Du massif des Remarkables, au pied duquel il est né, à celui des Alpes, où il a récemment éclaté aux yeux du grand public, la trajectoire de Reuben Thompson est des plus singulières. Le Néo-Zélandais de 20 ans ne se destinait pas à une carrière cycliste et vient pourtant de remporter l’une des plus importantes épreuves du calendrier Espoirs. Nous sommes partis à la découverte du jeune homme de Queenstown.

« J’ai toujours été entouré de vélos », certifie Reuben Thompson au moment de démarrer l’entretien. Pourtant, son accession au cyclisme professionnel relève bien davantage d’opportunités que d’un réel objectif. Enfant, c’est un BMX qui l’enfourche d’abord, en compagnie des autres garçons du voisinage. « Après l’école et les week-ends, on ne faisait que ça », dit-il. Sa mère montait à cheval, son père montait à moto, et lui choisit de monter à vélo. Mais pas que. « Plus petit, mes parents me laissaient expérimenter un peu tout et n’importe quoi. J’ai joué au hockey sur glace, au rugby, au football, j’ai fait du ski, du snowboard, du motocross, du tennis… Cite-moi n’importe quel sport, je l’ai probablement essayé », plaisante-t-il. C’est néanmoins le triathlon qui obtient ses faveurs aux alentours de treize ans. « Il y avait beaucoup de courses pour enfants dans ma région, explique Reuben. L’un de mes amis m’a emmené sur une course, et j’y ai tout de suite pris goût. Au début, ce n’était que pour le plaisir, ce n’était absolument pas sérieux ». Au début seulement. Après quelques mois de pratique, le Néo-Zélandais se dote d’un entraîneur, se pare d’un « vrai vélo de route » et devient réellement compétitif. « J’adorais ça, et j’avais cette impression qu’il était plutôt facile d’y être bon comparé à d’autres sports », ajoute-t-il. Il découvre à cette même période « la liberté et l’indépendance » qu’offrent les sorties en solitaire, à explorer les coins environnants. Originaire de Queenstown, sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, Reuben Thompson serpente ainsi dans un cadre idyllique, entre lacs et montagnes. « Le meilleur endroit pour s’entraîner à vélo dans tout le pays », relève-t-il, non sans une pointe de partialité.

Une transition imprévue du triathlon au cyclisme

Ses entraînements, quotidiens, puisque couvrant trois disciplines, s’avèrent en tous les cas payants. Dans ses années juniors (au nombre de trois au triathlon), Reuben Thompson se distingue sur la scène nationale et manque de peu une qualification aux Jeux Olympiques de la jeunesse à Buenos Aires, en 2018. L’année suivante, il s’affirme encore davantage et remporte son championnat national. Mais cela ne suffit pas à convaincre sa fédération de lui octroyer un billet pour les Mondiaux, et c’est là un premier déclic – peut-être même le plus important -, dans sa carrière sportive. « Je n’ai pas été sélectionné car ils voulaient donner leur chance à des gars plus âgés, avec de l’expérience, me disant que j’aurais l’opportunité de disputer les Mondiaux les années suivantes, confie Reuben. Sauf que début 2019, j’avais terminé le lycée, et je voulais tout faire pour devenir triathlète professionnel et ne faire que ça. J’avais fourni beaucoup d’efforts dans cette perspective, mais la fédération ne me rendait pas les choses aisées, et je n’étais pas non plus hyper patient. Les opportunités et les financements venaient à manquer ». À la recherche d’un nouvel élan, le jeune Kiwi rebondit quelques semaines plus tard avec un projet surprenant. « Faisant aussi quelques courses sur route en Nouvelle-Zélande, j’ai décidé en mai 2019 de me construire un CV cycliste avec mes résultats, mes données de puissance, et de l’envoyer à des équipes juniors françaises. Je voulais vivre une expérience en Europe », expose-t-il.

