Le dernier épisode s’était conclu alors que je m’apprêtais à partir sur la Vuelta. La première chose qui m’a marquée, sur place, c’est la présentation des équipes, deux jours avant. Il y avait beaucoup plus de monde que lors des autres présentations que j’avais pu faire. C’était beau de voir le public crier surtout à l’annonce de coureurs comme David ou Stefan. C’était génial de vivre ça. Ce même jour, il y avait le shooting média de l’organisation. On a fait des photos classiques de célébration, puis on a pris place sur une petite plateforme autour de laquelle tournait une caméra. On nous disait de lever les bras en l’air mais je ne voulais pas faire un truc banal. J’avais réfléchi à une petite célébration, et comme je me disais qu’il y avait très peu de chances que je gagne une étape, alors autant la faire. Je voulais mimer Passe-Partout dans Fort Boyard, lorsqu’il montre le nombre de clés à la caméra. Je me suis donc mis à courir sur place, sur la plateforme, tête baissée, puis me suis relevé en montrant un doigt pour la victoire. Je pense que ça aurait pu être drôle si ça avait été publié. Je les aurais forcés à le faire dans le cas où je gagnais. 

Pour ce qui est de la course, on a pris le départ de la première étape avec l’idée de placer Thibaud. Je me souviens avoir roulé à dix bornes de l’arrivée face à des gros rouleurs, et j’avais du mal, j’étais obligé de m’abriter à moitié dans les roues. J’ai essayé de faire au mieux mais je n’étais pas la meilleure personne pour faire ça. Sur la deuxième étape, les cartes étaient Rudy et David. On savait qu’il allait pleuvoir car on a longtemps eu un ciel noir devant nous. Dans la première descente sous la pluie, j’ai vu un mec faire un petit écart devant Guillaume, ça l’a déstabilisé, et il a tiré tout droit dans le fossé. Je l’ai vu tomber, mais honnêtement, je ne pensais pas qu’il allait abandonner. On a appris ensuite qu’il ne repartait pas, ça nous a mis un petit coup, mais je n’en étais vraiment sûr que sur la ligne car je n’entendais pas super bien dans l’oreillette avec la pluie. J’étais vraiment concentré car ça devenait très dangereux, très glissant. Je me rappelle être arrivé dans un rond-point, en ayant l’impression qu’on ne prenait pas de risques, et voir les mecs tomber comme des quilles. Je me souviens avoir dit à Stefan que ça devenait vraiment chaud. Puis il y a eu la montée finale, où il s’était arrêté de pleuvoir.

On avait pris le lead assez tôt, et étant donné que j’étais derrière Rémi et Thibaud, les commentateurs ont pensé que ça roulait pour moi, mais pas du tout ! Rudy n’était pas très loin, mais David était tout derrière, tétanisé par la pluie. Au pied, il était prêt à ne pas faire la bosse. Mais au final, il a retrouvé la force, la volonté et il est allé faire podium ! C’est incroyable qu’il ait réussi à se remettre dedans comme ça. Quand on l’a vu au fond de la classe, on ne croyait même plus vraiment en sa carte. En traînant à l’arrière pendant vingt kilomètres, il avait dû prendre toutes les relances, on se disait que ce serait compliqué s’il n’était pas placé, mais finalement, c’est lui qui avait raison. Il y avait le temps de remonter, et il l’a fait au bon moment pour faire son effort et signer ce podium. Il nous a bluffés. Le lendemain, on savait qu’il était en forme, mais on avait aussi Thibaud qui pouvait faire quelque chose de bien. Le but pour David était avant tout de ne pas perdre de temps. Dans le final, on a essayé de faire le placement au maximum, tout le monde a participé, j’ai réussi à trouver l’ouverture pour remonter Rudy, mais David a réussi à remonter tout seul. Il était juste très fort ce jour-là. Et puis, il est allé claquer l’étape avec un intérieur légendaire dans le dernier virage. On ne l’attendait pas forcément sur cette étape, mais il nous a fait un finish de folie. Et il a tapé un autre sprinteur de renom !

