Pur produit de la « Conti » Groupama-FDJ, où il a passé deux saisons, Jake Stewart a été l’une des attractions du début de saison 2021. Membre de la WorldTeam depuis l’automne dernier, le jeune Anglais de 21 ans s’est illustré sur presque toutes les courses qu’il a disputées cette année, avant de se fracturer la main lors de Cholet-Pays de Loire. À l’occasion de son repos forcé, « Jakey » est revenu en détails sur son excellente entame, sa passion pour les Classiques et sur ses futures aspirations.

Jake, à tête reposée, comment juges-tu ton début de saison ?

Je pense que je peux être assez satisfait de ma saison jusqu’à présent. J’ai d’abord eu de bons résultats à Bessèges avant de terminer deuxième de l’Omloop Het Nieuwsblad. Monter sur le podium d’une Classique WorldTour, c’est forcément un bon résultat quand il s’agit de sa première année à ce niveau. En raison de la situation sanitaire, je n’avais pas pu me rendre au stage de l’équipe en Espagne en janvier, donc je ne savais pas vraiment où j’en étais en démarrant l’année. Je pense avoir prouvé que j’ai fait un gros hiver chez moi au Royaume-Uni. J’ai commencé la saison très motivé et mes résultats sont venus le confirmer. Je n’ai encore que 21 ans, et passer des rangs espoirs au peloton WorldTour est une vraie marche à franchir. Je cours désormais contre des pros expérimentés et des gars qui sont parmi les meilleurs de ce sport, je ne m’attendais donc pas vraiment à être aussi bon si tôt. Cela montre simplement que si on travaille dur, on peut bel et bien performer à ce niveau, face à ces mecs-là et même se battre pour la victoire. Mais bien sûr, je reste un peu surpris d’avoir été capable de franchir ce palier si « aisément ». Je crois que je peux être vraiment satisfait de la façon dont les choses se sont passées jusque là.

Où t’es-tu le plus surpris ?

Je pense que ma performance à l’Omloop a probablement été ma plus grande surprise. Je me sentais tellement fort ce jour-là. La seule raison pour laquelle j’ai manqué la victoire est que je n’étais pas très bien placé dans les deux derniers virages, de par ma faute. Je me sentais vraiment bien et j’étais toujours dans le peloton de tête. Je me suis retrouvé un peu trop à l’arrière à quelques reprises dans les monts, et j’ai donc dû boucher des trous, mais j’avais encore de la puissance dans le final. Le contre-la-montre Bessèges a également été une vraie surprise pour moi, car c’était plutôt mon « point faible » chez les juniors et les Espoirs. J’ai toujours un peu pêché dans cette discipline sur les courses par étapes par le passé. Alors, réussir à faire top 10 dans ce qui était pratiquement un plateau WorldTour, c’était une vraie surprise. Ceci étant dit, lorsqu’on a la chance de rouler avec le matériel dont on dispose dans l’équipe, qu’on fait les efforts pour être performant dans l’exercice et qu’on est bien mentalement, rien n’est impossible.

« L’Omloop a certainement fait évoluer mon approche »

As-tu des petits regrets sur ce début de saison ?

La façon dont j’ai couru l’Omloop n’était pas parfaite. En prenant le départ, je ne m’attendais pas vraiment à jouer devant pour l’arrivée, et j’ai donc gaspillé de l’énergie là où je n’aurais pas dû et je ne me suis pas placé aussi bien que j’aurais dû le faire. Dans le final, j’ai également perdu la roue de Kevin et Stefan à environ trois kilomètres de la ligne, et je n’ai retrouvé Kevin que dans les 500 derniers mètres. J’aurais dû m’employer davantage pour rester dans leur sillage. J’aurais dû économiser de l’énergie plus tôt dans la course, j’aurais pu mieux me positionner pour ne pas avoir besoin de boucher des trous. Avec le recul, c’est clairement une course dont j’ai tiré beaucoup de leçons. Au fond, je pense que j’aurais pu la gagner. Je pense que la plus grosse erreur que j’ai commise était de prendre le départ sans penser que cela était possible.

À quel moment as-tu réalisé que quelque chose était jouable ?

Je commençais à souffrir un peu sur la fin, mais j’ai réalisé que j’avais juste à passer le Bosberg pour arriver avec le bon groupe. Fred [Guesdon] me répétait la même chose à l’oreillette. J’ai pu passer le Bosberg et on a alors eu une petite discussion avec Kevin, Stefan, et Fred depuis la voiture. On a alors décidé de me protéger, de tenter de me lancer, et de nous placer dans les derniers virages afin de jouer la victoire. Je pense qu’ils étaient aussi surpris que moi de me voir devant à ce moment-là, mais miser sur moi était probablement la meilleure option ce jour-là, compte tenu du profil de l’arrivée. De mon côté, j’étais alors concentré pour faire un résultat, mais je n’ai pas vraiment ressenti la pression. Je savais ce que je devais faire dans les vingt derniers kilomètres et j’ai essayé de m’économiser au mieux. Quand Stefan et Kevin ont commencé à rouler pour moi, je me suis rendu compte qu’il fallait que j’assure. Lorsque j’ai perdu leurs roues, je me suis dit : « concentre-toi, ne fous pas tout en l’air et replace-toi ». Je me suis battu pour essayer de reprendre la roue de Kevin, et j’ai probablement pris des risques pour ce faire, mais on comptait sur moi pour cette arrivée.

