Lors de mon dernier billet, j’avais commencé à évoquer le championnat de France qui se profilait. C’est toujours un moment particulier. On retrouve tous les coureurs français de l’équipe, « La Conti » comprise. Il y a aussi tout le staff. Ça représente énormément de monde et je crois d’ailleurs qu’on avait l’hôtel pour nous tous seuls. On était vraiment dans une bulle. La veille de la course, on a eu droit à la causerie de Marc [Madiot]. C’est l’occasion pour lui de nous mobiliser au maximum, comme il sait le faire, avec ses mots. C’est quelqu’un qui est habité par le vélo et on le ressent. Il est capable de nous faire vibrer, particulièrement quand on le découvre. Ça fait deux fois que je le vois à l’œuvre, et c’est assez impressionnant. Il aime nous rappeler que Groupama-FDJ est une équipe française, et que c’est une équipe attachée au championnat de France de par son histoire. Il essaie aussi de piquer certains coureurs pour les faire rebondir. Il est capable de nous rappeler des moments difficiles pour faire ressortir la grinta le jour J. Sur ce championnat de France, on a aussi inauguré le nouveau maillot de l’équipe avec le logo FDJ United. Ça fait un paquetage en plus, et je vais pouvoir commencer à en faire profiter les jeunes car j’ai vraiment beaucoup de tenues ! Les anciennes sont périmées, et il ne vaut mieux pas qu’on soit pris en photo avec ! De mon côté, j’ai essayé d’être méthodique. J’ai mis toutes les anciennes tenues de côté. Au moins, je suis sûr de ne pas me mélanger.

On était évidemment sur le championnat pour gagner. Faire deux ou trois sur cette course, ce n’est pas intéressant. On avait deux leaders : Romain en un, et Valentin en deux. On avait prévu un coup tactique qu’on a réussi à mettre en place, avec une cassure au kilomètre 130. Tout était défini, même si on a dû le reculer d’un tour. On avait un peu discuté avec les cadres de l’équipe comme Clément [Russo], Romain, Valentin. On craignait un peu de se lancer, mais dans mes souvenirs, Clément Russo avait dit : « allez, on tente ». Trois kilomètres plus loin, on était en train de se mettre en place. Le but était d’avoir des hommes capables d’accélérer dans la bosse, de maintenir un gros tempo dans la descente puis de garder le navire à flot. J’étais censé remettre un gros relais sur le haut de la bosse si nécessaire, mais je n’ai pas fait le cut. Quatorze mecs sont partis, dont treize Groupama-FDJ. On a joué notre va-tout, mais il nous manquait sans doute quelques belles cartes à l’avant. Ce groupe a été repris par une partie du peloton, en plusieurs grappes, après une grosse accélération dans la bosse d’arrivée quelques kilomètres plus tard. J’ai réussi à rentrer, mais ça avait été un long chemin de croix. À deux ou trois tours de l’arrivée, je n’avais plus grand-chose dans le moteur et j’ai dû lâcher.

Devant, les mecs ont fait le maximum, et je pense qu’on n’a pas grand-chose à regretter concernant la deuxième place de Romain. On manquait peut-être d’un peu de coureurs dans le final, et de cartes capables de l’emporter. On aura toujours des choses à redire, mais je pense que la course avait quand même été bien menée. Romain est toujours un peu abattu quand il ne réussit pas ce qu’il entreprend, on était tous déçus, mais il faut avouer que Godon était fort, et j’ai l’impression d’avoir vu Romain plus abattu à d’autres occasions. Mes parents étaient à 200 mètres de la ligne ce jour-là. Juste après l’arrivée, j’ai été appelé pour le contrôle antidopage et n’ai pas pu redescendre les voir. Il y avait un monde fou au contrôle, mais heureusement le docteur était là, j’ai pu leur téléphoner et les avertir que j’étais là afin qu’ils viennent me voir avant de repartir. Pour en terminer avec cette séquence, on avait pris le pari de prendre le vol de 23h pour Nice avec Rudy. Clément Russo, à l’expérience, avait décidé de dormir à Nantes et de prendre le vol du lendemain matin. Bien évidemment, ce qui devait arriver arriva, et le vol a été annoncé avec deux heures de retard. On ne savait même pas s’il allait décoller et Clément Russo nous riait bien au nez. Finalement, on est parti vers 1h du matin, et heureusement, car sinon ça aurait été la double sanction : dormir à Nantes et ne pas pouvoir prendre l’avion du lendemain à 7h, qui était complet. On est certes arrivés à 2h du matin, mais on était contents d’avoir pu rentrer.

