Première Vuelta, premier Grand Tour, et le voilà déjà dans les livres d’Histoire. Du haut de ses 20 ans, Lenny Martinez a fait une entrée remarquée dans les annales de son sport ce jeudi, à l’occasion de la sixième étape du Tour d’Espagne 2023, en devenant le plus jeune leader de l’histoire de l’épreuve. Membre d’une échappée fleuve, le jeune homme a pleinement profité du soutien de Rudy Molard et Michael Storer à l’avant, puis a merveilleusement conclu le travail en s’adjugeant la deuxième place au sommet du Pico del Buitre, tout en s’arrachant jusqu’à la ligne pour conquérir le maillot rouge. Aux abords de l’Observatoire de Javalambre, le grimpeur de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ avait ce jeudi, en prenant place sur le podium, des étoiles plein les yeux. Et il n’était pas le seul. Il s’agit enfin du deuxième maillot de leader sur un Grand Tour cette saison après le rose de Bruno Armirail sur le dernier Giro.

« J’ai suivi mon instinct », Lenny Martinez

Avec cinq top-10 en autant d’étapes, le début de Vuelta de la Groupama-FDJ pouvait difficilement être de meilleure facture. C’était sans compter sur les événements de la sixième étape. Ce jeudi, le peloton s’élançait vers la deuxième arrivée au sommet de l’épreuve, trois jours après une première explication en Andorre, où Lenny Martinez avait été capable de rivaliser avec les plus grands. Porteur du maillot blanc par procuration depuis, le jeune homme était forcément attendu dans les onze derniers kilomètres à 8%. Pourtant, les péripéties ont commencé bien plus tôt pour le leader tricolore. Elles n’ont d’abord pas été des plus réjouissantes, puisqu’après seulement dix kilomètres, Lenny Martinez était victime d’une chute alors que la bagarre pour l’échappée faisait rage. Ramené par Romain Grégoire et Sam Watson, il a ensuite observé le peloton se morceler à de nombreuses reprises en raison d’une lutte acharnée pour l’échappée. « C’était une étape de folie, témoignait Benoît Vaugrenard. On savait qu’il y aurait une grosse bagarre car tout le monde se doutait que Soudal-Quick Step allait abandonner le maillot rouge, mais on ne s’attendait peut-être pas à ce que ça dure si longtemps ». Après une quarantaine de kilomètres, plusieurs groupes sont parvenus à ouvrir une brèche, et Michael Storer, Rudy Molard mais aussi Lenny Martinez se joignaient à la fête. « Ça s’est fait dans une longue partie montante, ça a attaqué par petites grappes, expliquait Rudy. On a d’abord eu Michael devant, puis j’y suis allé, et Lenny a suivi en haut. Ça a cassé, le groupe est parti, et ça a roulé assez rapidement ».

« On voulait mettre Michael devant pour jouer l’étape, mais quand le groupe est sorti, on a entendu le nom de Lenny, reprenait Benoît. À partir de là, c’était parti, et c’était plutôt bien joué de sa part ». « Je ne voulais pas prendre l’échappée au début, mais au fil de la course, j’ai vu qu’il était dur de la prendre, confiait Lenny. Je me suis dit, ça va batailler, et quand ça va enfin sortir, ce sera difficile à contrôler pour le peloton. J’ai vu un gros groupe au loin, et j’ai fait le jump. J’ai suivi mon instinct et je pense que j’ai eu raison ». En tête de course, les divers échelons ne se sont pourtant regroupés qu’après soixante-dix bornes. Les trois hommes de la Groupama-FDJ ont alors retrouvé près d’une quarantaine d’adversaires, parmi lesquels Sepp Kuss, Marc Soler, Mikel Landa, Romain Bardet, Santiago Buitrago, Hugh Carthy ou bien encore Einer Rubio. « On avait une marge de six minutes, et on savait qu’il y avait quelque chose à jouer, mais il fallait que la course se pose car ça s’attaquait beaucoup dans le groupe, expliquait Benoît. Nous étions les mieux représentés avec Jumbo-Visma, avec un leader, et il fallait qu’on se mette à rouler pour s’organiser. Ça s’est fait assez tard mais on a réussi à le faire et Rudy a fait un énorme travail ». « Ça a fait mal car le vent était défavorable tout le long, reprenait Rudy, longtemps à l’œuvre en tête de l’échappée. Ce n’était pas évident, mais c’était bien d’être surreprésenté avec trois mecs dont Lenny. Je pense qu’on ne pouvait pas faire mieux ». En prenant place en tête de course, Lenny Martinez a dès lors endossé le statut de leader virtuel de l’épreuve, compte tenu de ses dix-sept secondes de retard au général.

