Arrivé début 2019 en provenance de Ljubljana, Žiga Jerman est le premier coureur slovène à avoir fréquenté la structure Groupama-FDJ depuis la création de l’entité, en 1997. À l’époque, il n’était d’ailleurs pas né. Du haut de ses quasi 22 ans, il s’est depuis affirmé comme l’une des valeurs sûres de sa génération, y compris lors de sa première saison avec la « Conti ». Nous sommes allés à la découverte de ce jeune homme des plus déterminés.

« Le cyclisme est venu à moi ». Par facilité, ou bien par pur cliché, cette phrase récurrente apparait aujourd’hui quelque peu galvaudée. Žiga Jerman ne présente pas sa rencontre avec le vélo de cette manière. Pourtant, littéralement cela s’en rapproche très fortement. Il a donc 10 ans lorsqu’il est introduit au cyclisme, après avoir déjà expérimenté le football, le basketball mais aussi le judo. « En fait, l’entraîneur du club de Ljubljana allait d’école en école pour tester des garçons, resitue le Slovène. Il y avait peu de jeunes dans l’équipe et cet entraîneur faisait le tour des classes pour nous expliquer et nous montrer ce qu’était le cyclisme ». Naturellement, il faisait irruption en cours de sport … et en profitait donc pour mettre les écoliers à l’épreuve. « C’était un test de deux minutes à fond, précise Žiga. Les deux meilleurs de chaque classe recevaient une invitation pour rejoindre le club et voir si le cyclisme pouvait leur convenir. J’ai fini premier de ma classe ». Jusque là étranger au monde de la petite reine, Tour de France excepté, il s’en va donc tenter l’expérience avec une petite réserve. « Plus jeune, j’étais vraiment feignant, sourit-il. À chaque fois que je débutais un sport, je m’entraînais bien pendant une année puis je laissais tomber ». Il se souvient d’ailleurs des mots de son père à l’époque. « Tu sais, le vélo est un sport difficile. Ce n’est pas pour toi, tu es trop paresseux », l’avait-il averti.

Premiers émois cyclistes, les amis comme source de plaisir

Pourtant, la mayonnaise prend dès ses premiers essais. « Ça m’a beaucoup plus, j’ai tout de suite pris du plaisir », assure-t-il. À un âge où la performance importe peu, deux ressorts l’enthousiasment alors. « Je m’étais fait beaucoup d’amis dans le club, et en réalité, c’est aussi pour ça que j’aimais y aller. Et puis, c’était aussi vraiment chouette d’aller vite à vélo. Dès le premier jour où je suis monté sur un vrai vélo de route, j’ai compris que c’était le meilleur sport au monde ». Puis se présentent les premières courses. Huitième pour son baptême du feu et surtout un podium sur la suivante. « Je me souviens que j’étais l’enfant le plus heureux du monde », dit-il. Mais s’ensuit une onzième place lors de sa troisième compétition. « C’était terrible pour moi, j’en pleurais. J’étais déprimé, vraiment », ajoute-t-il. Cette première année de pratique lui permet malgré tout de réaliser qu’il est doté de quelques capacités, et cela se confirme la saison suivante. Il remporte alors « toutes les courses » auxquelles il participe en Slovénie, à l’exception des championnats nationaux où il doit se contenter d’un podium. Son potentiel éclate dès lors au grand jour, sa progression se poursuit logiquement au fil des années, les succès s’enchaînent et il décide alors de délaisser la musique et plus précisément l’accordéon, dont il jouait depuis huit ans, pour se consacrer davantage à son activité sportive.

Sous les couleurs de son club d’origine – auquel il restera fidèle jusqu’à son arrivée chez Groupama-FDJ -, Žiga Jerman continue de s’illustrer dans son pays, mais se fait bientôt remarquer à l’étranger. Trois-cents kilomètres à l’Est de Ljubljana, il prend ainsi part à la Coppa d’Oro, l’une des, sinon l’épreuve la plus renommée d’Italie chez les cadets. Parmi les près de 400 jeunes hommes au départ, il fait partie du quatuor qui se joue la victoire. Mais il ‘’déclipse’’ dans le sprint et termine quatrième. « J’ai compris à ce moment-là que je pouvais être bon même en dehors de Slovénie. Surtout quand on connait le niveau des courses en Italie », expose-t-il. Ainsi, quelques semaines avant la trêve hivernale qui précède son entrée chez les juniors, sa confiance monte en flèche. Tout comme son investissement. « Avant ça, je faisais du vélo juste par plaisir, soutient-il. Notre entraîneur comptabilisait nos présences à l’entraînement et j’aimais tellement ça que je n’en avais manqué qu’un seul sur l’année. J’avais aussi un groupe de 4-5 meilleurs amis avec qui je passais tout mon temps, sur et endehors du vélo ». Après avoir émergé parmi les plus talentueux coureurs de sa génération dans son pays, Žiga est très vite convoqué en sélection nationale chez les juniors. « Quand on a commencé à courir à l’international, en Coupe des Nations, je me suis dit : ‘’peut-être que je pourrai en faire plus tard, et non plus le faire seulement par plaisir’’. J’ai réalisé que si je continuais de progresser, année après année, je pouvais peut-être viser quelque chose ».