Sa bouteille à la mer trouve preneur. C’est un club breton, le Vélo Sport Valletais, qui se propose bientôt à l’accueillir. « Ils étaient super ravis de m’aider, de me loger, me nourrir et me faire courir », indique Reuben. À tout juste 18 ans, il pose ainsi ses valises pour la première fois en France courant juin. Mais au moment d’entamer cette nouvelle expérience, le cap demeure clair. « J’ai sauté sur l’opportunité, et je me suis mis à fond dans le vélo, mais à ce moment-là, j’avais encore dans l’idée de revenir au triathlon après deux mois de course. Je ne pensais pas que je mettrais le triathlon de côté pour de bon ». Et pourtant, il ne suffit que de quelques semaines pour l’inciter à « tenter le coup ». Jusqu’alors, le Néo-Zélandais s’estimait solide cycliste en triathlon, mais voyait plutôt la course à pied comme son point fort. En débarquant en Europe, il s’est alors découvert un potentiel jusque-là inexploité. « Quand je suis arrivé, je courais toutes les semaines et j’ai remporté quatre victoires en un mois, poursuit-il. Ça marchait super bien, je prenais beaucoup de plaisir. En Nouvelle-Zélande, je me débrouillais bien en cyclisme sur route. J’avais terminé troisième du championnat national du chrono, mais la plupart des courses en Nouvelle-Zélande étant plates, beaucoup se jouaient au sprint et ce n’est pas ce qui me convenait. Quand je suis arrivé en France et que j’ai pu notamment disputer l’Ain Bugey Valromey Tour et faire des montées de trente minutes, j’ai trouvé mon point fort. Avant, je ne savais pas trop. J’ai grandi dans une région très montagneuse, et j’ai toujours adoré monter des cols, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’en faire en compétition ».

« La Conti cochait toutes les cases »

Pas franchement perturbé par l’éloignement des siens, ayant auparavant vécu à « 1000 kilomètres de chez lui » pendant deux ans, Reuben Thompson peut donc librement exprimer ses qualités de cycliste pendant son passage dans l’Hexagone. Il obtient ainsi deux podiums d’étape sur l’Ain Bugey Valromey Tour, dont il termine sixième du général, prend la quatrième place finale du Tour de la Vallée de la Trambouze ou termine encore sur le podium du Grand Prix de Plouay Juniors. Le tout en l’espace d’un mois et demi. Le déclic ultime se produit un peu plus tard, lorsqu’alertées par ses performances, plusieurs équipes Espoirs se positionnent. « Je me souviens très distinctement que quand des offres sont arrivées, j’ai pensé : ‘je ne reviendrai pas au triathlon, je veux faire du vélo’. Lorsque j’ai compris que j’avais le potentiel pour être pro, je crois que la question de continuer ou non le cyclisme ne se posait même plus. Depuis, c’est tout pour le vélo ». Ce qui ne devait être qu’une « expérience » sur le Vieux Continent s’est donc métamorphosée en une source inattendue d’opportunités, qu’il n’avait jusque-là pas rencontrées au pays. Dans le courant de l’hiver 2020, il s’engage alors avec le Team Monti, supposée devenir la réserve de l’équipe Deceuninck-Quick Step. Mais la structure ne voit finalement pas le jour, faute de financements, et le Néo-Zélandais trouve une solution de repli en Espagne, au sein d’un club amateur de Telcom-On Clima-Osés Const.

Au même moment, la pandémie de Covid-19 envahit l’Europe. « Je suis arrivé en mars, j’ai fait une semaine de course et nous avons vu aux infos que l’Espagne allait entrer en confinement total, relate le jeune homme. À ce moment-là, il n’y avait pas de Covid en Nouvelle-Zélande, alors je suis rentré chez moi. C’était un début d’année 2020 vraiment très maussade pour moi, mais j’ai profité de cette longue coupure pour me bâtir un moteur. Venant du triathlon, je me sentais un peu limité après quatre heures de course, alors je suis revenu à la maison avec l’idée de m’entraîner plus dur et plus fort que jamais. Et c’est ce que j’ai fait ». Peu de temps après son retour au cœur de l’Océan Pacifique, les contacts se nouent également avec la Conti Groupama-FDJ et Reuben ressort convaincu de son entretien avec Jens Blatter. « C’était juste… wow, lance-t-il. Ça paraissait même trop beau pour être vrai. L’équipe semblait hyper professionnelle, le programme de courses me convenait parfaitement… Je n’avais aucune raison de ne pas signer, ça cochait toutes les cases. J’aimais aussi l’idée de revenir dans une équipe française. Tout était aligné ». Dès le mois de mai, l’accord est entériné, ce qui lui donne par la même occasion une « sécurité d’avenir incroyable ». Il revient en Europe l’espace de deux mois pendant l’été, signe de jolis accessits dans le calendrier amateur espagnol, puis repart pour la Nouvelle-Zélande l’esprit serein. « Étant issu du triathlon, 2020 a été pour moi une grosse année d’apprentissage et de progression, confie-t-il. Au final, ça s’est super bien passé. J’ai pu me faire au modèle de course européen, bien différent de celui néo-zélandais. Chez nous, avoir 120 mecs qui se battent à l’approche d’un sprint ou d’une montée de col, ça n’existe pas. De tels peloton, au niveau aussi homogène, n’existent pas ».  

