Deux ans après Karl Patrick Lauk, membre du premier cru, un autre Estonien a posé ses valises du côté de la Conti Groupama-FDJ depuis l’hiver dernier. Rait Ärm, 20 ans, a ainsi participé à la mémorable saison passée. Le robuste sprinteur balte sera de nouveau de la partie en 2022, mais avant qu’il n’entame le prochain exercice, nous sommes partis à sa découverte.

C’est dans le bourg de Saku, à quelques encablures de la capitale Tallinn et des rives septentrionales de la Mer Baltique, que tout débute pour Rait Ärm. Renommée dans tout le pays pour sa bière, la localité connaît moins de ferveur pour ce qui est de son club de cyclisme, dont les membres se comptabilisent à l’époque sur les doigts de la main. C’est ainsi que Rait, alors adepte de danse sportive depuis quelques années, fait partie des convaincus lors d’une initiation menée par ce même club. « J’avais neuf ans, resitue-t-il. Ils sont venus à l’école pour proposer aux enfants d’essayer le vélo, de découvrir ce sport. J’y suis allé, et ça m’a beaucoup plu. On s’est retrouvés avec quelques amis dans ce club, et c’est ce que j’aimais le plus. On s’amusait ensemble, on y allait juste pour le plaisir ». Lors des premières années, sa pratique cycliste se résume au VTT et ne donne donc lieu à aucun réel fait marquant : « Plus jeune, j’étais loin d’être parmi les meilleurs, je ne me rappelle pas obtenir un seul bon résultat à cette époque ». Et bien qu’issu d’un milieu familial pas particulièrement sportif, selon ses propres dires, le jeune garçon reste ouvert à d’autres expériences. Si bien qu’il goûte, simultanément au vélo, à la natation, au basket ou bien même au karaté. Mais comme de nombreux jeunes, Rait ne peut échapper au sport national, le football. Il a déjà 15 ans lorsqu’il chausse les crampons pour la première fois en club, et cette fois-ci, le cyclisme en pâtit. « En fait, j’ai arrêté de m’entraîner pendant un an, explique-t-il. Je voulais vraiment m’essayer au foot. J’ai fait une saison entière mais ça n’a pas très bien marché, donc je me suis remis au cyclisme un an plus tard et j’ai commencé à en faire de manière un peu plus sérieuse ».  

« Je ne connaissais pas grand-chose au cyclisme sur route »

Son retour en selle coïncide avec la succession de grandes premières. « J’ai eu mon premier vélo de route à 16 ans, raconte-t-il. Jusque là, je n’avais roulé qu’en VTT. Je me suis également rendu en Espagne pour un petit stage, c’était ma première fois et c’était vraiment galvanisant. Après ça, j’ai donc commencé à disputer mes premières courses sur route, au niveau local et régional ». Il entame ainsi une progression linéaire, qui va encore s’accentuer l’année suivante, à son entrée dans la catégorie junior, lorsque l’entraîneur de son club d’origine lui préconise de rejoindre une filière sport-études à Otepää, au sud du pays. « J’ai suivi son conseil, et ça s’est avéré être un excellent conseil, assure-t-il. Ça a été un vrai tournant. J’ai pu commencer à m’entraîner davantage, j’avais plus de temps libre à côté des cours et j’ai commencé à voir les résultats de ces entraînements. Ce n’est que dans ma première année junior que j’ai réalisé que je n’étais pas si mauvais que ça sur un vélo ». À la faveur de cette structure, il rencontre de nouveaux partenaires de jeux, qui se muent parfois en adversaires, et évolue à son rythme à leurs côtés, « étape par étape ». Cette année-là, il obtient d’ailleurs son premier résultat de référence avec une cinquième place lors du championnat d’Estonie sur route. C’est aussi de cette manière qu’il glane ses galons dans la sélection estonienne l’année suivante.