J’ai entendu quelque chose à l’oreillette, mais je ne l’ai vraiment appris sur la ligne. J’avais du mal à réaliser car je dois avouer que je ne m’y attendais pas. C’était incroyable de voir la joie que ça a généré pour toute l’équipe, et pour lui en particulier, car il a beaucoup galéré cette année. J’ai immédiatement demandé s’il prenait le maillot rouge, car je me doutais que ça ne se jouait pas à grand-chose. On m’a dit non, au cumul des places, et j’ai tout de suite compris que ça allait être l’objectif des prochains jours. Du coup, le lendemain, le but était de placer David dans le final, puis c’était à lui de voir s’il avait envie de prendre des risques pour attraper ce maillot rouge, car on savait que ça allait être houleux dans le sprint. L’équipe a encore fait un gros boulot ce jour-là, puis David a su mesurer les risques pris, mais je me souviens qu’il nous avait en gros dit « plus jamais ça » à l’arrivée. Il a réussi à devancer Vingegaard de suffisamment de places pour prendre le maillot rouge. À partir de là, on savait que c’était déjà une Vuelta réussie, que ce qui suivrait serait du bonus, même si on avait encore envie de bien faire. Certains n’auront jamais le loisir de vivre un maillot de leader et une victoire d’étape sur un Grand Tour, et j’ai eu la chance de le vivre dès le tout début de mon premier Grand Tour. C’était assez incroyable pour moi.

Lorsque David a pris le maillot, on était à Voiron, en France, et on a dû prendre l’avion le soir car l’étape du lendemain était à côté de Barcelone. On est arrivé à l’hôtel vers 22 heures, l’équipe avait alloué un masseur par coureur, mais pas grand-monde était passé au massage car il était vraiment tard. Ça fait partie des aléas des Grands Tours. On a en revanche eu le temps de dormir car le chrono était assez tard le lendemain. On savait qu’il serait compliqué de garder le maillot mais on avait à cœur de bien faire. On avait fait des répétitions avant la Vuelta, on savait que c’était un groupe qui tournait bien. Je n’avais pas forcément peur des grosses machines car le but d’un chrono par équipes est justement qu’ils ne me broient pas, mais simplement qu’ils prennent des relais plus longs. Le leitmotiv était de ne pas perdre de vitesse, même si on ne passait pas très longtemps. C’est quand même une journée stressante. On a fait une dernière reco vers midi, puis il y a eu toute la mise en place, l’échauffement. Beaucoup de staff est sollicité pour nous mettre dans les meilleures conditions.

J’aurais aimé durer un peu plus longtemps, mais c’est la loi du chrono. On se sent bien au début, on a presque l’impression que ça ne roule pas assez vite, puis on commence à être à fond, et arrive un moment où il est difficile de reprendre les roues. Quand on a repris le vent de dos, j’ai dû faire un sprint pour tenir les roues et ça m’a condamné pour la suite. L’entraîneur l’a vu et a annoncé dans l’oreillette : dernier relais pour Clément. J’ai fait un relais de vingt secondes, puis je me suis écarté. Le chrono par équipes est un exercice où il faut être assez humble et ne pas avoir peur de se relever car on n’est pas assez puissant pour l’équipe. On a rendu le maillot ce jour-là, mais d’après nos spécialistes du chrono, il n’y avait pas grand-chose de plus à faire. Le lendemain, pour l’arrivée au sommet en Andorre, le but était encore de placer David au mieux dans la montée finale. Je me suis écarté à 5-6 km, puis il s’est débrouillé seul. L’objectif dans cette première semaine était de viser les étapes où il était important d’accompagner David le plus loin possible, de sorte à économiser des forces, car je ne savais pas comment j’allais réagir en troisième semaine.

