’investir pour connaître les parcours etc… Mais en tout cas, j’ai déjà senti que j’avais appris entre l’Omloop Het Nieuwsblad et Kuurne.

À quel rôle aspires-tu au sein de l’équipe ?

Mon premier objectif est d’apprendre le plus vite possible afin de devenir l’un des meilleurs poisson-pilotes. Je veux vraiment être un bon lanceur pour Marc et l’aider à gagner un maximum de courses. En plus de cela, Stefan a signé pour trois ans et comme je l’ai déjà dit, j’adore vraiment les Classiques. Quand on voit comment Stefan a progressé depuis qu’il a rejoint l’équipe l’année dernière, j’espère faire de même, notamment grâce à sa motivation et son professionnalisme. Nous voulons construire une belle équipe pour ces courses et être capables d’être à ses côtés lorsqu’on entre dans le vif du sujet.

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