« Je n’arrive pas encore à comprendre ce qu’il m’arrive », Lenny Martinez

Après avoir repris son souffle et laissé l’écart grimper jusqu’à sept minutes, le peloton maillot rouge a véritablement appuyé la poursuite dans les cinquante derniers kilomètres. L’avantage du groupe de tête s’est ainsi réduit à trois minutes dans le long faux-plat montant de Torrijas, à une vingtaine de bornes du but, mais les derniers efforts de Rudy Molard et d’autres équipiers ont permis aux fuyards d’attaquer la montée finale di Pico del Buitre avec près de quatre minutes de marge. Dès le pied, Michael Storer a pris les commandes. « Il a fait un excellent travail », saluait Benoît. L’Australien a tenu les rênes pendant plus de la moitié de l’ascension, réduisant l’échappée à une quinzaine d’hommes, puis les hostilités ont débuté à quatre bornes du sommet. Einer Rubio a lancé la première banderille, Lenny Martinez a opéré la jonction avec Romain Bardet après quelques hectomètres, puis Sepp Kuss est à son tour revenu de l’arrière. L’Américain, pointé à trente-huit secondes au général, s’est isolé dans la foulée, alors que le porteur du maillot blanc s’engageait en poursuite en compagnie de son compatriote. « On savait que Sepp Kuss était l’homme le plus dangereux, relatait Benoît. Une fois qu’il est sorti, on a dit à Lenny : ‘’maintenant tu fais un contre-la-montre jusqu’à la ligne, tu ne te poses pas de questions et on fera les comptes à l’arrivée’’ ». Pointé à vingt secondes à la banderole des deux derniers kilomètres, et à trente sous la flamme rouge, le jeune homme n’a toutefois pas perdu de sa combativité et a réalisé un dernier kilomètre de folie.

Au bout de l’effort, il a ainsi coupé la ligne à la deuxième place, et à seulement vingt-six secondes du vainqueur, conquérant de facto le maillot rouge du Tour d’Espagne. « On pensait que le maillot allait nous échapper car il y a eu jusqu’à trente-cinq secondes, sans compter les bonifications, confiait Benoît. On s’est dit qu’on serait malgré tout placé au général, puis on a été surpris quand on a vu que Lenny était aussi proche sur la ligne ». L’intéressé l’était tout autant, et d’ailleurs eu besoin de plusieurs confirmations avant d’exulter. « Ça c’est incroyable » ont été ses premiers mots. « La Vuelta est déjà réussie », ajoutait-il dans la foulée. Le jeune homme a alors pris la direction de la tente destinée aux porteurs des maillots distinctifs, et l’accomplissement est devenu encore plus réel encore. À 20 ans, pour son premier Grand Tour, dans sa première année professionnelle, Lenny Martinez est ainsi devenu le plus jeune leader de l’épreuve, et le deuxième plus jeune tous Grands Tours confondus. « C’est incroyable, c’est un rêve pour tout coureur, répétait-il après avoir enfilé le fameux maillot rouge. Michael et Rudy ont sacrifié leur chance de victoire pour moi aujourd’hui. J’espère que je leur rends bien. Ce maillot, je l’ai grâce à toute l’équipe. Je n’arrive pas encore à comprendre ce qui m’arrive. C’est quelque chose de tellement grand. C’était mon rêve en venant sur la Vuelta. On y pense, mais on se dit aussi que c’est très difficile. Pourtant, aujourd’hui c’est fait ».

« Une première semaine assez extraordinaire », Benoît Vaugrenard

Lui-même maillot rouge sur deux éditions de la Vuelta (2018 et 2022), avec la Groupama-FDJ, Rudy Molard savourait cette journée exceptionnelle pour l’équipe la plus jeune du plateau. « C’est incroyable, c’est sûr qu’on ne s’attendait pas à ça ce matin, soufflait-il. On a une équipe juste incroyable depuis le départ, on s’est encore retrouvés à trois devant, chacun a fait son travail et Lenny est allé chercher le maillot. On ne pouvait pas espérer mieux. Il faut en profiter ». « On réalise une première semaine assez extraordinaire, complétait Benoît. Lenny était déjà sur son petit nuage avec son maillot blanc. Avec le rouge, ce sera encore plus grand. On espère qu’il reste sur son nuage le plus longtemps possible. On va avancer avec lui, sans pression, et adviendra que pourra. C’est le premier Grand Tour pour un grand nombre de nos coureurs, c’est donc extraordinaire d’avoir un maillot de leader. Ils s’en rappelleront un moment. On est sur notre lancée, et on va essayer de continuer ». À l’issue de la sixième étape, Lenny Martinez occupe donc les rênes du classement général (et du meilleur jeune), pour huit secondes devant Sepp Kuss et cinquante-et-une devant Marc Soler. Il devrait pleinement pouvoir profiter de son paletot demain vers Oliva, dans ce qui s’apparente à une journée pour sprinteurs. Pour le reste… « Il va falloir bien défendre le maillot, et ça fait presque peur de l’avoir car c’est quelque chose de tellement grand, concluait-il. Je vais faire mon maximum pour le général, c’était de toute façon le but avant la Vuelta. Ça ne change rien à mes plans ». Mais cela change certainement beaucoup d’autres choses.

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