Voilà désormais trois mois que la « Conti » Groupama-FDJ est entrée dans sa troisième saison. Sans contestation possible, il s’agit d’ores et déjà de son meilleur cru. Omniprésente depuis début mars, l’équipe bisontine a cassé plusieurs barrières ces dernières semaines. Elle a notamment signé cinq victoires, dont quatre en Classe 2, obtenu neuf autres podiums, dont son premier en Classe 1 (Circuit de Wallonie) mais aussi permis à ses coureurs de s’illustrer aux côtés de leurs aînés. Un point s’imposait donc avec le manager de l’équipe, Jens Blatter.

Jens, quel bilan peut-on tirer après environ trois mois de compétition pour la Conti ?

Le bilan est très très bon. On a démarré la Conti avec une feuille blanche et on a toujours dit que notre but était de devenir la meilleure réserve du monde sous trois ans. Après deux ans et demi d’existence, on est sur le bon chemin pour remplir cet objectif. Compte tenu de nos résultats sur les trois derniers mois, je pense même qu’on peut dire qu’on n’est pas loin d’avoir réussi. Maintenant, le but est de continuer à obtenir ce type de résultats sur la deuxième partie de la saison avec des courses comme le Baby Giro ou le Tour du Val d’Aoste.

« Tout le monde a vraiment le niveau »

Vous attendiez-vous à un niveau de performance si élevé ?

J’ai la sensation que nos résultats depuis le début de la saison reflètent vraiment ce qu’on attendait, oui. Dès le stage de février, on avait pu constater que tout le monde marchait très fort. Il n’y a pas de secrets, si le niveau général de l’équipe augmente, cela pousse chacun à faire encore plus, et mieux. Tout le monde sait qu’on ne peut pas faire passer nos douze coureurs dans la WorldTeam, et chacun d’eux essaie donc d’être dans le haut du panier. Cela motive d’autant plus les jeunes à bien s’entraîner, à bien manger, à faire attention à chaque détail, et c’est aussi ce qui les fait progresser rapidement.

L’équipe est donc aussi meilleure intrinsèquement.

Tout à fait, le niveau moyen est plus haut que les deux années précédentes. Tous les coureurs « marchent » fort. Je ne vois personne largement au-dessus de la mêlée. Tout le monde est extrêmement prêt et tout le monde a vraiment le niveau. C’est aussi un avantage du point de vue des échanges avec la WorldTeam. Du coup, on n’a pas besoin de se poser trop de questions. On sait que tous les coureurs sont capables d’assurer leur place avec les « grands ». C’est plus simple pour nous, mais c’est aussi une bonne chose pour les jeunes car ils sentent qu’on a confiance en eux et qu’on peut les aligner avec la WorldTeam sans douter.

Quel poids ont ces échanges dans votre réussite actuelle ?

Ils y contribuent naturellement. Je discutais dernièrement avec le manager d’une autre réserve qui me disait qu’ils n’avaient eu aucune course avant le Baby Giro. De notre côté, on a certes eu la chance d’avoir beaucoup de courses ces dernières semaines, mais dès lors qu’on n’en avait pas, on avait l’occasion de faire monter un ou deux coureurs avec la WorldTeam. Ça nous a énormément aidé puisque cela a permis aux jeunes de continuer à courir, à un niveau supérieur qui plus est. On note aussi que lorsqu’ils ont l’opportunité de courir avec la WorldTeam, ce n’est pas pour remplir des trous. Ils ont même parfois leur chance ! Évidemment, ils doivent parfois se mettre au service de l’équipe comme Alexandre [Balmer] ou Antoine [Raugel] l’ont fait à Valence, mais il y a toujours une possibilité de s’exprimer, comme l’ont montré Lewis [Askey], Antoine [Raugel], Marijn [van den Berg], ou Reuben [Thompson]. Au sein de la structure Groupama-FDJ, tout le monde joue le jeu et on n’utilise pas les jeunes en dernier recours. Cela démontre aussi qu’ils ont tout simplement le niveau.  

« Fier du travail effectué par tout le monde »

Dans quelle mesure, après une année 2020 perturbée par la pandémie de Covid-19, l’installation des coureurs à Besançon a eu un impact sur les résultats ?

Le fait que les jeunes sont désormais tous ensemble au Centre de Performance à Besançon, logés au même endroit, a permis de créer une vraie équipe. Un soir, untel prépare le dîner, le lendemain c’est au tour d’un autre. C’est le ciment de la construction du groupe, sans oublier tous les outils mis en place avec le staff. C’est un travail qui porte ses fruits aujourd’hui. Chaque lundi après-midi, on procède par exemple à un débriefing du week-end précédant. Même avec les très bons résultats des derniers mois, on a relevé beaucoup de petites fautes, et le débriefing bénéficie à tout le monde, pas seulement aux six principaux concernés. C’est une nouveauté qui nous a vraiment apporté et qui explique aussi en partie nos bons résultats. On a ajouté de nombreuses pierres pour bâtir ces succès.

Après deux ans et demi, dirais-tu que la Conti a trouvé son mode de fonctionnement optimal ?

