Plus de deux mois se sont écoulés depuis mon dernier billet, mais je ne pouvais finir l’année sans un ultime témoignage et une conclusion en bonne et due forme. Le précédent épisode se concentrait sur la Vuelta, mon premier Grand Tour, et je dois bien admettre qu’il n’a pas été facile de remettre en route après ça. On ne peut deviner comment notre corps va digérer un premier Grand Tour, et ce qu’il va advenir de nous ! Je ressentais naturellement un peu de fatigue, j’avais contracté une petite gêne à l’adducteur, mais j’ai réussi à récupérer en vue de la campagne italienne de fin de saison. Elle a débuté sur le Tour d’Émilie me concernant. C’est une super course et le circuit final, avec cette montée vers la Basilique de San Luca, est un vrai régal ! Côté course, ça s’est plutôt bien passé. J’étais présent… jusqu’au moment où je ne l’étais plus. Je crois avoir pété à trois tours de l’arrivée. J’étais quand même satisfait de mon niveau. Cela dit, je m’attendais à avoir de meilleures sensations dans cette période post-Grand Tour. C’était pas mal, mais ce n’était pas dingue non plus. Sur les Trois Vallées Varésines, j’étais encore là, dans le peloton derrière Pogacar, mais j’étais à fond et je n’ai pas pu jouer ma carte.

Le dernier point de passage de ma saison était le Tour de Lombardie. J’étais hyper excité à l’idée de disputer mon premier Monument, mais la réalité n’a pas été aussi simple. J’avais pour consigne de prendre l’échappée, on s’attendait à une grosse bataille, mais finalement, le premier « pétard » est sorti. Je ne me suis pas affolé, pensant que ça allait relancer, mais « que tchi », c’était terminé. J’avais déjà pris la course dans le mauvais sens, j’étais un peu dégoûté de ne pas être devant, et en plus de ça, j’ai chuté après une trentaine de minutes. On n’avait même pas encore monté de bosse… J’ai eu du mal à me remettre.

Pourtant, en me relevant, je n’avais pas eu l’impression d’avoir un quelconque problème, mais je me suis vite rendu compte que la chute avait laissé des traces. J’avais des jambes en coton. J’ai quand même poussé et je me suis farci le col suivant. Je n’étais pas obligé mais je me suis motivé, et après ça, j’ai bâché. J’aurais voulu finir la course, mais quand on est trop loin, ça ne sert pas à grand-chose et je me suis rendu compte que ce n’était pas forcément une bonne idée. De toute façon, je ne pense pas que j’aurais pu finir dans les délais.

Abandonner sur mon premier Monument, ce n’est évidemment pas la fin de saison que j’avais imaginée, mais j’ai voulu rester sur la bonne note de ma Vuelta et des deux courses précédentes, où je n’étais pas nul non plus. Je me suis réconforté ainsi. Il faut parfois être dur avec soi-même, mais certaines fois, il est aussi important de se rappeler de ce qu’on a fait, et de ce qu’on a bien fait. On m’a aussi beaucoup demandé « comment c’était la Lombardie ? », et bien que je n’aie pas pu aller aussi loin que je l’aurais voulu, j’ai eu le temps de remarquer qu’il y avait un niveau de fou furieux. Ça ne rigolait pas, mais pas du tout. La seule pensée qui me venait à l’esprit en voyant le niveau des mecs, c’était « wow ». Clairement « wow ». J’ai l’impression que tout le monde est étincelant sur ce genre de course. J’avais pourtant montré sur la Vuelta que ça allait plutôt bien, mais sur le Tour de Lombardie, je me suis sincèrement dit : « c’est quoi ce bordel ? ». Alors certes, j’avais chuté, mais le niveau n’en demeurait pas moins stratosphérique. Je me souviens être allé voir Rudy, qui est un spécialiste des après-Grands Tours, et lui avoir demandé comment il se sentait. Il m’a répondu « ça va, ça déroule ». Je lui ai dit que j’étais à fond, et je n’étais sans doute pas le seul. C’est dans ces moments que je réalise l’énorme différence qui peut encore exister, surtout sur ces grands évènements.