Premiers pas avec la WorldTeam et transferts trop courts

En novembre 2020, ce sont d’ailleurs ses compatriotes qu’il retrouve lors du Tour of Southland, que les locaux considèrent comme le « quatrième Grand Tour ». « Si vous demandez à un Kiwi, reprend Reuben, toutes les courses qu’on fait en Europe durant l’année ne servent que de préparation à cette épreuve-là ». Lui-même bien préparé, il s’impose sur SON étape, dans le massif des Remarkables, sur les hauteurs de sa ville d’origine. « C’est une montée très difficile, même si nous n’avons grimpé que la moitié, poursuit-il. Je la connais comme ma poche, ma famille était là, et gagner devant eux a rendu la chose encore plus spéciale. C’était super de finir l’année par une victoire et cela m’a encore plus motivé à travailler dur en janvier, février et mars avant les premières courses avec la Conti ». Avant de s’envoler pour l’Europe, Reuben Thompson obtient la cinquième place de son championnat contre-la-montre, et la dixième de la course en ligne. À Besançon, quartier général de l’équipe, il prend rapidement ses aises. « C’est le luxe, assure-t-il. J’ai mon appartement, ma cuisine, mon équipement, tout à disposition… » Ila aussi, et ce n’est pas dérisoire, un compatriote à ses côtés en la personne de Laurence Pithie, qu’il avait déjà croisé en course auparavant. « La Nouvelle-Zélande est trop petite pour ne pas se connaître », sourit-il. En ce qui concerne les courses, tout débute avec Paris-Troyes et le GP Adria Mobil, pas franchement dans ses cordes. Mais vient ensuite le Giro del Belvedere où il décroche une solide seizième place, juste derrière ses acolytes Alexandre Balmer (3e) et Antoine Raugel (5e).

Après seulement trois épreuves, il est provisoirement promu avec la WorldTeam, à l’occasion du Tour des Alpes. « Quand on m’a dit en février que j’irais là-bas, j’étais très nerveux et j’avais sans doute un peu peur, confesse-t-il. Je ne pensais pas que j’avais le niveau requis pour disputer une si grosse course. Je me suis très bien entraîné, je suis arrivé prêt, et avec l’idée d’aller dans les échappées et de jouer le maillot de meilleur grimpeur ». Il met son plan à exécution et parvient à se glisser à l’avant lors des deuxième et troisième étapes, grappillant au passage quelques points de la montagne. « Mais ma jeunesse m’a rattrapé les quatrième et cinquième jours, j’étais plus ou moins cramé », pointe-t-il. Aux côtés de Thibaut Pinot, et face à quelques cadors du cyclisme mondial, le natif de Queenstown en prend plein les yeux : « C’était une semaine vraiment cool, j’ai pu rencontrer les gars de la WorldTeam pour la première fois, et j’ai réalisé que j’étais capable d’évoluer à ce niveau, ou pas trop loin. C’était ma première vraie course par étapes en Europe, et j’ai tellement aimé ça que ça m’a encore davantage donné envie de travailler pour passer à l’échelon supérieur ». Il concède néanmoins un vrai point négatif durant ce Tour des Alpes. « Cette course comporte sans doute les transferts les plus courts au monde, soupire-t-il en plaisantant. Le plus long qu’on ait eu devait faire vingt minutes… J’étais un peu déçu car c’était ma première fois dans un bus d’équipe et je n’ai pas pu pleinement profiter de l’expérience ! »