Le championnat de France marquait aussi le terme de ma première partie de saison, et c’était l’occasion pour moi de tirer un bilan des premiers mois passés avec l’équipe, de toutes les courses que j’avais pu disputer, et de ce que j’avais réussi à faire ou non pour le collectif et d’un point de vue personnel. J’en ai conclu que le bilan était plutôt positif, et qu’il fallait désormais prendre le temps de bien récupérer pour attaquer la deuxième partie de saison qui s’offrait à moi, avec en point d’orgue mon premier Grand Tour. Après le championnat, j’ai coupé une semaine et je suis parti à Barcelonnette, avec ma copine. C’est un peu traditionnel chez moi de partir en vacances à la montagne début juillet, avant d’attaquer la deuxième partie de saison. Je n’avais même pas pris le vélo, j’en ai vraiment profité pour me ressourcer. Suite à ça, j’ai repris tranquillement, puis il était déjà l’heure de partir pour le stage en altitude à Tignes, à partir du 11 juillet. Au début, on était en acclimatation sans l’équipe, avec Thibaud et Brieuc, puis David, Rémi et Rudy sont arrivés. On avait loué un petit chalet, puis on a rejoint l’équipe le 16. Pendant cette période d’acclimatation, les sorties vélo variaient entre 1h30 et 3h, à une allure plutôt tranquille. Puis, quand l’équipe est arrivée, on a commencé à mettre des charges un plus importantes.

J’avais fait une semaine de stage à La Toussuire il y a quatre ans, mais La Toussuire n’est qu’à 1700 mètres. C’était donc la première fois que je faisais un vrai stage en altitude, complet, sur vingt jours. J’étais super content de m’initier à ça, car c’est un passage quasi-obligé dans une carrière désormais. J’étais impatient de découvrir les routes du coin, même si j’en connaissais déjà pas mal : l’Iseran, Bourg-Saint Maurice, le Petit Saint Bernard. Et puis j’étais surtout content de retrouver l’équipe avec cet objectif « préparation Vuelta » et d’être à 100% concentré là-dessus. On était vraiment bien encadrés, avec le chef, les assistants, les kinés, et les entraîneurs, les mécanos. J’étais à la fois excité, mais aussi un peu appréhensif à l’approche de ce stage en altitude, car il y a aussi beaucoup de nouvelles notions avec lesquelles il faut se familiariser. On mesure beaucoup de choses pour être sûr que tout se passe bien, comme la saturation en oxygène, la glycémie, etc. Tout cela conditionne le fait qu’on puisse démarrer l’entraînement le lendemain, ou bien que la séance vienne à être adaptée. Par exemple, les dépenses de base sont plus importantes. On devait essayer de manger plus pour ne pas tomber en déficit. Il faut apprendre à fonctionner avec toutes ces notions.

On descendait parfois rouler dans la vallée, mais on passait quand même pas mal de temps en altitude. On a grimpé le Col de l’Iseran, à 2700 mètres, plusieurs fois, on a fait le Cormet de Roselend, le Petit Saint Bernard. On était parfois en haut, parfois en bas, mais quand même souvent en haut ! Personnellement, j’ai surtout ressenti les effets de l’altitude la nuit, au logement. L’air de la montagne est sec, ça racle un peu la gorge, c’est parfois un peu plus dur de respirer, mais on finit par s’y habituer. J’ai simplement eu un petit coup de mou 2-3 jours après le début du stage. Je suis revenu d’une sortie un après-midi, et j’avais trop envie de dormir. J’étais crevé. Alors, le jour suivant, on a adapté la séance. Heureusement, il y avait une journée de repos derrière donc j’avais pu récupérer. Ensuite, ça s’est plutôt bien passé pour moi, et j’ai pu enquiller les séances sans être trop détruit. J’ai souvenir d’une belle sortie de 6h30 avec plus de 4000 de dénivelé positif. On fait quelques jolis tours en Italie également, avec le San Carlo, le Petit Saint Bernard – et la petite photo avec la statue du chien -. On a également partagé de chouettes moments extra-sportifs. L’ambiance était super bonne avec les coureurs et le staff. En petit comité, il est plus facile de se retrouver. On se connaît déjà un peu à travers les courses, mais vingt jours ensemble, c’est différent d’une semaine. On a plus le temps de se livrer. D’une certaine manière, on s’est aussi préparés à passer ce mois ensemble sur la Vuelta. C’était un super stage humainement parlant.