Après le Tour de Lombardie, on a pris la route pour Besançon, où je débutais mes entretiens de fin de saison le lendemain. C’étaient les vacances, mais pas complètement. D’ailleurs, mon programme a changé, car j’étais potentiellement en lice pour le Tour de Vénétie. Finalement Guillaume y est allé, et j’ai terminé mon séjour à Besançon le mardi soir. Besançon, c’est l’endroit où on se rejoint en fin de saison pour faire des entretiens de différents types, que ce soit avec notre coach, les directeurs sportifs, la préparatrice mentale. On en profite pour avoir des discussions globales sur la saison, pour faire le bike fitting, les shooting photos, les examens en tout genre. C’est aussi un moment qui nous permet de bien finir la saison avec les gars avec qui on a roulé toute l’année. On fait des petites soirées, on essaie de profiter. Ce que je peux raconter des entretiens, c’est que l’équipe comme moi-même étions agréablement surpris de ma première année WorldTour. Si on m’avait dit ça l’an passé, je ne suis pas sûr que je me serais cru capable de faire cette saison. On a aussi beaucoup évoqué l’avenir, tant sur le plan relationnel avec l’équipe que sportif. Ce moment a été très constructif et positif.

Après ça, c’étaient les vraies vacances et je dirais que je n’ai plus trop pensé à ma saison à partir de là. J’ai vraiment profité du créneau qu’on a eu à Besançon pour bien débriefer. Je n’avais pas envie de me poser des questions tout l’hiver. C’était bien de débattre avec les personnes avec lesquelles je devais débattre, et rester là-dessus. Je ne crois pas qu’il était nécessaire de sur-analyser les situations. Ces réunions ont permis de confronter des perceptions parfois différentes pour poser les bases des points à travailler dans le futur. C’était indispensable. Pour l’anecdote, j’ai terminé la saison avec soixante-dix jours de course au compteur, alors que je n’avais jamais franchi le cap des cinquante auparavant. Pourtant, j’ai l’impression d’avoir assez bien encaissé cette charge. La coupure était évidemment la bienvenue, mais je ne me sentais pas broyé physiquement. C’est finalement peut-être davantage l’aspect mental qui joue un rôle, car avec soixante-dix jours de course, on est beaucoup plus parti de la maison, et c’est aussi quelque chose dont il faut récupérer.

De cette première saison en WorldTour, j’ai d’ailleurs retenu qu’il fallait être vraiment capable de trouver des moments pour se ressourcer, car ce sont justement des saisons bien plus éreintantes par rapport à ce que j’ai pu connaître dans le passé. Il faut savoir faire bon usage des temps morts. Naturellement, j’ai aussi un peu évolué en tant que coureur. Par le passé, j’étais plus « suiveur ». Cette année, sur un Grand Tour comme la Vuelta, il y avait tous les jours la possibilité de prendre une échappée. Il fallait retrouver la grinta chaque jour pour essayer de la prendre et réussir à faire des choses. Je ressens aussi une progression physique. Je l’observe un peu sur mes valeurs maximales, mais là où je le note davantage, c’est sur la répétition et la longueur des courses. Je l’ai compris en faisant la Vuelta.

Quand j’y pense aujourd’hui, je me demande encore comment j’ai fait. C’était tellement fou de courir et de retourner au charbon pendant trois semaines. Je suis sûr d’être capable de le refaire, mais j’ai un peu de mal à l’assimiler. Peut-être car c’est tellement loin de ce que je m’imaginais être capable de faire avant cette année. Ou bien c’est parce que je viens tout juste de reprendre le vélo après la coupure et que je n’ai pas du tout le même niveau !

Il y a quelques jours, l’Entente Vélo Bretenoux-Biars, le club où je suis licencié et où j’ai débuté, a tenu son assemblée générale. Je ne pouvais malheureusement pas en être mais les jeunes du club souhaitaient faire un montage et m’avaient envoyé quelques questions auxquelles je devais répondre en vidéo. Ils m’ont demandé quels étaient mes trois meilleurs souvenirs et mon pire souvenir. Parmi les meilleurs, j’ai d’abord répondu la victoire de David à Oman, car c’était la toute première victoire que je vivais en tant qu’équipier, et elle avait beaucoup de sens pour moi. J’ai eu la chance d’en vivre d’autres par procuration, et j’ai toujours voulu profiter de ces moments au maximum. Je leur ai aussi mentionné la venue de mes parents et de ma sœur sur le championnat de France et sur la Vuelta, ainsi que mon échappée avec Bernal et Landa. Ils m’avaient demandé trois bons souvenirs mais j’en ai mis quatre (c’est bien moi ça). J’ai ajouté l’arrivée d’étape sur le Critérium du Dauphiné avec Romain Bardet pour sa fin de carrière. C’était chouette ça. Quant à mon pire souvenir, ce n’est pas celui auquel les gens pensent. On ne fait que de me parler de cette crevaison sur la Vuelta, mais sincèrement, j’ai beaucoup plus souffert de mon faible niveau sur le Tour de l’Ain.