Juste avant de fêter ses 18 ans, il opère ses grands débuts internationaux à l’occasion de Gand-Wevelgem, dans une édition remportée par un certain Samuele Manfredi. « C’était ma première course à ce niveau, je n’ai pas été franchement bon », sourit Rait. Il ne termine pas la Classique flandrienne, mais l’expérience met en lumière ses axes de progression. « Je ne savais pas rouler en peloton, je ne savais pas me positionner, je n’étais pas vraiment au fait de l’aspiration. En gros, je ne connaissais pas grand-chose au cyclisme sur route de ce niveau, analyse-t-il. Je n’ai pas été bon non plus sur Paris-Roubaix (51e), mais j’ai ensuite disputé des kermesses en Belgique et j’ai commencé à ressentir davantage les choses, à comprendre comment le peloton fonctionne, comment il faut s’y déplacer. Tout cela n’avait rien à voir avec l’Estonie, où les pelotons sont bien plus réduits ». Il s’aventure également en Pologne au cours du printemps, et si ces diverses sorties hors du territoire national ne débouchent pas sur de francs résultats, elles sont d’un bénéfice incontestable pour le jeune homme. Cette année-là, il conquiert même cinq médailles nationales. Seul bémol, aucune d’elles ne provient des épreuves phares sur route, où il doit se contenter de simples tops-10. Sa versatilité lui permet en revanche de monter sur le podium tant en cyclo-cross qu’en VTT ou qu’en course de criterium. « Je m’améliorais au fil des mois, mais jusque-là, je n’imaginais absolument pas un avenir dans le vélo. Je faisais juste ce que j’aimais ».  

Une médaille européenne pour de nouveaux horizons

Le déclic n’intervient en réalité qu’en 2019. Alors première année Espoirs, Rait Ärm rejoint le club de Tartu, la deuxième plus grande ville d’Estonie, afin d’y poursuivre sa formation. Les déplacements à l’étranger sont monnaie courante et lui se voit désigner un rôle bien spécifique : celui de lanceur pour le « capitaine » du groupe, Norman Vahtra, de quatre ans son aîné. « J’allais en courses, je faisais simplement ce qu’on me demandait de faire, travaillais pour notre leader, et je savourais tous ces moments. Je commençais aussi à me sentir de plus en plus fort », relate-t-il. Son sprinteur enchaîne les succès à l’échelon .2, et Rait est directement concerné lors du Grand Prix de Kalmar, en Suède, qu’il achève dans sa roue, en deuxième position. Une semaine plus tard, Vahtra, aligné chez les Élites lors des championnats d’Europe d’Alkmaar, n’est en revanche pas là pour lui faire de l’ombre. Chez les Espoirs, le jeune homme de 19 ans a donc quartier libre et saisit son opportunité à bras-le-corps. Dans une course d’usure, en circuit, il se révèle être la grande surprise de l’épreuve, venant se doter de la médaille de bronze au terme d’un sprint en puissance, quasi-exclusivement effectué cul sur la selle. Devant lui, Alberto Dainese et Niklas Larsen. Derrière, Stanisław Aniołkowski, Nils Ekhoff ou bien Stefan Bissegger. Soit le gratin du cyclisme européen, alors qu’il n’en est encore qu’à ses premiers pas dans la catégorie U23. Il se souvient : « Évidemment que c’était une surprise pour moi aussi, mais il est vrai que j’ai abordé la course comme si je voulais la gagner, comme pour me mettre en confiance. Je pense que c’est la mentalité à avoir au départ de n’importe quelle course. J’avais une forme parfaite sur ce championnat, c’était une course difficile et c’était pratiquement du chacun pour soi. J’étais le seul coureur estonien à accrocher le bon peloton et je me suis battu jusqu’au bout ».

