Peu de coureurs faisant leur entrée dans leur WorldTour cette saison généreront autant d’attention que Lenny Martinez. Le jeune homme de 19 ans, auteur d’une saison 2022 remarquable au sein de « La Conti », est désormais attendu chez les grands, au sein de l’Équipe cycliste Groupama-FDJ. Il le sait, et ne compte d’ailleurs pas se cacher, comme il l’a prouvé dès le Grand Prix La Marseillaise (9e). Avant son retour à la compétition, le grimpeur de poche s’est confié en longueur sur ses ambitions et sa personnalité.

Lenny, comment vas-tu depuis le Grand Prix La Marseillaise ?

Ça va bien ! J’étais content de bien figurer dès ma première course avec l’équipe. Je me suis ensuite bien entraîné, la forme est bonne, et je suis prêt à attaquer les prochaines compétitions. Il y a évidemment eu un contretemps avec l’annulation du Tour d’Antalya. J’aurais aimé courir et essayer de faire un résultat, mais je sais aussi que je peux bien progresser grâce à l’entraînement. Je pense que je suis à peu près au même niveau, voire un peu supérieur, qu’avant le Grand Prix La Marseillaise. Ça progresse petit à petit.

« Avec les gars de la Conti, on progresse ensemble »

Qu’est-ce que tu attends de ce week-end en Drôme-Ardèche ?

Tout dépendra du briefing de l’équipe et de ce qu’il se passera en course. Si je peux aider quelqu’un de l’équipe à faire un résultat, je le ferai, et si jamais j’ai ma chance compte tenu des circonstances, je n’hésiterai pas non plus. L’équipe aura pas mal d’options avec David, Romain, Bruno, Quentin. Ça peut être un avantage.

En ce début d’année, tu retrouves des anciens de la « Conti » et des plus anciens sur les courses. C’est la combinaison idéale ?

Avec les gars de la Conti, on est passés ensemble au plus haut niveau, et on continue de progresser et d’évoluer ensemble. Avec Enzo, on a par exemple fait notre premier résultat à La Marseillaise en rentrant tous les deux dans le top-10. C’est toujours plus simple pour la cohésion de retrouver des mecs qu’on connaît bien, même si une fois dans la course, on n’y pense plus trop. On progresse donc ensemble, mais on apprend aussi énormément des « anciens » de l’équipe, qui ne sont pas anciens mais plus expérimentés (sourires). Je pense que c’est vraiment un bon mélange.

Quelle sera la suite de ton programme ?

Juste après les Boucles Drôme Ardèche, il y aura le Trofeo Laigueglia, puis je disputerai le Tour de Catalogne qui est mon premier objectif en termes de pic de forme. En avril, je ferai Paris-Camembert, la Classic Grand Besançon, le Tour du Jura, le Tour du Doubs et le Tour de Romandie. Ensuite, je devrais normalement participer à la Mercan’Tour et au Critérium du Dauphiné.

« Ça pourrait être une bonne chose de jouer le général sur certaines courses »

Le Tour de Catalogne est donc ton premier objectif. Pour y viser quoi ?

On l’a ciblé avec mon entraîneur Nicolas Boisson, j’ai vu passer les profils, et il me semble que ce sera vraiment dur. J’espère être bien en forme, et si je peux faire un résultat, pourquoi pas. Il n’est pas impossible que j’aie des petites ambitions personnelles mais il faudra aussi voir quelle sera la composition de l’équipe. Ceci dit, si mon entraîneur l’a planifié comme un objectif, c’est aussi que j’aurai sans doute ma carte à jouer, comme ça aurait dû être le cas à Antalya. Pour le moment, je n’ai pas du tout d’objectifs précis, je préfère d’abord me concentrer sur les courses qui arrivent. On verra ça avant la course, et au fil de la course selon comment ça se déroule. C’est sûr que ce serait intéressant de jouer le général, et gagner une étape encore plus. Mais c’est un grand pas à franchir… Je pense en tout cas que ça pourrait être une bonne chose de jouer le général sur certaines courses, d’essayer d’être là tous les jours, afin d’apprendre pour le futur, même si on n’est pas encore parmi tous les meilleurs.  

Réalises-tu que tu peux déjà représenter une option sur certaines courses ?