Ce jour-là, je me souviens avoir vu un pote de Tom Donnenwirth sur le bord de la route, et il m’a fait le fameux signe de Tom, « ouvert en deux ». Je l’ai fait en retour car ça m’a bien fait rire, et je me suis dit que c’était vraiment en train de devenir une secte. Sur la septième étape, je voulais vraiment prendre l’échappée, mais je me souviens m’être fait sauter le caisson dans la première bosse. Quand la décision s’est faite, j’étais complètement mort et j’ai vécu une sale étape. J’ai aussi vite compris que David n’était pas dans une grande journée. J’ai essayé d’être un support mental et physique au pied de l’ascension finale, mais après un kilomètre de montée, je l’ai vu s’écarter. Il m’a dit qu’il n’avait vraiment pas les jambes et que je n’avais pas besoin de l’attendre. Heureusement, on avait Brieuc dans l’échappée, et je me souviens que William [Green] l’encourageait fort à l’oreillette. Il a réussi à accrocher le top 10 (8e), et il est vraiment allé le chercher car le peloton n’était pas loin. Ça m’a forcément donné des idées, et j’avais moi aussi envie de vivre une échappée qui allait au bout. Le lendemain, c’est Thibaud qui fait un top 10 à son tour. C’était cool de le voir enfin trouver l’ouverture.

Au départ de la neuvième étape, l’échappée a eu beaucoup de mal à se former. J’étais bien présent, j’avais vraiment envie d’y être mais le peloton voulait contrôler. Il y a tout de même eu une petite échappée mais j’étais bien content de ne pas y être, car mon leitmotiv dans cette Vuelta était certes de prendre des échappées, mais avec l’objectif qu’elles aillent au bout. Ce qui n’était clairement pas le cas ce jour-là. Dans le final, Fred [Guesdon] nous a dit qu’on avait carte blanche, et je me suis motivé pour faire une belle montée. Initialement, je n’étais pas trop prêt à le faire car je m’étais un peu endormi à la mi-course en me disant que les leaders allaient s’expliquer, mais j’ai été placé par Stef, je n’étais pas trop mal, et il y avait repos le lendemain. J’avais toujours en tête de garder des cartouches, mais de temps en temps, c’était utile de faire un final d’étape à fond. La journée de repos a fait du bien : on a pu dormir le matin, on a fait la traditionnelle sortie avec pause-café, la photo d’équipe devant le bus. J’étais surtout content d’arriver au repos car j’avais vraiment besoin d’aller chez le coiffeur. J’avais pris rendez-vous dans un salon avec notre photographe, et l’ambiance y était absolument mémorable. On essayait de se faire comprendre, et je pensais ressortir de là avec une coupe qui ne ressemblait à rien. Au bout du compte, ça a été, et on s’est surtout bien marré.

Au lendemain du repos, j’avais vraiment envie d’être dans l’échappée, car on savait qu’elle pouvait aller au bout. J’étais très motivé, mais j’ai eu un petit problème. On y est : l’épisode de la musette. J’étais en train de sortir en échappée avec deux mecs, j’étais un peu à sec niveau bidons et j’ai vu la musette au loin. J’avais envie de dire « pas de musette sortez un bidon », mais trop tard. Le prochain ravito était loin et ça bataillait fort, donc on ne pouvait pas descendre à la voiture. Je savais que c’était dangereux mais j’ai pris le risque de prendre la musette. Il y avait un petit vent, j’étais un peu à fond, et ça s’est avéré être un mauvais choix… L’équipe a aussi admis après-coup qu’elle n’aurait pas dû conserver les musettes à cet endroit, à ce moment. La chute était spectaculaire mais je n’avais heureusement rien de cassé. J’ai fini loin ce jour-là, mais sans douleur particulière. Ça aurait pu être plus grave. Je ne dirais pas que je suis content d’être tombé, mais on m’a envoyé la réaction de Jacky Durand à cet épisode et je l’ai trouvée incroyable. J’ai carrément buzzé sur les réseaux ! Ceci dit, j’avais plus buzzé quand Kwiatkowski m’avait aidé à rouler droit quand j’essayais de remettre ma chaîne un peu plus tôt dans la Vuelta. Ça avait fait 15 millions de vues !