Après le repas du soir, on avait pour tradition de prendre la tisane et de se raconter des anecdotes. Puis, il y avait la petite marche autour du lac. C’étaient de vrais bons moments et c’est aussi ce qui construit un groupe. On a fait quelques sorties à Tignes, on a fait un tour en VTT électrique. Il y avait un bar pas loin, où il nous est arrivé d’aller prendre un verre ou jouer au billard et aux fléchettes. Parmi les moments sympas, on a aussi parcouru quelques chemins de gravel avec les vélos de route. On pouvait se le permettre car on savait qu’on avait la voiture derrière. Ça nous a permis de découvrir des coins sympas. Lors de la sortie de 6h30, on a pu manger une petite tarte au myrtille, que le staff nous avait dégotée dans la vallée, en haut d’un chemin. Il y avait aussi un petit jeu entre nous qui consistait à « poser des stèles ». C’est-dire que si un mec se faisait lâcher, il avait droit à sa stèle avec sa petite photo sur le bord de la route. Évidemment, on n’a rien posé concrètement, mais on a fait quelques montages et c’était très marrant. Bon… Parfois, c’était un peu abusé car certains posaient des stèles alors qu’on n’avait juste pas envie de se bagarrer. David s’en amusait beaucoup. Il voulait poser des stèles H24. C’est sans doute le rôle du leader que de vouloir écraser les autres ! (rires) En parallèle, on regardait bien sûr les arrivées d’étape du Tour de France, ensemble, dans le salon. Forcément on vibre pour les copains à travers l’écran. On était tous devant la télé lors de la chute de Romain à Pontarlier, et on était tous dégoûtés pour lui…

Au global, j’étais très content de cette expérience. C’était très sympa d’être dans un tel environnement, surtout à Tignes, qui n’est pas au milieu de nulle part. Est-ce ça me donne envie d’en refaire à l’avenir ? Peut-être, car j’aime être à la montagne, mais il est vrai que ça peut parfois paraître long. C’est le même rituel pendant trois semaines. Les derniers jours ont été différents pour Brieuc et moi-même car on enchaînait directement avec la Clasica San Sebastian. On a eu des sorties plus « light », puis on a voyagé le jeudi jusqu’à Biarritz. On a refait 1h30-2h de vélo à notre arrivée, puis un déblocage la veille de la course. Dans l’immédiat, je n’ai pas ressenti énormément de différences physiques en redescendant du stage. En revanche, en course, je dois bien admettre que les sensations étaient moins bonnes qu’à tout autre moment de la saison. J’ai subi la course et je n’ai pas réussi à franchir la principale ascension alors que le but était d’être en nombre pour aider Romain. À la suite du stage, j’ai eu l’impression de ne pas avoir beaucoup de cartouches dès lors que je faisais un effort max. À San Sebastian, j’ai mis des cartouches dans la bosse, et ça n’a fait que se détériorer ensuite. Romain a terminé quinzième au final. Il y avait des doutes par rapport à sa chute sur le Tour, il avait des points de suture, mais quand il est désigné leader, il se bat à fond pour remercier le travail de ses coéquipiers. Il ne se donne pas le droit d’abandonner.

L’objectif était ensuite de récupérer au maximum pour le Tour de l’Ain. On est arrivés motivés pour la première étape et on avait un plan bien établi qui a été exécuté à la perfection. On n’était pas les meilleurs dans la bosse du parcours, mais on s’était bien accrochés pour basculer pas loin de la tête et rentrer dans la descente. Ensuite, on a déroulé la partition sur le final de l’étape. On avait fait le choix de rouler dès le bas de la descente car on avait presque toute l’équipe, et le but était de ne pas laisser rentrer le groupe derrière car il y avait des coéquipiers de Vendrame. L’autre objectif était de ne pas rentrer trop tôt sur le dernier échappé, pour que le train de l’équipe puisse se mettre en place dans le tempo imaginé. On savait aussi que pour mener à bien notre plan, il fallait que Vendrame ne soit pas dans la roue de Tom. L’idéal était qu’on vire en tête, que lui soit un peu loin au dernier virage, et qu’il y ait éventuellement une petite cassure pour que ça joue en notre faveur. Tout était défini, tout s’est superbement aligné, et c’est vraiment jouissif quand ça se passe comme ça. Tom a gagné, David a fait deux, Lorenzo a fait quatre. C’était du tableau noir.  

On était hyper heureux pour Tom, car on sait que c’est une pépite. Il nous l’a démontré plusieurs fois en stage, et il nous tardait que ça puisse lui sourire en course après un début de saison pas facile. Je me souviens d’ailleurs que David avait dit au briefing ce jour-là : « les gars, il y a Tom et Clément, ça va gagner c’est sûr ». On en avait rigolé, mais ça l’a fait dès le premier jour ! Je me souviens avoir déjà dit dans ce Carnet de Route qu’il faut savoir profiter quand ça marche, car ça ne marche pas tout le temps. Il faut vraiment se nourrir des succès car on ne sait pas de quoi est fait le lendemain. On en a fait l’amère expérience lors de la deuxième étape. C’était une journée noire, rien n’est allé dans le bon sens. Tom est tombé au départ, Rémy a crevé, j’ai eu un problème mécanique, David n’était pas bien et a été lâché. Brieuc est le seul qui avait réussi à nous représenter correctement quand ça s’est décanté, mais au pied de la montée de Lélex-Mont Jura, il avait crampé et avait dû s’arrêter au bord de la route. On espérait relever la tête le vendredi, mais on n’a pas été en mesure de le faire. Personnellement, j’avais des sensations vraiment mauvaises ce jour-là. J’étais sans énergie et j’ai décidé d’abandonner.