J’en ai conscience. Je sais qu’il est possible que j’aie ma chance à quelques reprises, mais je devrais aussi beaucoup courir avec David, et l’objectif sera alors de l’accompagner au maximum. Tout dépendra de chaque course, de là où je me situe au niveau de la forme, et de la composition de l’équipe. On a aussi forcément plus de chance d’avoir sa carte à jouer quand on a montré qu’on marchait fort. Il faut faire ses preuves quand on en a l’occasion. En tout cas, l’équipe ne me met aucune pression. Ils m’ont dit que ça restait une première année, dans le WorldTour, que c’était quelque chose de grand, et qu’il fallait avant tout découvrir. Mais ils m’ont aussi dit que s’il y avait des possibilités d’aller chercher des résultats, alors pourquoi pas. Je pense la même chose. Il ne faut pas se priver. Ce n’est pas parce que je suis dans ma première année que je dois me dire « attention je dois apprendre » si je me sens capable de jouer les premiers rôles.

Te sens-tu prêt à assumer des responsabilités ?

Je me sens prêt, mais ça dépend aussi de la course (sourires). Le point positif, c’est que j’ai l’expérience de la Conti pour moi. C’est évidemment un autre monde, mais j’ai déjà eu l’occasion de découvrir ce qu’était le statut de leader sur une course par étapes la saison passée. Je ne me dis pas qu’il faut absolument que je sois leader sur telle ou telle course, mais c’est dans un coin de la tête. Si l’équipe me le demande, je suis prêt à le faire.

« J’ai deux à trois fois plus confiance aujourd’hui que début 2022 »

Tes performances avec la WorldTour l’an passé, sur le Tour des Alpes, la Mercan’Tour, t’aident-elles de ce point de vue ?

C’est clair. Plus tu fais des résultats, plus tu as confiance pour la suite et pour assumer un statut de leader. Avoir déjà été performant à ce niveau en étant coureur de la Conti, ça rassure. Je sais à peu près à quoi m’attendre sur certaines courses, moins sur d’autres comme le Dauphiné où le niveau est encore plus relevé. En tout cas, on a sûrement moins d’appréhension en arrivant sur les courses. Si je n’avais pas été promu avec la WorldTour en 2022, je me serais posé plein de questions : à quelle vitesse ça monte, quel est le niveau, est-ce que je vais tenir le rythme ? Au lieu de ça, j’ai vu que j’étais déjà là l’an passé avec le niveau de la Conti, donc je pense que je peux faire encore mieux cette année.

Par le passé, tu as dit que tu n’avais pas encore forcément l’âme d’un leader.

C’est vrai, et il va falloir que j’y travaille, mais je pense aussi que c’est quelque chose qui va venir naturellement, petit à petit. Pour le moment, avec l’équipe WorldTour, je préfère évidemment être à l’écoute des anciens coureurs, recevoir leurs conseils. Je ne me sens pas prêt, et je ne crois pas que ce soit le moment d’imposer mes idées. De nature, Romain [Grégoire] est un peu tout le contraire de moi. Maintenant, je sais aussi qu’une fois en course, dans les bosses, il n’y a plus de timidité qui vaille. En tout cas, j’en suis bien conscient, mais je pense que ça va s’améliorer au fil des courses, avec le fait d’avoir des responsabilités et de bien « marcher ». Pour l’instant, à ce stade de ma carrière, je ne le vois pas comme un problème majeur.

« Dans les bosses, il n’y a plus de timidité qui vaille ». Espères-tu aussi que les jambes parlent à ta place ?

