Une page s’est tournée dimanche soir à Plouay pour l’équipe Groupama-FDJ avec l’arrêt de Benoît Vaugrenard ayant choisi, à 37 ans, de tourner la page. C’est l’histoire d’un homme formidable, d’un rouleur impressionnant et c’est avec beaucoup de sagesse qu’il fait défiler pour nous les 17 années de sa très belle carrière

«J’ai envie de découvrir la course dans la fonction de directeur sportif»

Benoît, comment s’est passée ta dernière journée de coureur ?

La Bretagne Classic a été une course mouvementée. Quand l’échappée s’est formée j’ai eu le temps d’apprécier d’être dans le peloton, de pouvoir discuter avec quelques coureurs et puis la course s‘est de nouveau tendue à l’abord des chemins de terre. A partir de là, je n’ai pas eu le temps d’apprécier, c’est allé très vite. La veille de la course, il y a eu un cocktail des supporteurs de Groupama-FDJ, des banderoles avaient été posées en mon hommage. Le lendemain, il y a eu la présentation des équipes avec Daniel Mangeas. Mon club de supporteurs s’est mobilisé mais ça aurait été plus facile si ç’avait été le Grand Prix de Plouay sur l’ancien circuit. Du coup, ils ont loué un bus, ils l’ont peint et se sont postés en quatre endroits et sur la ligne d’arrivée. Le soir j’étais sur le podium avec ma femme, mes enfants et Perrig Quemeneur (Total-Direct Energie) qui arrêtait également sa carrière. On a fini à la maison pour un apéritif.

Tu t’étais préparé à cette dernière journée de coureur ?

Je m’y suis préparé depuis longtemps. Jusqu’au dernier championnat de France, j’étais dans la course, vraiment dedans. En juillet et août, j’y ai beaucoup pensé. J’avais un pied dans l’après et un pied dans le présent. Aujourd’hui, ça fait bizarre mais ce n’est pas douloureux, c’est même un soulagement. Je suis content d’en finir, j’ai fait le tour de la question. L’année passée, dans quelques courses World Tour, j’ai compris que j’avais baissé physiquement. Dans Liège-Bastogne-Liège, j’avais été en difficulté dans les côtes de Wanne, de Stockeu et de la Redoute et j’avais compris que ce serait difficile et puis dans le Tour de Suisse, j’avais été en difficulté dans les côtes alors qu’avant j’y excellais. Le niveau World Tour était de plus en plus dur pour moi et j’ai commencé à penser à l’arrêt de ma carrière. Même par rapport à mon équipe, je ne me sentais plus capable d’aider. Physiquement j’ai compris et forcément, moralement j’ai pris un coup mais j’avais 36 ans.

Tu sais déjà ce que sera ton après ?

Depuis l’automne dernier, je prépare mon diplôme d’état, c’était une semaine par mois en session, beaucoup durant l’hiver et un peu en début de saison, ça va reprendre cet hiver. Ce sera fini en février, je vais faire des stages cette fin de saison avec l’équipe Groupama-FDJ au Tour du Doubs, à Binche-Tournai-Binche et au Tour de Vendée, je suis assez excité par ça. Ce diplôme permettra d’être entraîneur ou directeur sportif mais entraîneur c’est complexe. J’ai envie de découvrir la course dans la fonction de directeur sportif en sachant que je ne vais pas faire le même métier pendant 30 ans. Je n’ai pas de garantie, on discute avec Marc Madiot et je vais prendre du recul. Je vais rester tranquille.

En signant ton premier contrat en 2003, tu pensais faire 17 saisons dans la même équipe ?

Quand tu passes pro, tu ne penses pas à faire si long, tu vis année après année. Mon évolution s‘est faite dans cette équipe. Parfois en fin de contrat, j’ai eu l’occasion de partir mais ça ne s’est pas fait, j’étais bien comme ça. On m’a dit souvent que ça fait du bien de changer, moi je ne le ressentais pas. Je signais des contrats d’un ou deux ans et c’était à chaque fois une remise en question mais en réalité je me remettais souvent en question, tous les deux ou trois mois. Je voyais l’évolution de mon équipe qui n’a cessé de progresser dans tous les domaines et il me semblait logique d’y participer.

Quel regard as-tu sur ta carrière ?

J’en suis fier. J’ai été honnête, je n’ai jamais triché. Je suis heureux d’avoir montré à mes enfants qu’on peut faire carrière sans tricher. Oui, j’en suis très fier. J’ai connu des années difficiles mais je suis resté honnête avec moi-même. On gagne des courses, on n’en gagne pas mais je peux me regarder dans une glace.

«Mon titre de champion de France contre la montre en 2007 était un moment particulier»

Au sein de ton équipe, tes directeurs sportifs parlant de certains coureurs, parlent parfois d’une ‘’progression à la Vaugrenard’’. C’est un label de qualité et de patience…

Ce n’était pas évident pendant mes premières années. Je suis passé pro en même temps que Philippe Gilbert. On m’a comparé à lui puisqu’il était passé comme moi mais lui a marché fort dès 2003. Il m’a fallu comprendre que je n’avais pas la même progression. En ce moment, Romain Seigle et Valentin Madouas n’ont pas le même parcours mais les deux sont intéressants. Ça n’a pas été facile mais j’ai progressé, ayant disputé mon premier Grand Tour, le Giro, en 2004 et ça m’avait fait du bien. J’ai entendu cette expression parfois, une progression à la Vaugrenard…

Il y a une victoire qui t’a marqué plus qu’une autre ?