De junior à pro, une transition réussie

Au cours de sa première saison juniors, il lève les bras à une poignée de reprises sur ses terres et récolte quelques accessits en Italie. Toutefois, ses deux objectifs majeurs, les championnats d’Europe et du Monde ne se déroulent pas comme prévu. Chute sur l’un, crevaison sur l’autre. « C’était une vraie déception car j’avais été constant toute l’année, mais pas assez pour enfiler les victoires à l’international et j’aurais aimé briller sur ces courses », se remémore-t-il. Il prend sa revanche l’année suivante avec une solide sixième place aux Mondiaux de Doha, à laquelle il convient d’ajouter une médaille de bronze sur son championnat national et une victoire des plus significatives à Vertova. « J’avais gagné au sprint en battant Luca Mozzato, qui était un coureur très très fort en Italie à cette période, précise-t-il. Il était presque imbattable au sprint. Quand je l’ai devancé, j’ai compris que je pouvais aussi être très rapide ». Pour l’anecdote, c’est un certain Tadej Pogacar qui l’avait propulsé ce jour-là. « On a toujours été ensemble, dit-il. Je l’aidais quand c’était bosselé et lui m’emmenait les sprints. Nous étions comme des frères ». Avec ce même Pogacar, il passe d’ailleurs « professionnel » avec l’équipe continentale de son club, ROG-Ljubljana, pour sa première année Espoirs en 2017. « Nous savions que si nous étions parmi les meilleurs en juniors, on pourrait intégrer la grande équipe. C’était l’objectif, et ils se sont aperçus que Pogacar et moi-même avions le niveau pour ».

Dès ses premières sorties en tant que coureur pro, Žiga se signale. « Bien qu’il y ait quatre ans dans la catégorie Espoirs, notre entraîneur nous a dit qu’il fallait être opérationnel immédiatement, raconte-t-il. Grâce à cette mentalité, on s’est dit ‘’ok, on n’est plus juniors, on est pros, donc on doit le montrer’’. Cela a agi comme un tournant ». Ce raisonnement porte notamment ses fruits sur le Tour de Slovénie, apogée de la saison pour la formation de Ljubljana. Jerman côtoie quelques uns des plus grands noms de la scène cycliste mondiale mais se fraie aussi son chemin. « J’ai pris l’échappée le premier jour, j’ai remporté tous les sprints intermédiaires et j’ai hérité du maillot blanc à la fin de la journée, poursuit-il C’était un grand moment pour moi et l’équipe ». À la suite de cette prestation notable devant son public, le jeune Slovène s’en va disputer le Tour de Hongrie et y récolte son tout premier – et jusque là unique – succès professionnel. « Un sprint était prévu mais j’ai attaqué à 400 mètres de l’arrivée car il y avait deux virages avant la ligne, se souvient-il. Je savais que je pouvais les prendre plus vite que d’autres et j’ai réussi à faire la différence ». Paré du maillot jaune au départ le lendemain, il « s’emballe un peu » dans le sprint final, termine à terre et abandonne le jour suivant. Quelques semaines plus tard, il obtient deux autres podiums en classe 2 qui viennent parachever une solide première saison chez les Espoirs.

La Conti, un choix déterminé et déterminant

La deuxième, en revanche, débute péniblement. Freiné par une maladie, il ne parvient pas à se préparer efficacement pour son gros objectif de la saison : les Classiques. Alors, quand se présente Gand-Wevelgem fin mars, ses attentes n’excèdent pas la raison. « J’étais un peu déprimé d’avoir été malade, mais en réalité, j’étais très frais au départ de Gand étant donné que je n’avais pas couru, abonde-t-il. Le sélectionneur national m’avait aussi dit : ‘’ne t’inquiète pas, tu peux le faire’’. Il pensait notamment à ma vision de la course ». Et ce qui devait arriver arriva. Grâce à deux offensives dans les dix derniers kilomètres et a un sprint à l’arraché pour régler ses compagnons de fuite mais aussi pour résister au peloton, le Slovène remporte la première manche de la Coupe des Nations sur le continent européen. « Ce jour-là, je n’étais certainement pas le meilleur pour les raisons évoquées, confie-t-il, mais j’étais sans doute le plus futé. J’ai su où me placer et quoi faire aux bons moments ». Plus en jambes par la suite, il prend la cinquième place du sprint du ZLM Tour, autre épreuve de la Coupe des Nations, et la seconde du Gran Premio della Liberazione. S’écoulent ensuite trois mois « sans » avant deux top 10 sur le Tour de l’Avenir et quatre autres sur le Tour du Lac Taihu.