Il ne doit d’ailleurs sa place sur le podium qu’à quelques centimètres, mais c’est aussi à ça qu’un destin peut basculer. De ces quelques centimètres a sans doute découlé tout le reste. « À l’arrivée ou sur le podium, je ne réalisais pas la portée de ce que j’avais accompli, c’était encore trop tôt, ajoute-t-il. Ce n’est que le lendemain que j’ai commencé à prendre conscience de l’importance de ce résultat. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai commencé à penser à une carrière professionnelle. Avant, je n’osais pas. À partir de cet instant, j’ai compris que je pouvais réaliser des choses sur un vélo, et que ça valait la peine d’essayer ». Le déclic, enfin. Pourtant, faute probablement à son CV jusque-là plutôt mince, Rait Ärm n’attise pas tant de convoitises, et ses seules notifications émanent d’équipes amateurs françaises. À l’hiver 2019-2020, il leur préfère la formation estonienne Tartu2024-BalticChainCycling.com nouvellement créée, et dirigée par Rene Mandri et Jan Kirsipuu. « C’était la meilleure option pour moi, indique-t-il. J’avais la possibilité d’être leader, nous avions un bon programme et c’était aussi une équipe de niveau continental. C’était pas mal. L’objectif de l’équipe était aussi de me permettre d’accéder au niveau supérieur. De manière générale, c’est une super structure pour aider les jeunes coureurs des pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), mais aussi de Finlande, à progresser et tenter de se frayer un chemin. Il vaut mieux rejoindre cette équipe dans un premier temps plutôt que d’aller dans des clubs français où ce pourrait être difficile mentalement ».

« La Conti est la meilleure chose qui me soit arrivée jusqu’à présent dans le cyclisme »

La saison 2020, qui doit être celle de la confirmation le concernant, est toutefois rapidement interrompue par la pandémie de Covid-19. À peine a-t-il le temps de signer un top-10 en Croatie que Rait Ärm, comme l’ensemble du peloton, doit rentrer chez lui pendant de nombreuses semaines. Néanmoins, une certaine flexibilité dans son pays lui permet de continuer à disputer quelques courses locales, de s’entraîner librement, si bien qu’il conserve à la fois « une bonne santé mentale et une bonne forme physique ». Lorsque la compétition reprend ses droits dans le courant de l’été, l’Estonien est immédiatement performant. Il signe une cinquième place en Pologne avant d’accrocher la médaille d’argent lors de son championnat national contre-la-montre mais, surtout, de ravir sa première victoire au calendrier UCI lors du Baltic Chain Tour. Dans une étape traversant la ville de son lycée sport-études, là où tout s’est enclenché, il s’impose finalement à quelques encablures de la frontière lettone. « L’émotion était énorme à l’arrivée », dit-il aujourd’hui avec sobriété. Il signe une troisième place le lendemain, ce qui lui octroie une place sur le podium final de l’épreuve la plus prestigieuse de la région. S’il ne réédite pas sa performance de l’année précédente lors du championnat d’Europe, à Plouay, il confirme tout de même sa capacité à briller parmi les meilleurs espoirs lors de l’Orlen Nations Grand Prix, manche de la Coupe des Nations, où il accroche une troisième place d’étape. « Je n’avais pas la sensation de devoir prouver quelque chose, j’ai juste pris les courses comme à mon habitude, pour gagner, poursuit Rait. Au final, ce n’était pas une mauvaise saison du tout, malgré le Covid ».

Preuve de sa fructueuse année, des contacts se nouent avec la « Conti » Groupama-FDJ et un accord est bientôt trouvé pour 2021. Il reste ainsi ancré en troisième division, mais il s’agit bel et bien d’un changement de braquet pour le jeune homme. « J’en ai discuté avec mes anciens entraîneurs et ils m’ont tous dit de foncer, se souvient-il. J’ai alors rejoint l’équipe et je crois que c’est la meilleure chose qui me soit arrivée jusqu’à présent dans le cyclisme ». Pour le coureur balte, le changement est des plus notables dès les premiers rassemblements. « Au début, tout semble si différent. L’équipe était tellement plus grande et tellement plus professionnelle que celles que j’avais connues auparavant. Je ne dirais pas que c’était un choc, juste que c’était génial. Je me suis senti comme un coureur professionnel ». Le dépaysement est largement atténué par l’accueil du staff et des coureurs, et son acclimatation tant à la structure qu’à sa ville d’accueil, Besançon, se passe sans encombre. « J’adore le profil de la région, clame-t-il d’ailleurs. En Estonie, c’est totalement plat. À Besançon, je peux choisir un terrain en fonction de ce que je veux travailler. C’est parfait ! » Au sortir d’une longue préparation avec ses nouveaux collègues, Rait Ärm signe début mars le premier résultat notable de la saison pour la Conti. Il arrache la dixième place dans un sprint massif au Grand Prix Monseré et offre ainsi à la jeune structure bisontine le premier top-10 de son histoire dans une épreuve de classe 1. « J’étais vraiment content de ce top-10, mais j’aurais pu faire beaucoup mieux, assure-t-il. J’avais les jambes pour un bien meilleur résultat mais ça ne marche pas toujours comme on le veut ».