Ça m’a fait mal car c’est mon premier abandon chez les pros, mais je me suis dit que ça ne servait à rien d’insister. Le stage était une première pour moi, et je ne savais pas comment mon corps allait réagir. On sait qu’il peut y avoir des coups de moins bien en redescente d’altitude. On n’envisageait pas d’avoir ce niveau sur le Tour de l’Ain, mais on a un staff compétent qui sait nous montrer qu’il ne faut pas se focaliser sur l’instant présent mais voir aussi à plus long terme. Parallèlement, ça a plutôt bien marché sur le Tour de Pologne pour des gars comme Rudy ou Thibaud, qui étaient au stage avec nous. C’est au cas par cas. Il faut croire au processus de l’altitude. J’ai discuté avec le staff, personne n’est foncièrement inquiet. Il est tout à fait possible d’avoir un coup de moins bien puis d’avoir le rebond et d’être au top au départ de la Vuelta. Ceci étant dit, ça reste dur au niveau confiance car c’était notre dernière course avant la Vuelta, et heureusement qu’on a gagné le premier jour ! J’ai profité de la semaine suivant le Tour de l’Ain pour couper un peu, décharger, et passer du temps avec ma copine. J’ai repris avec un entraînement plutôt tranquille et j’ai remis un peu d’intensité à l’approche de la Vuelta.

À l’heure où je vous parle, je n’ai pas encore fait le voyage vers Turin, d’où sera donné le départ, et il faudra aussi bien gérer tout ce qui entoure un Grand Tour, avec ces premiers jours sur place, la présentation, les médias, mais j’ai des coéquipiers expérimentés pour m’aiguiller. Je ressens un mélange d’appréhension et d’excitation. On aura encore le temps de me préciser quel sera mon rôle, mais il est clair qu’on y va avec David et Guillaume en tant que leaders. Mon but sera de les épauler au maximum, et si l’opportunité se présente de prendre des échappées et de jouer des choses sur certaines étapes, je la prendrai si l’équipe m’en donne l’autorisation et si j’en ai les capacités. J’appréhende un peu la durée, car je n’ai jamais fait de course aussi longue, et aussi le phénomène de rouleau-compresseur WorldTour qui va se répéter non pas pendant une semaine, mais pendant trois. Comme je l’ai déjà fait au Dauphiné, il sera important de savoir prendre des journées « off », en me relevant sur certaines ascensions pour essayer de garder des forces. Les anciens m’ont dit : « tu verras, au premier jour de repos, tu es broyé mais ça va, mais après le deuxième, tu n’as même pas envie de remonter sur le vélo ». J’essaierai d’appliquer les conseils qu’on me donnera et je croise les doigts pour que la dernière semaine se passe bien pour moi.

C’est naturellement une grande fierté pour moi d’être au départ de la Vuelta. Faire un premier Grand Tour dès ma première année dans une équipe WorldTour, c’est génial. Je pense que ce que j’ai réalisé sur le Dauphiné, notamment le dernier week-end, a prouvé à l’équipe qu’elle pouvait me faire confiance pour la Vuelta, et j’espère rendre cette confiance. Courir ces trois semaines me permettra aussi de développer mon physique et ça ne peut être que bénéfique pour la saison prochaine.

Et puis, j’ai une petite anecdote pour terminer. En 2019, j’étais étudiant, en soirée, avec des copains qui avaient récupéré un panneau de chantier. Je me souviens que j’y avais écrit, un peu pour déconner, « rendez-vous sur la Vuelta en 2023 ». À l’époque, je commençais à marcher un peu dans le vélo et je m’étais dit : quatre ans, c’est plus ou moins le temps que je me donne pour rejoindre le WorldTour et participer à la Vuelta. J’avais signé à côté de ce petit mot, et ce moment a été immortalisé par une photo (que je vous laisse apprécier en marge de ce paragraphe). C’est quand même énorme, car même si je n’ai pas réussi à tenir exactement ma promesse – à deux ans près -, je suis aujourd’hui sur le point participer de à la Vuelta, et je suis arrivé à ce niveau. Mes copains ont encore ce panneau, et s’ils viennent me voir sur la Vuelta, ils le ramèneront certainement et ce sera forcément un joli clin d’œil.