Justement. J’ai découvert en fin d’année passée que le statut de leader, ce n’était pas que ça. C’est aussi pousser tout le monde vers le haut et vraiment donner envie aux équipiers de travailler pour toi. Au Tour de l’Avenir, je me souviens avoir beaucoup appris de ce point de vue, et ça m’avait servi par la suite. J’ai appris qu’il fallait vraiment avoir confiance en soi, quitte parfois à tenter des choses un peu folles comme on l’a fait au Baby Giro. Ça a parfois marché, parfois moins. Romain, par exemple, va souvent essayer de déclencher la course assez tôt, mettre un peu le bazar. Moi, j’étais sans doute plus attentiste avant, mais au fil de l’année, j’ai commencé à être plus acteur et avoir cette rage de gagner. De temps en temps, le leadership c’est prendre des initiatives. Parfois, lors des briefings à la Conti, on me disait : « tu peux attaquer dès le pied, tu peux gagner, faire ceci, cela ». Moi, j’étais plus dubitatif. C’est en me poussant comme ça, petit à petit, que j’ai vu que c’était possible. En tout cas, je pense que j’ai deux à trois fois plus confiance aujourd’hui que lors du début de saison avec la Conti. Tous les évènements de la saison passée, tous les résultats, toutes les courses, m’ont donné de la confiance. Je l’ai remarqué rien qu’en ce début de saison. Je ne suis déjà plus le même que l’an passé de ce point de vue.

« Il faut garder la tête sur les épaules et faire son chemin »

Penses-tu pouvoir t’inspirer des leaders de l’équipe ?

Je ne veux évidemment pas devenir une copie de David, par exemple, mais on apprend évidemment beaucoup lors d’un briefing avec lui, ou avec Thibaut. J’écoute tout ce qui se dit. On apprend aussi beaucoup de la façon dont parle un leader, dont il exprime avec ses coéquipiers, sur la manière de se comporter en course. En étant à leurs côtés, j’espère aussi progresser pour devenir un vrai leader.

Comment appréhendes-tu l’enthousiasme autour de toi depuis quelques mois ?

C’est quelque chose que j’apprécie, mais dont il faut savoir se détacher. L’an passé, je regardais beaucoup ce qui se disait sur moi sur les réseaux. Beaucoup de choses circulent, et 95% étaient positives, mais j’ai appris à m’en détacher cette année. Je pense que c’est important, surtout en prévision des années futures. Je n’ai jamais rien reçu d’heurtant ou d’insultant, mais je le fais plus dans une démarche de long terme. Si ça continue de bien marcher, ou si ça marche encore mieux, ce sera une bonne chose d’avoir cette habitude. Quand on devient un grand coureur, comme David ou Thibaut, on a sans doute mieux à faire. Jusqu’à maintenant, j’avais droit à des commentaires plutôt sympa « il marche, futur crack, futur ceci, futur cela ». Mais je pense qu’il faut aussi s’en détacher car il y a également beaucoup des choses comme « le futur vainqueur français du Tour de France ». Je veux faire ma vie, mon entraînement. Il faut garder la tête sur les épaules et faire son chemin. Je vois qu’il y a beaucoup d’attentes envers moi, mais moi j’ai toujours dit « on verra », et ça s’est toujours bien passé. Donc je veux continuer comme ça.

Cette attention n’est donc pas pesante pour toi ?

Au final, je pense que c’est normal. Les attentes, ça stimule aussi à encore faire mieux, mais il faut surtout ne pas avoir la tête qui gonfle. De manière générale, je prends plutôt tout ça en positif qu’en négatif. Parfois, j’ai aussi la sensation qu’on ne se rend pas compte, nous coureurs, de ce qu’on fait sur le vélo. On s’entraîne, on performe en course, mais on ne réalise pas toujours les attentes qui en découlent. Je pense qu’elles viennent du fait qu’on est jeunes, qu’on marche fort, et les gens ont forcément des espoirs pour le futur, notamment sur le Tour. Parfois, ça me fait sourire, comme lorsque certains analysent et font des calculs sur moi et mes sorties.

« Ça devrait bien se passer si je passe un palier »

On te sait pur grimpeur aujourd’hui, mais comment te vois-tu évoluer ?

Ce serait bien d’élargir mon profil, mais je sais que je ne serai jamais un sprinteur ou un spécialiste du contre-la-montre. Je pense qu’au fil des années, je garderai mes qualités de grimpeur en devenant un peu plus puncheur. Je me vois aussi devenir un coureur qui joue le classement général. Les enchaînements d’étapes, les longues semaines de courses avec des cols, c’est ce que j’apprécie. Je pense aussi je vais prendre de la puissance d’année en année. Sans me comparer à David, je sais qu’il était aussi très léger en arrivant dans l’équipe. Il a réussi à prendre de la puissance et il peut maintenant jouer sur un Tour de France. J’aimerais suivre cette direction.