Mon titre de champion de France contre la montre en 2007 était un moment particulier, c’était première victoire chez les pros. J’aime mes victoires, la Polynormande (2007), le Tour du Poitou-Charentes (2008). Il s‘avère que toutes les courses que j’ai gagné, Fred Guesdon était avec moi en tant que coureur. J’ai aussi obtenu de belles places, dans Liège-Bastogne-Liège ou l’Amstel Gold Race mais j’étais tout aussi heureux des victoires de mes équipiers. Les différents titres de champion de France, c’est une grande fierté. Il faut dire qu’il y avait du stress dans les jours qui précédaient. J’étais heureux pour l’équipe et le sponsor. Moi j’étais capitaine de route, il fallait diriger la pression et c’était la même chose pour William Bonnet et Jérémy Roy. Ce sont de grands moments.

Il y a aussi des moments difficiles qui t’ont marqué ?

Oui, l’année 2011 durant laquelle j’ai contracté une mononucléose. Je sortais de belles saisons 2009 et 2010 et subitement j’ai abandonné dans beaucoup de courses, je n’avais pas disputé les classiques ardennaises, c’était très compliqué. Le plus difficile, ce fut la Vuelta 2005, tous les coureurs le diraient. On avait pris le Maillot amarillo avec Bradely McGee au bout de deux jours. On a fini à quatre mais on n’était pas dans les bonnes années… C’était Liberty Seguros, Heras, Phonak et compagnie. Je peux vous dire que chez les Français, Voeckler, Fedrigo, personne n’avait vu le jour. On en parle encore avec Jérémy Roy.

Dans ton équipe, quels coureurs t’ont particulièrement marqué ?

McGee était un phénomène, il avait de la prestance… Il ne parlait pas beaucoup, juste ce qu’il fallait mais il était très sympa. Philippe Gilbert m’a impressionné. Lui n’a pas mis longtemps à taper du poing sur la table pour dire qu’il était le leader. C’était son tempérament. Il savait fédérer et assumait. C’était le taulier, le patron, le leader. Il y a eu d’autres forces de caractère comme Nacer Bouhanni qui était un tueur sur le vélo. Arnaud Démare et Thibaut Pinot on les connaît mais McGee et Gilbert avaient quelque chose à part. Phil avait vite fait comprendre que les autres devaient rouler pour lui. C’était naturel. Il m’a envoyé un message dimanche soir, on est resté liés.

Parmi les 138 coureurs qui furent tes équipiers, il y en a qui, pour toi, ont raté leur carrière, ont été un gâchis ?

Des coureurs qui peuvent mieux faire, il y en a plein, je n’ai pas de nom précis en tête mais c’est une question de mental. Au sein de notre équipe, tu as tout et si un gars ne s‘investit pas, c’est qu’il n’est pas fait pour ça. Je pense quand même à Sandy Casar qui n’était pas dans les bonnes années, lui aujourd’hui ce serait top ! Dans ce contexte, il y a Fedrigo, moi, d’autres encore mais on ne va pas regarder dans le rétro sans arrêt, ça ne sert à rien. Le cyclisme a beaucoup changé mais Casar peur vraiment avoir des regrets, il est passé à côté de belles choses mais il a fait une très belle carrière quand même. Il y a Sandy chez nous mais c’est vrai aussi pour Moncoutié ailleurs.

Il y a des équipiers qui t’ont marqué dans le rôle qui était le tien pour finir ?

Fred Guesdon et Christophe Mengin à la fin de leur carrière m’ont beaucoup apporté. Lors de mes deux premières années, Jean-Cyril Robin m’a beaucoup appris, j’ai un très bon souvenir de lui. Carlos Dacruz aussi. Ils ont su m’apporter des conseils précieux mais quand je suis passé pro, ce n’était pas évident pour un jeune de s’intégrer. Dans certaines équipes, je le sais, à la limite les jeunes ne mangeaient pas à la table de anciens. D’abord, il fallait montrer ce que tu valais sur le vélo. Ca a changé.

«Mon évolution s‘est faite dans cette équipe»

Tu as pris du plaisir pendant 17 ans ?

Dans les Grands Tours, c’était difficile notamment en montagne mais à la fin j’ai souffert un peu plus. Prendre du plaisir, pour durer, est nécessaire. A l’entraînement aussi. Dans une carrière il y a de bons et de mauvais moments. Notamment quand il faut aller rouler durant l’hiver mais dans la vie de tous les jours, il y a des moments où tu n’en pas envie d’aller au boulot.

Il est où ton vélo depuis dimanche soir ?

Il est posé dans le garage et je ne l’ai pas regardé. J’ai ma randonnée le 21 septembre et je vais monter dessus mais je sais qu’il me prendra l’envie d’aller rouler de temps en temps. J’ai besoin de faire du sport.

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