Tout à fait. On peut naturellement toujours s’améliorer, mais je crois qu’on a maintenant trouvé le bon fonctionnement pour tout le monde. J’étais persuadé qu’on arriverait à ce niveau, mais je dois avouer que je suis un peu étonné que ça se fasse si tôt. Avec une année 2020 particulière, je pensais plutôt qu’on arriverait à notre objectif en quatre ans plutôt que trois. Ceci étant dit, je suis aussi réaliste. On sait que la seconde partie de saison chez les Espoirs est toujours complètement différente de la première. On était jusque-là plutôt axés sur les rouleurs-sprinteurs, et nous avons montré que nous étions très forts dans ce domaine. Désormais, c’est le chapitre « grimpeurs » qui s’ouvrent avec le Baby Giro, le Tour du Val d’Aoste, le Tour Alsace, la Ronde de l’Isard. On ne sait pas comment ça va se passer, mais je crois que nous avons une belle équipe de ce point de vue également et j’espère que la dynamique pourra se poursuivre. Quand j’ai regardé le classement par équipes de l’Union Cycliste Internationale dernièrement (37e, première équipe de développement, ndlr), j’ai ressenti une vraie satisfaction. Cela m’a rendu fier du travail effectué par tout le monde, staff et coureurs.


Les derniers résultats vous rendent-ils plus gourmands, voire exigeants ?

Nous sommes des sportifs, des compétiteurs, donc on aime forcément gagner des courses. La victoire appelle la victoire, comme on dit. Mais je crois aussi qu’avec nos succès récents, certaines choses se compliquent forcément. Jusque là, les regards n’étaient pas trop braqués sur nous car nous avions peu de victoires à notre actif. Après les trois derniers mois, la Conti Groupama-FDJ est bien plus scrutée au départ des courses, on doit davantage prendre nos responsabilités. C’est le jeu, mais ça prouve surtout qu’on fait du bon boulot.

« On ne peut pas être toujours leader »

Malgré l’embellie actuelle, la formation prend-elle toujours le pas sur les résultats ?

Pour moi, et pour nous, la chose la plus importante reste de former les jeunes en vue d’un passage dans le WorldTour. Maintenant qu’on a dit ça, si on fait du bon travail et que la formation se passe bien, cela débouche naturellement sur des résultats. Ça ne me fait pas peur. De plus, je trouve qu’il est toujours plus facile de faire de la formation si tu as du succès. Si tu n’as pas de résultats, les jeunes peuvent commencer à se poser des questions sur l’équipe et sa manière de faire. Ce qu’on peut redouter, en revanche, c’est que la compétition au sein-même de l’équipe devienne trop forte. Certes, chacun est là pour progresser, mais chacun a un seul et vrai but : passer en WorldTour. Or, il n’y a pas de la place pour tout le monde. Quand vient le succès, il faut réussir à gérer cet aspect et faire en sorte qu’on reste une équipe solidaire.

Est-ce difficile de sensibiliser les jeunes sur ce sujet ?

Pour nous, c’est l’un des plus gros challenges à relever que de tenir tout le monde ensemble vers un même objectif. Nous tenons sans cesse ce discours auprès de nos coureurs. Comme je le dis souvent, la pression ne vient d’ailleurs pas de nous. Ils se la mettent eux-mêmes. Parfois, c’est aussi l’entourage du coureur qui insuffle cette pression. Quand on planifie une course en avance et qu’on désigne le coureur X comme leader, tout le monde approuve. Cependant, entre le briefing et la course, d’autres personnes peuvent venir interférer… Cela peut parfois déstabiliser les jeunes. De notre côté, on prend souvent en exemple des coureurs comme Clément Davy ou Kevin Geniets. Clément s’épanouit dans un rôle d’équipier. Kevin n’avait lui pas gagné avec la Conti, mais cela ne l’empêche pas de marcher fort maintenant qu’il est en WorldTour. De par ces exemples, on essaie de faire comprendre aux jeunes que les résultats ne font pas tout. On ne peut pas être toujours leader, surtout à cet âge-là. Maintenant, il est vrai que mon but est de recruter les meilleurs. Or, si tu recrutes les meilleurs, tu as souvent des coureurs qui peuvent aspirer à être leaders. C’est un peu le risque, mais c’est aussi un aspect à creuser dans leur formation.  

Est-ce délicat de nommer tel ou tel coureur leader ?

Parfois, c’est évidemment un peu compliqué, mais tout se passe mieux si le coureur a un fil rouge et un tableau de marche. À une semaine du Giro, on sait qui seront nos leaders. Ce n’est pas grave pour les quatre autres, car ils auront d’autres occasions pour se mettre en valeur. Il faut que les jeunes sachent où se situent leurs objectifs personnels et où ils auront la possibilité d’être leader ou protégé. L’idée est donc d’être précis en amont pour que les coureurs soient fixés. La communication est très importante dans ces cas-là. On a douze des meilleurs coureurs du plateau Espoir au sein de notre effectif. Chacun est en mesure d’être leader, mais chacun doit aussi faire l’équipier de temps à autre. C’est à nous de bien leur expliquer que cela fait partie intégrante de leur apprentissage et de leur formation. Si un jeune passe en WorldTour, à moins qu’il ne s’appelle Evenepoel ou Bernal, il est normal qu’il soit dans un premier temps utilisé en tant qu’équipier. C’est ce qu’il faut garder en tête.

En tout cas, la réputation de l’équipe semble se développer fortement…

Exactement. Quand la Conti a été créée, on ne nous connaissait pas, et au fil des mois, on s’est fait un nom. On a une très belle promotion 2021 et on continue de recevoir, tous les jours, des candidatures pour nous rejoindre en 2022. Elles sont de plus en plus nombreuses, et de plus en plus qualitatives. Les jeunes voient le double projet que la Conti est en mesure de proposer, avec les échanges possibles avec la WorldTour. Ils voient aussi que chaque année, plusieurs coureurs signent un contrat avec l’équipe première, ce qui les motive à nous rejoindre. Maintenant, les meilleurs veulent venir chez nous et il y a de plus en plus de champions nationaux ou de médaillés internationaux qui nous contactent. L’équipe est amenée à devenir de plus en plus forte.