La déception puis la rédemption

À la suite de cet intermède avec les « grands », Reuben Thompson retrouve la Conti et prend la seizième place de l’Alpes Isère Tour avant son grand objectif de la saison, le Baby Giro. Mais celui-ci ne tourne pas en sa faveur. Bien qu’auteur d’un bon contre-la-montre (14e), le Néo-Zélandais est un temps pris de « coup de chaud », un temps dans un jour sans, mais aussi victime d’une chute lors de la neuvième étape qui le prive d’un top 10 alors encore jouable. « De manière générale, ce fût une course très décevante pour moi, confirme-t-il. Je m’y suis présenté avec de grosses ambitions, je me suis beaucoup entraîné pour et j’attendais beaucoup de moi-même. Ce n’était vraiment pas ce pour quoi j’étais venu, mais j’ai beaucoup appris de cette semaine et de la façon d’appréhender une course par étapes. Dans les montées, j’avais aussi un peu peur de suivre les attaques et me mettre dans le rouge. J’ai peut-être manqué une victoire d’étape juste car je ne voulais pas aller au-delà de mon seuil. J’étais trop focalisé sur mes données, mais cela a été une expérience utile pour la suite ». C’est donc avec une toute autre mentalité, et une volonté de « rédemption », qu’il s’est présenté un mois plus tard au départ du Tour de la Vallée d’Aoste. Le tout après plusieurs semaines de stage en altitude à Tignes, où il utilisait l’appartement… de Thibaut Pinot. Hasard ou signe de l’histoire, le Néo-Zélandais a imité le Français en remportant l’épreuve transalpine, à douze ans d’intervalle.

Offensif et tranchant dès l’étape d’ouverture, Reuben Thompson en prenait la deuxième place avant de conquérir le maillot jaune le lendemain vers Cervinia, puis de le conserver confortablement lors du troisième jour de course. Il a ce faisant écrit son nom au palmarès de l’une des épreuves les plus prestigieuses pour les coureurs Espoirs. « J’ai l’impression d’être un imposteur, dit-il. Je ne me sens pas au niveau des Pinot, Sivakov ou Aru… Mais je voulais me prouver quelque chose et c’est une vraie motivation de voir que tout ce que j’ai mis en place et que tout le travail que j’ai fourni paie. C’était plutôt un soulagement après un début de saison pas à la hauteur des mes attentes ». Dans la foulée, le jeune homme s’est mué en véritable lieutenant pour Sébastien Reichenbach à l’occasion du Tour Alsace, où le Suisse héritait de la deuxième place. « C’était une très bonne expérience de rouler pour lui et d’avoir ce type de mission, ajoute Reuben. C’était une course incroyable et j’ai eu la chance de partager ma chambre avec Seb, qui est un super type ». Parmi ses aînés, le Kiwi a aussi noué quelques liens avec Thibaut Pinot, ce qu’il continue de trouver « fou ». « Je me rappelle quand je le regardais à la télé sur le Tour il y a deux ans, je l’avais même vu en personne lors de la seizième étape. Je l’admirais, et maintenant je le connais, il répond parfois à mes stories Instagram », sourit Reuben. « Il a été d’un vrai soutien pour moi cette année, il était génial sur le Tour des Alpes et c’était incroyable de pouvoir emprunter son appartement ».

« Je prends trop de plaisir sur le vélo pour regarder en arrière »

Tout comme le natif de Melisey, le « All-Black » démontre un vrai penchant pour les courses montagneuses. « Encore plus après le Tour de la Vallée d’Aoste, j’ai compris que plus longues étaient les ascensions, mieux c’était pour moi, confirme-t-il. Je n’avais jamais fait une course avec un parcours si difficile. Et j’ai aimé cette course plus que n’importe quelle autre. Ça me convenait parfaitement ». Ceci étant, et même s’il a très peu touché à la piste malgré ses origines, Reuben Thompson a également fait état de vraies capacités dans l’exercice du contre-la-montre. « J’aime beaucoup le chrono, et je le travaille beaucoup, dit-il. Je sais que c’est quelque chose d’important si je veux devenir un bon coureur de classement général, ce qui est mon objectif à terme. Il faut être polyvalent. Même si je veux conserver ma force en montagne, je veux aussi être bon contre le temps ». S’il pourrait être tenté par quelques Classiques dans le futur, il demande encore à voir si elles peuvent lui convenir. En attendant, les courses par étapes et en particulier les Grands Tours ont sa préférence. « J’adore l’idée de partir pour trois semaines et juste, manger, dormir et rouler. Je crois qu’il n’y a pas mieux ! J’ai hâte de découvrir cela ». En pur passionné, Reuben n’a bien sûr pas manqué les épreuves de triathlon aux Jeux Olympiques de Tokyo. Mais sans nul doute, ses années de pratique sont elles désormais bien dans le rétroviseur. « Je n’ai absolument aucun regret, tranche-t-il. Je vis ma meilleure vie, je vis un rêve et les courses se passent bien. Je prends trop de plaisir sur le vélo pour regarder en arrière ».

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