Malgré ce creux en milieu de saison, il se voit proposer d’intégrer la « Conti » Groupama-FDJ pour son année de lancement, en 2019. « Mon plus grand objectif était de rejoindre une équipe de ‘’développement’’, signifie-t-il. Je voulais encore progresser vers le plus haut niveau pour un jour, éventuellement, rejoindre une Pro Conti ou une WorldTour. Quand j’ai reçu une offre de Groupama-FDJ, je savais que c’était la meilleure option pour moi. J’aimais déjà beaucoup la manière de faire de cette équipe au niveau WorldTour, et je savais que ce serait parfait pour moi ». Il quitte donc son club d’origine, de cœur, sa ville, sa famille et ses amis, s’installe à Besançon, dans un pays inconnu, dont il ne parle pas la langue, mais en parfaite connaissance de cause. « Je savais très bien pourquoi j’étais là, martèle-t-il. Je voulais accomplir quelque chose dans le vélo et je devais passer par là pour essayer d’y arriver, donc je n’avais aucun problème avec tout ça ». Aussi, les premiers rassemblements avec sa nouvelle formation et ses nouveaux coéquipiers le confortent dans son choix. « J’ai eu le sentiment d’être à l’aise dès le début, dit-il. On était en stage avec la WorldTour, et je me suis aperçu que c’était une équipe ultra pro à tous points de vue. Et je ne parle pas que de la WorldTour ! Aussi, je me suis aperçu que c’était une grande famille et pas juste une équipe de vélo ordinaire ».

« Gagner Milan-San Remo serait mon plus grand rêve »

Au niveau sportif, Žiga Jerman se fait une hâte de retrouver les Classiques et de défendre son titre sur Gand-Wevelgem. Toutefois, une chute le stoppe net sur cette dernière. « J’étais dans la première bordure, dans le match pour un gros résultat, donc j’étais vraiment déçu », admet-il. Il retrouve de l’allant avec la Conti lors du Triptyque des Monts et Châteaux en prévision du Tour des Flandres. « J’avais toujours le Ronde dans un coin de ma tête, car je sais que ce type de course me convient très bien, dit-il encore. Je n’étais pas le plus fort là-bas, mais mon entraîneur croyait en moi et m’a laissé penser que je pouvais jouer les premiers rôles. J’ai essayé d’économiser le plus d’énergie possible et ce fut suffisant pour une sixième place ». S’enchaînent un autre top 5 en Coupe des Nations, deux podiums en Classe 2 et une solide neuvième place sur Paris-Roubaix Espoirs. « J’étais en meilleure forme qu’au Tour des Flandres, mais quand je me sens très bien, j’en fais parfois trop, confie-t-il. J’ai voulu attaquer et attaquer, et dans les vingt-cinq derniers kilomètres, j’étais complètement vidé. C’était une piqûre de rappel en cela qu’il me reste des choses à apprendre, surtout sur ces courses … » En fin d’année, il obtient l’opportunité d’effectuer un stage au sein de la WorldTour et dispute à ce titre douze jours de course. « C’était un rêve d’être là, ajoute-t-il. C’était incroyable d’être avec les grands, en course et en dehors, de voir comment l’équipe fonctionne et de pouvoir apprendre de coureurs plus expérimentés et plus forts. Je me suis alors dit que j’allais faire tout ce qui était en mon pouvoir pour un jour, comme eux, évoluer dans la plus grande ligue du cyclisme ». Si tel était le cas, il rejoindrait nombre de ses compatriotes, aujourd’hui en verve sur la scène internationale. « Quand je vois ce que fait Pogacar, avec qui j’ai passé dix ans, au niveau WorldTour, c’est évidemment très inspirant ».

En termes de profil, toutefois, il se distingue quelque peu de son acolyte, même s’il préfère attendre son accession au niveau supérieur pour mieux l’affiner. « Quand j’observe mes résultats passés et que j’analyse là où je me sens le mieux, là où ma mentalité s’exprime le mieux, c’est sur les Classiques, prône-t-il. Ce genre de course me correspond vraiment bien, avec de la pluie, du froid, du vent, des pavés, des graviers. J’adore les Classiques du Nord, mais aussi Milan-San Remo qui est pour moi la plus belle de l’année. Elle est différente, si imprévisible et si ouverte. Quand je vois la Cipressa, le Poggio et les spectateurs à la télé, je sais que c’est une course à laquelle j’aimerais prendre part un jour. Alors la gagner, ce serait mon plus grand rêve ». Pas indispensable mais utile pour la Primavera, le Slovène dispose d’une belle pointe de vitesse : « Je ne suis pas le sprinteur le plus rapide car je n’ai pas une énorme explosivité, mais quand c’est un peu plus dur, que les autres sont un peu fatigués, c’est là où je peux le mieux m’exprimer car je peux faire de longs sprints dans des conditions difficiles ». Dans l’attente de retrouver « l’adrénaline » des pelotons, Žiga Jerman essaie de peaufiner son Français grâce aux cours fournis par l’équipe. Il reprendra ensuite le chemin de la compétition avec la volonté de s’exprimer, lui qui dispute sa dernière saison Espoirs. « C’est une année très importante pour moi, mais elle n’est pas terminée ! Je m’entraîne toujours comme avant et je suis encore plus motivé car je sais que les trois derniers mois seront cruciaux. Je sais aussi que nos entraîneurs feront tout pour nous emmener au meilleur de notre forme afin qu’on soit performants dès la reprise ».

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