« Ça ne sera pas tous les ans comme ça ». Pour son tout premier Grand Tour en carrière, Simon Guglielmi a bien conscience d’être gâté. Le jeune homme de 23 ans, arrivé en provenance de « la Conti » l’hiver dernier, dispute actuellement le Giro auprès d’Arnaud Démare, et a d’ailleurs activement contribué à la moisson du champion de France en terres transalpines. Au matin de la première journée de repos, le natif de Chambéry a pris quelques minutes pour revenir sur ce début d’épreuve riche en émotions.

Simon, comment te sens-tu physiquement ce lundi matin ?

J’ai bien dormi (sourires). J’étais très fatigué hier soir après la longue étape de montagne, mais ce matin, ça va. Je compte profiter de cette journée pour bien récupérer, car ça laisse tout de même des traces. Je n’avais jamais fait neuf jours si difficiles à la suite. Ça ressemble un petit peu à l’enchaînement qu’on peut avoir sur le Tour de l’Avenir ou le Baby Giro, mais les étapes sont beaucoup plus longues. Chez les Espoirs, c’est généralement de l’ordre de 140-160 kilomètres. Là, ça monte parfois à 200-220, avec beaucoup de dénivelé. Passer six ou trois heures sur le vélo, ce n’est pas comparable. Au bout de 3-4 jours, le mal de jambes est présent, et c’est le même tous les matins. On s’habitue finalement à vivre avec. Le staff se donne à 100% pour nous mettre dans les meilleures conditions possibles, et de notre côté, on a juste à s’investir. Cela passe par les bottes de pressothérapie, des étirements, j’essaie de m’allonger un maximum, de bien manger, de dormir le plus tôt possible. Ce sont des petites choses mais ça fait la différence sur la durée. Pour le moment, c’est plus ou moins ce à quoi je m’attendais. La seule chose un peu délicate, c’est le sommeil. Du fait des émotions qu’on a pu vivre, du stress et de l’ambiance de la course, j’ai parfois du mal à m’endormir. Cela dit, je crois que j’arrive à bien gérer dans l’ensemble, je ne suis pas encore H.S (sourires). J’ai hâte que ça reparte MÊME SI j’ai bien l’intention de récupérer aujourd’hui.

« La meilleure vie que je pouvais imaginer »

Pour ton premier Grand Tour, tout semble se passer pour le mieux.

Oui, et beaucoup m’ont d’ailleurs dit : « ça ne sera pas tous les ans comme ça ». Nous avons déjà gagné trois étapes en première semaine, c’est vraiment génial. Je prends beaucoup de plaisir mais aussi énormément d’expérience, que ce soit en roulant en vue des sprints ou en apprenant à gérer les étapes difficiles. J’ai même eu droit à une étape de bordures ! En neuf jours de course sur ce Giro, je pense avoir appris plus vite que si j’avais fait 2-3 saisons chez les pros sans Grand Tour. C’est vraiment génial, je ne pouvais pas rêver meilleurs débuts. Si on m’avait dit il y a deux ans que je serais au départ du Giro, je ne l’aurais pas forcément cru. Puis si on m’avait dit qu’on aurait gagné une ou deux étapes, j’aurais déjà trouvé ça très bien. Là, on en compte déjà trois ! Je disais hier à mon masseur Stéphane : « Je vis un rêve, mais c’est un rêve dont je suis acteur ! » Je suis en train de vivre ce dont je rêvais étant plus jeune : faire un Grand Tour et gagner des étapes avec un leader. C’est la meilleure vie que je pouvais imaginer.

Peux-tu nous faire la genèse de ta participation au Giro ?

Initialement, je ne devais pas faire le Giro, mais les Classiques. Pour la petite histoire, j’étais à Annecy et je me promenais avec ma copine lorsque j’ai reçu un appel de Sébastien Joly. Il habite là-bas, je lui ai dit que j’y étais et il m’a proposé qu’on aille prendre un verre. Il avait quelque chose à me dire. On s’est retrouvé en terrasse, on a bu un petit verre et il m’a dit : « tu vas faire le Giro ». J’étais un peu surpris, mais je lui ai tout de suite dit que j’étais à 100% partant. Il m’a expliqué que mon rôle allait être de rouler pour Arnaud, de l’aider pour les sprints et de rester avec lui sur les étapes de montagne. J’ai immédiatement accepté, et dès qu’il est parti, j’ai appelé mon entraîneur Anthony Bouillod pour lui annoncer. J’ai ensuite eu un mois pour me préparer. J’ai beaucoup roulé sur le plat, à allure tempo. J’ai enchaîné des séances un peu différentes de d’habitude mais ça paie, donc c’est top.

Tu es arrivé au sein du groupe d’Arnaud, déjà bien établi. As-tu réussi à trouver ta place rapidement ?

J’avais très peu roulé avec eux. Je les avais simplement vus un peu au stage de début de saison à Calpe, mais c’est un super groupe. Ils sont tous très sympas, bien posés et je n’ai pas eu de mal à m’intégrer. Ils m’ont tout de suite tendu la main. J’étais un peu discret, et surtout à l’écoute au début, mais je sens maintenant que j’ai trouvé ma place. Ils ont vraiment l’habitude de courir ensemble, ils se connaissent par coeur sur ou en dehors du vélo. C’est un noyau dur, mais ils nous ont tout de suite mis à l’aise. Il y a une belle ambiance et je suis heureux d’avoir rejoint ce groupe. Dans les journées difficiles, on reste ensemble, on se motive et on tâche d’être le plus solidaire possible. Les victoires d’Arnaud, c’est aussi grâce à ça. L’équipe sait travailler ensemble, chacun donne le maximum pour l’autre et c’est aussi pour ça que ça marche. On échange beaucoup en dehors aussi, on passe pas mal de temps à table ensemble. On se raconte des anecdotes personnelles, nos expériences respectives, nos voyages. On échange aussi sur nos cultures car il y a beaucoup de nationalités représentées dans ce groupe. C’est aussi très intéressant d’écouter les expériences de chacun.