Pour moi, l’échappée avec Bernal et Landa reste un souvenir incroyable. C’est probablement la performance dont je suis le plus fier. L’autre performance qui m’est restée, et dont j’ai reparlé il y a peu avec un collègue en roulant, c’était le Tour du Doubs. Ce jour-là, au vu du déroulé de la course, je m’étais dit que j’avais franchi un palier. J’avais attaqué à quarante bornes, j’étais sorti tout seul en contre, je m’étais fait reprendre, mais je n’avais pas pété, et j’étais même ressorti dans le final avec Guillaume pour jouer la gagne et j’avais réussi à faire un résultat (quatrième, ndlr).

Je suis globalement satisfait de ce que j’ai montré, et je retiens de cette saison qu’il faut saisir l’opportunité quand elle est là, mais qu’il ne sert à rien de ressasser quand elle est passée. C’est le fameux épisode du « ben » sur la Vuelta, que vous pouvez retrouver dans l’épisode précédent. Je ne sais pas combien d’années je ferai en WorldTour, mais il faut essayer de profiter de tous les moments qu’on a la chance de vivre, car on se rend compte qu’ils pourraient ne plus se reproduire. J’ai beaucoup parlé de Rudy dans un épisode précédent, il a quinze ans de carrière, c’est un peu mon papa dans l’équipe, et je crois qu’il se rend compte, lui aussi, que tout ça est passé très vite.

Si ma première année WorldTour n’avait rien à voir avec mes précédentes saisons, ma première coupure WorldTour, elle, n’a pas vraiment différé de ce que je faisais auparavant. Elle était peut-être un chouia plus longue car j’ai quand même coupé cinq semaines, mais c’était nécessaire pour repartir sur de bonnes bases. J’en ai profité pour faire un petit Tour de France des amis. Il est important pour moi de garder ces liens en dehors du vélo car ce sont eux qui resteront dans mon après-carrière. Ma vie avance et ma vie évolue, c’est certain, mais j’ai à cœur de rester attaché aux gens qui m’ont soutenu et qui était à mes côtés quand j’étais encore amateur. Je suis passé à Paris, Metz, Thionville, Montbéliard, Besançon et Dijon. Le tout en train, et c’est d’ailleurs le sacré avantage quand on n’a pas le vélo comme le reste de l’année. Je suis parti presque deux semaines et demie, puis je suis allé à Rome avec ma copine, et j’ai profité d’être à Nice durant la coupure. C’est d’ailleurs en revenant sous le soleil niçois que l’envie de reprendre est réapparue. J’ai ressorti le vélo à la mi-novembre après ne pas y avoir touché DU TOUT pendant cinq semaines. La première partie de la préparation est relativement tranquille, mais il y a tout de même pas mal de préparation physique. Cela donne parfois des journées bien remplies, mais je l’espère productives en vue de 2026 !

Ainsi s’achève mon dernier Carnet de Route de l’année. De ma première année en WorldTour. À travers ces témoignages, j’ai eu la volonté de vous raconter ce qu’était une saison complète à ce niveau, avec ses hauts, ses bas, les péripéties du quotidien, les moments de course, et vous relater des choses qui peuvent paraître banales mais qu’on ne dit pas forcément. Mon envie était de faire connaître ce monde tant au grand public qu’au fan absolu. J’espère que cet exercice vous aura intéressé, vous aura plu. J’ai pour ma part pris beaucoup de plaisir à vous faire découvrir le monde du WorldTour, que je découvrais moi-même petit à petit. Ce Carnet de Route est une porte d’entrée pour vous, mais j’ai récemment réalisé qu’il était aussi, à titre personnel, un moyen de garder une trace de cette année si particulière. À certaines personnes qui m’interrogent sur mon métier, il m’arrive d’ailleurs désormais de dire : « si ça vous intéresse, vous pouvez consulter la petite série sur le site de l’équipe ». C’est le format parfait si quelqu’un veut me connaître, ou connaître ce monde, un peu plus en profondeur.

Enfin, j’ai envie de dire merci à l’Équipe cycliste Groupama-FDJ, car c’est grâce à elle que je vis tous ces moments. J’en parlais encore récemment avec un collègue de vélo, et je lui disais combien je m’estimais chanceux d’avoir eu l’opportunité d’intégrer l’équipe après la saison que j’ai faite à Nantes, car je ne croulais pas non plus sous les options. J’ai peut-être montré que j’avais ma place à ce niveau, mais quand on m’a engagé, cela restait malgré tout un pari. Donc merci pour ça, et merci pour les opportunités qui m’ont été offertes. C’est évidemment un métier, mais c’est aussi une passion, et pouvoir en vivre, voyager et voir différents endroits, c’est une sacrée richesse. Peut-être y aura-t-il un jour une suite à ce Carnet de Route. Si j’ai la chance de lever les bras, par exemple ! D’ici là, merci de m’avoir lu et accompagné. À bientôt, sur les routes ou dans un prochain récit !

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