Qu’est-ce que cette course a changé pour toi ?

Elle a certainement fait évoluer mon approche, car j’ai compris que je pouvais être compétitif sur ces courses, et que je pouvais courir pour la victoire plutôt que de « simplement » me sacrifier. Les plans de l’équipe ont changé eux aussi. Avant l’Omloop, mon rôle était surtout d’aider l’équipe, car ils ne s’attendaient pas vraiment à ce que je sois là à l’arrivée. Désormais, j’ai plus l’étiquette de coureur protégé. C’est aussi dû au fait que j’ai un bon sprint et que je peux donc accrocher une bonne place, voire la victoire, si ça se termine plus ou moins groupé. Cela a clairement changé mon approche, mais aussi l’approche tactique de l’équipe.

« La pression n’est pas vraiment quelque chose qui me préoccupe »

Tu avais déjà eu des responsabilités avant ça, notamment à Bessèges.

Je pense avoir prouvé l’an dernier sur le Tour du Limousin que je pouvais courir au haut-niveau et réaliser des résultats. Pour moi, ce n’était pas vraiment une surprise d’avoir ce genre de responsabilité en début de saison. J’avais évidemment parlé avec l’équipe pendant l’hiver et on m’avait aussi clairement signifié que j’étais aussi là pour gagner des courses, notamment en Coupe de France et sur les épreuves françaises un peu moins huppées. J’embrasse volontiers ces responsabilités, car de toute façon, mon objectif est de remporter des courses !

Cela ne s’accompagne-t-il pas d’une certaine pression ?

Ce n’est pas vraiment quelque chose qui me préoccupe. J’ai simplement envie de gagner des courses, comme n’importe qui d’autre. Au final, je fais du vélo, et c’est ce que j’aime faire plus que tout. Je veux juste lever les bras, faire de mon mieux et donner quelque chose en retour à l’équipe. Si les gars roulent pour moi, je veux récompenser tout ce travail avec un bon résultat. La pression n’est pas vraiment quelque chose qui m’a traversé l’esprit récemment. Et tant que ça reste ainsi, je continuerai de performer. Avant toute chose, ces responsabilités témoignent de la confiance de l’équipe. Ils sont conscients des résultats que je peux réaliser. Si le plan est de rouler pour moi, tout le monde suit. C’est une grande responsabilité, mais quand vous avez prouvé ce dont vous êtes capables, cela paraît naturel.

Après l’Omloop, certains ont peut-être pensé que tu étais sprinteur.

Clairement, je suis loin d’être un pur sprinteur. Dans les arrivées pour vrais sprinteurs, je ne suis pas aussi performant que je le serais dans une Classique ou sur une course plus dure. Je n’ai tout simplement pas cette pure puissance dans la dernière ligne droite. À Cholet, il aurait d’ailleurs été difficile de battre Viviani. Je ne suis en aucun cas ce genre de coureur. J’ai juste un bon punch, notamment après une course difficile. Je pense que je suis clairement plus un coureur de Classiques ou une carte dans les sprints en petit comité. Ceci étant dit, à chaque fois que j’ai l’occasion de concourir pour la gagne, je suis ravi de le faire, peu importe la taille du peloton. D’ailleurs, tout ne résume pas à la vitesse pure. Cela dépend aussi en grande partie du placement et des trains. Tout peut arriver dans un sprint massif, et j’essaie donc constamment de me mettre en bonne position. Que ce soit contre des purs sprinters ou des mecs un peu moins rapides, j’essaie toujours d’obtenir le meilleur résultat possible.

« Gagner est clairement l’un de mes grands objectifs cette année »

Dans quel schéma de course te sens-tu le plus à l’aise ?

Je me sens beaucoup plus confiant et à l’aise dans les sprints de 30-40 mecs. Peu importe que ce soit sur une Classique, dans une légère arrivée en bosse… Il y a moins de stress et il est plus facile de se placer. Quand il y a déjà un peu de fatigue dans les jambes, cela rend le sprint un peu plus difficile. C’est ce que je préfère et c’est là où je suis le meilleur. Maintenant, les Classiques sont vraiment mes courses de coeur. J’ai plus ou moins prouvé que je pouvais y être performant, et c’est là où je prends le plus de plaisir. Les courses sont toujours exigeantes et le temps passe assez vite. C’est sur ce type d’épreuves que je veux me voir progresser et exceller à l’avenir. Ce sont les courses que je compte viser plus tard.

Qu’as-tu appris et que dois-tu encore apprendre sur les Classiques?