« J’ai compris encore davantage à quel point il pouvait être gratifiant d’être coéquipier »

Ton rôle initial était de rouler pour Arnaud. Pour autant, tes performances semblent dépasser les attentes sur ce Giro. Es-tu surpris ?

Je ne dirais pas surpris, car j’ai vraiment mis toutes les chances de mon côté pour être au top sur cette course. Cela fait un mois que j’optimise tout au niveau de l’alimentation, de la récupération et de l’entraînement. J’ai vraiment fait le maximum pour arriver dans les meilleures conditions. Je nourrissais beaucoup d’ambitions sur mon propre niveau de performance sur ce Giro. Alors je ne suis pas surpris, mais plutôt content de voir que ça marche bien, car j’ai tout fait pour que ce soit le cas. Je fais le maximum pour remplir la mission que me donne l’équipe, mais si je peux faire encore un peu plus, pourquoi ne pas le faire ? Si je suis en capacité de donner plus et mieux, je veux le faire.

Tu as notamment été l’un des derniers équipiers d’Arnaud lors de sa victoire à Matera. Peux-tu nous raconter ce final ?

Déjà, quand j’ai regardé le profil la veille, je me suis dit : « le dernier raidard correspond à 100% à mes qualités de puncheur ». En course, j’ai fait toute la montée dans la roue d’Arnaud. Je voyais qu’il essayait de gérer au maximum pour pouvoir faire le sprint derrière. C’était la première fois que j’avais cette émotion d’être dans le coeur de l’action, à deux kilomètres de l’arrivée. J’ai sans doute commis quelques petites erreurs, et on en a parlé après. C’était aussi un peu logique dans la mesure où c’était la première fois que je me retrouvais là. J’ai voulu le remonter trop vite, je l’ai un peu perdu de ma roue à un kilomètre de l’arrivée, mais dans la dernière ligne droite, j’entends le speaker qui crie « Démare, Démare, Démare » et je le vois lever les bras. C’était beaucoup d’émotions.

Quel est le sentiment d’un équipier qui voit son leader l’emporter sur un Grand Tour ?

Très spécial. Surtout sur cette étape-là, car je l’ai vraiment vécu direct, de l’intérieur. C’était comme si j’avais gagné moi-même. C’est énormément d’émotions et c’est à vrai dire difficile à décrire… Nous pratiquons un sport individuel, mais c’est pour autant un sport à 100% collectif. Entre le moment où je passe la ligne, que je le vois à l’arrivée, j’ai vécu quelques minutes très très fortes, et j’avais rarement ressenti cela. Le fait de le voir, et de ne pas l’entendre à l’oreillette, ça rend la chose encore plus intense et ça permet de savourer encore plus. Avec Kono, on était vraiment hyper contents. Le fait d’avoir été dans le cœur de l’action a joué, mais c’est aussi parce qu’on se rend compte de l’importance de l’évènement. On y pense depuis plusieurs semaines, on sait qu’on vient pour gagner des étapes. J’ai compris encore davantage sur ce Giro à quel point il pouvait être gratifiant d’être coéquipier et de se donner à 100% pour son leader. Car au final, ce sont des émotions qui sont également incroyables d’un point de vue personnel.

« J’ai pris du plaisir sur chaque étape »

D’un point de vue personnel, justement, quelles sont les étapes où tu as pris le plus de plaisir ?

J’ai pris beaucoup de plaisir dès le chrono car j’ai essayé de jouer le maillot de meilleur grimpeur, et ça m’a de suite mis l’adrénaline de la course. Ensuite, il y a évidemment les deux autres étapes que remporte Arnaud. Sur l’une d’elles, on roule à bloc dans le final avec Kilian pour ne pas que Gaviria rentre. Dans l’oreillette, on nous encourageait, on nous disait « allez les gars, il y a toujours 20 secondes d’écart ». Il y avait aussi beaucoup d’adrénaline à ce moment-là. Puis, dans la septième étape, j’ai été amené à me dépasser dans le final. Je me disais « il y a beaucoup de chances qu’Arnaud puisse gagner », et ça donne encore plus envie de se livrer à 200%. Les étapes de montagne, où on prend la pluie et le froid, sont naturellement plus difficiles, et ce n’est pas super marrant sur le moment. Mais le soir venu, on en rigole et ça reste aussi de très bons souvenirs et de bonnes expériences. Depuis le début, j’ai finalement pris du plaisir sur chaque étape.

Et maintenant ?

Je vais vivre au jour le jour. Normalement, il devrait y avoir encore quelques sprints. Je suis vraiment motivé pour donner encore le maximum et épauler au mieux Arnaud afin qu’il puisse gagner d’autres étapes. Ce serait top. Ensuite, on verra. S’il y a des opportunités individuelles, j’essaierai de les saisir aussi, mais là n’est pas mon rôle. Mon rôle est d’aider d’Arnaud. Je prends tellement de plaisir à le faire, cela me procure tellement d’émotions, que si ne devais vivre « que » ça sur ce Giro, ça serait déjà énorme et largement suffisant.

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