S’affirmer en 2022, dans les sprints et sur les Classiques

Pour autant, la « Conti » est ainsi lancée vers ce qui sera, et de loin, son meilleur cru depuis sa création. Rait Ärm apporte sa pierre à l’édifice avec une poignée de tops-10, son titre de champion d’Estonie Espoirs sur route, mais surtout un travail indispensable dans le train des sprinteurs désignés. « J’ai toujours répondu présent pour soutenir les leaders et participer au lancement du sprint, argumente-t-il. C’était top, je progressais de course en course. Je suis très content de mon maillot de champion national, j’ai aussi une honorable sixième place sur le Tour de l’Avenir. Je suis satisfait de cette saison, j’ai pu fournir beaucoup de travail et m’améliorer de manière constante. À vrai dire, je suis vraiment heureux d’avoir pu exercer ce rôle, c’est aussi comme ça qu’on devient plus fort. Je pense que j’avais besoin d’une saison comme celle-ci. À l’arrivée, que je monte sur le podium ou que ce soit mon coéquipier qui le fasse, c’est le même sentiment ». Comme la plupart de ses coéquipiers, Rait a également eu l’opportunité de faire un crochet chez les grands. C’était en tout début d’année, lors de la Bredene Koksijde Classic et de Cholet Pays-de-Loire. « J’ai surtout noté que la vitesse du peloton était beaucoup plus rapide et que les coureurs étaient bien plus forts, a-t-il insisté. Cela m’a fait réaliser à quel point je devais m’entraîner dur et me concentrer pour atteindre ce niveau. Mais ça s’est assez bien passé, j’ai pu travailler pour les leaders ». En 2022, il aimerait à son tour pouvoir accrocher des résultats d’envergure avec la Conti. « J’espère avoir plus d’opportunités d’être leader, d’avoir un train pour me lancer, confie-t-il. Mais je suis aussi prêt à travailler pour les autres comme je l’ai fait depuis le début ».

Celui qui fêtera ses 22 ans en mars prochain sera aussi à la recherche d’un contrat dans l’élite au terme du prochain exercice. Il compte donc fermement sur les prochains mois pour démontrer ses qualités. « Il est assez clair que je suis un sprinteur, ajoute-t-il au moment de se définir. J’aime quand c’est un sprint rapide, ça me convient bien, mais je suis aussi performant après une course difficile, avec des relances, des petites bosses. Je n’ai pas nécessairement besoin d’une course plate et linéaire pour m’exprimer. Je préfère quand c’est un peu plus dur. En ce sens, certaines Classiques belges m’attirent énormément et elles comptent parmi mes courses favorites. Il n’y a pas de secret sur ces courses. Pour gagner, il faut être très fort. Vous n’avez quasiment aucune chance si vous n’êtes pas l’un des meilleurs ». Attentif aux faits et gestes des principaux champions, l’Estonien ne revendique toutefois pas de modèle dans le peloton. Ni même d’idole de jeunesse, confessant ne pas avoir, pendant très longtemps, réellement suivi le cyclisme pro. Les vestiges d’une époque où il ne s’imaginait pas dans sa situation actuelle. Où il envisageait encore d’entrer à l’Université. « Je pensais poursuivre mes études après le lycée, puis ma troisième place au championnat d’Europe est arrivée, conclut-il. J’ai décidé de repousser l’Université et voir ce que je pouvais faire dans le vélo. Je pourrai toujours retourner à l’Université plus tard. Mais faire du cyclisme mon métier, je ne pourrai pas le faire plus tard ». 

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