Le style de course sur les Classiques est vraiment particulier. C’est assez différent du reste du calendrier. Il y a beaucoup de choses à apprendre, mais je pense que la chose la plus importante, c’est le placement. On peut gagner ou perdre une course sur les Classiques du fait du placement, même à 100 kilomètres de l’arrivée. Il est important d’être bien placé pendant toute la course et d’économiser de l’énergie si on veut décrocher un bon résultat. Pour être performant, il faut être vraiment bien éveillé toute la journée et être concentré à 100%. En plus de la fatigue physique, il y a beaucoup de fatigue mentale car on se bat 5h30 durant juste pour garder une bonne position. Personnellement, je dois encore m’améliorer dans les bordures. Chez les Juniors et ou les Espoirs, c’est quelque chose à laquelle on ne goûte pas trop du fait qu’on ne court que 3-4 fois en Belgique dans l’année. Rouler dans les bordures au niveau WorldTour est complètement différent de ce que j’ai connu par le passé, et c’est certainement quelque chose que je dois encore travailler si je veux pouvoir jouer les premiers rôles dans les Classiques à l’avenir. Il y a souvent du vent de côté sur ces courses, et on peut également gagner ou perdre une course selon où l’on se trouve dans la bordure. On a beau avoir les meilleures jambes, si on manque la bonne, c’est fini. En raison de mon parcours et de mon profil, le positionnement n’est pas vraiment un problème pour moi, mais je dois encore m’améliorer dans les bordures.

Gagner est-il une priorité pour toi pour le reste de la saison?

Remporter une course est clairement l’un des mes plus grands objectifs cette année. J’attends cette victoire depuis un moment déjà. Je pense avoir récemment prouvé avec mes résultats que je m’en rapprochais nettement. Après cette courte pause, et une fois ma saison relancée, lever les bras sera l’un de mes principaux objectifs. Ça ferait également du bien au moral, car ça fait longtemps que je cours après. Je n’ai pas encore gagné de course UCI, donc remporter une course pro pour ma première année à ce niveau, ce serait super. C’est possible, mais il faut aussi un peu de réussite le jour J en plus de très bonnes jambes.

« Je sais quelle est ma place dans l’équipe »

Depuis l’Omloop, on a également noté que ta popularité avait explosé…

À la suite de la course, j’avais reçu beaucoup de notifications sur Twitter, et de nombreux messages de certains des plus grands coureurs britanniques, ou de commentateurs. J’ai tout de suite remarqué qu’il y avait une sorte de « hype » autour de ce résultat. Mais c’est la même chose avec chaque coureur qui perce à un moment donné. Beaucoup de gens ont commencé à s’enthousiasmer, surtout compte tenu du fait que je suis encore jeune. Je pense que c’est aussi un peu dû à ma personnalité. Après l’incident à Cholet, j’ai reçu énormément de soutien et j’ai réalisé à quel point j’étais suivi. Il y a des gens qui ont juste envie de me soutenir, et j’en suis très reconnaissant. C’est vraiment particulier d’avoir autant de soutien. Je dois aussi dire que je n’ai pas arrêté avec les interviews depuis. Beaucoup de médias au Royaume-Uni ont voulu me connaître. Je pense que le fait d’être un coureur britannique qui ne court pas chez Ineos les a également intrigués, et a ajouté un peu de piment à leurs histoires.

Tu es aussi désormais souvent mentionné parmi les favoris des courses auxquelles tu prends part.

C’est quelque chose d’assez étrange. Si je n’avais performé qu’à l’Omloop, peut-être que ce ne serait pas le cas, car les gens se diraient que c’était un résultat en trompe l’oeil. Mais j’ai performé à Bessèges, sur l’Omloop, à Nokere, à Coxyde … J’ai prouvé ma régularité et les gens estiment effectivement que je pourrais être dangereux.

D’un point de vue plus personnel, réussis-tu à trouver ta place au sein de l’équipe ?

C’est un environnement vraiment agréable. Ayant fait partie de l’équipe Conti pendant deux ans avant de rejoindre la WorldTeam, j’ai une bonne connaissance de la structure et de sa façon de travailler. Alors, quand vous comprenez bien l’équipe et inversement, cela ne peut que donner une bonne relation. Pour être honnête, je ne pense pas non plus que ma façon d’aborder mon rôle de leader, bien qu’occasionnel, ait vraiment évolué par rapport à la Conti. Je pense être assez mature dans ma façon d’agir et de parler aux autres. C’est assez naturel. Je sais aussi quelle est ma place dans l’équipe et vis-à-vis des autres coureurs. Je peux parler ouvertement et honnêtement avec tous les membres de l’équipe, et il y a toujours du respect. J’ai aussi fait de réels progrès en français et j’essaie de faire des efforts pour le parler le plus souvent possible. Ça s’est en tout cas beaucoup amélioré et j’ai bien trouvé ma place au sein de l’équipe, tant auprès des directeurs sportifs que des coureurs. Mon Français est assez bon désormais pour avoir une vraie conversation avec les Français, et cela contribue aussi beaucoup à nouer de bonnes relations et amitiés dans cette équipe.

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