Qui dit classement général dit contre-la-montre, frotter, gagner en puissance… Ce sont des axes de progression ?

Oui, c’est clair. Je veux m’améliorer sur le contre-la-montre, mais l’objectif restera de perdre le moins de temps possible. L’an passé, j’ai vu que n’étais pas non plus à la rue sur le championnat de France Espoirs, mais ça n’aura plus rien à voir quand je tomberai sur des Ganna, Evenepoel ou Pogacar… Au fil des ans, j’espère perdre de moins en moins de temps. Frotter, c’est quelque chose qui vient petit à petit mais que je dois encore travailler. C’est déjà bien mieux que les années précédentes. C’est comme pour les bordures. C’est en faisant qu’on apprend à se débrouiller. Avec mon physique, c’est simplement compliqué de faire sa place quand ça roule vraiment vite dans un final qui n’est pas pour grimpeur. Je fais une cinquantaine de kilos, les autres en font 70, voire plus. Je disais aussi plus tôt que j’espérais prendre de la puissance, mais je vais en prendre, c’est une certitude. J’ai vu l’an passé que j’avais déjà pris « de la caisse ». Sur des étapes de 160 bornes sur la Ronde de l’Isard, j’étais encore frais à l’arrivée, et je sens que j’ai aussi beaucoup progressé là-dessus.

As-tu un tableau de marche pour les années à venir ?

À peu près. Le but premier, avec mon entraîneur, est de conserver et d’améliorer encore davantage mes qualités en montagne, mais sans délaisser le chrono ou le sprint. Maintenant, je ne me fixe pas de limites pour cette première année. On fera déjà un point en fin de saison. L’idéal serait simplement de passer un palier, d’être encore plus fort. De ce que j’ai vu des courses auxquelles j’ai participé l’an passé, ça devrait bien se passer si je passe un palier. Faire des résultats peut éventuellement faire partie de objectifs, mais je n’ai pas envie de trop m’avancer en disant une victoire. Être proche de jouer la gagne à quelques reprises, être constant sur l’année, faire de bons résultats et bien aider l’équipe, ce serait déjà génial.  

« La Vuelta, un beau défi à relever »

As-tu aussi impatience de courir face à des grands noms du cyclisme mondial ?

C’est super excitant de se mesurer à des grands coureurs, et ça me permettra de savoir le chemin qu’il me reste à faire, mais je suis encore super jeune. Si je parvenais dès cette année à être avec eux, ce serait un peu bizarre (sourires). Si je ne suis pas aussi fort qu’eux cette saison, je pense que c’est plus que normal, et il me reste encore beaucoup de temps pour progresser. Par exemple, je ne me dis pas « Pogacar a remporté le Tour à cet âge-là, donc il faudrait que je marche très fort dès ces prochaines années ». Je pense qu’il ne faut pas se comparer. Il n’y a qu’un Pogacar, qu’un Evenepoel. Je veux simplement continuer à progresser à mon rythme et on verra où ça me mène.

Tu pourrais d’ores et déjà participer à la Vuelta cette saison. T’y attendais-tu ?

Non, j’ai été un peu surpris pour être honnête. Mais dès qu’ils ont dit qu’ils voulaient envoyer une équipe de jeunes sur la Vuelta, je me suis dit « ah… ». Je pense que c’est un beau défi à relever pour cette année. En tout cas, je remercie l’équipe de sa confiance envers nous, les jeunes de la Conti. Sur trois semaines, je n’ai vraiment aucune idée de ce que ça pourra donner, mais je pense que je pourrai me faire une idée après avoir disputé quelques courses par étapes d’une semaine au cours de la saison. Et c’est encore plus motivant de se dire qu’on sera sûrement plusieurs anciens de la Conti au départ.

Qu’est-ce que tu redoutes le plus avant cette première année chez les grands ?

En fait, j’avais peur d’arriver en WorldTour et de me prendre des claques dès les premières courses. Je me disais que c’était aussi possible de subir, mais j’ai vu sur la Marseillaise que ça allait plutôt. Même si j’avais déjà fait des courses, il fallait se préparer à cette éventualité. Je suis plus rassuré aujourd’hui.

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