Sur l’étape de Bilbao, on voulait aussi prendre l’échappée mais Visma-Lease a Bike ne voulait pas laisser sortir un gros groupe. On était pourtant dans une grande journée collectivement. Brieuc avait même réussi à suivre un groupe de dix dans l’avant-dernière bosse avec les favoris, on était rentrés dans un second temps avec Rudy, et on était encore trois sur un groupe de 25-30 gars. On se disait qu’il y avait moyen de jouer un joli truc ce jour-là, puis on a appris au pied du dernier pétard que les temps seraient gelés à trois bornes et qu’il n’y aurait pas de vainqueur. J’étais, et on était dégoûté. C’est toujours dommage de se la coller pendant toute une journée, car ça avait été très dur physiquement, pour apprendre à cinq kilomètres qu’il n’y aurait pas d’arrivée. J’ai lâché l’affaire et je me suis relevé, même s’il fallait aussi retenir le positif : on était encore trois de l’équipe quand c’est devenu dur, et ça ouvrait des possibilités pour la suite. Brieuc l’a prouvé dès le lendemain en faisant une énorme étape et une incroyable troisième place, avec un travail de fou de Stefan et Rudy dans l’échappée.

J’avais moi aussi coché cette étape depuis le début de la Vuelta. Elle me plaisait, j’avais envie de bien faire, d’autant que mes parents étaient là. Ma sœur et son copain m’avaient aussi fait la surprise d’être présents. Malheureusement, j’ai vite compris au départ que je n’étais pas dans une grande journée. J’ai essayé de suivre un coup quand Rudy est ressorti, mais je n’avais pas les jambes puis j’ai eu du mal à tenir dans le peloton tout le reste de la journée. Il me tardait la montée finale pour me relever. J’ai fini gruppetto ce jour-là, et ce n’était pas cool pour ceux qui étaient venus me voir. Mon père s’est demandé où j’étais, puis m’a vu arriver vingt minutes après les leaders. C’était un peu chiant personnellement, car deux potes de l’épisode du panneau « route barrée » étaient là aussi ! Ils avaient peint des Braz partout sur la route, ils avaient des pancartes avec des photos de l’époque, ils m’ont encouragé à bloc. La veille, ils m’avaient aussi demandé des jokes sur les autres gars de l’équipe pour les faire sourire quand ils passaient. Je crois que les gars étaient tout aussi contents que moi de les voir ! Ce sont des potes en or. J’étais très content qu’ils soient là et ils m’ont régalé. Physiquement, ça avait été plus compliqué, mais je m’étais préparé à subir aussi de mauvaises journées. Je pense qu’on peut aussi la mettre sur le compte de ma chute, 48 heures plus tôt.

Le lendemain, c’était l’Angliru. Je savais que l’échappée n’irait probablement pas au bout, mais je n’avais pas encore réussi à prendre les devants depuis le départ de la Vuelta, et je m’étais dit qu’il fallait commencer à enclencher une bonne dynamique. Mes potes avaient imprimé des centaines de petites photos de moi, et avec la complicité du staff, j’en avais retrouvé partout, sur mes bidons notamment. Je savais qu’ils seraient dans l’Angliru, et je m’étais dit que ce serait énorme si je passais en étant encore en tête de course. Malheureusement, j’ai vite compris que je n’étais pas dans une grande journée. J’ai pris l’échappée, mais je subissais, et ça s’est confirmé dans la première bosse. J’ai quand même redemandé à Rémi de rouler pour faire un effort dans la bosse suivante, avant l’Angliru. J’étais ressorti en chasse, j’avais fait une grosse descente, un bon pied de l’Angliru puis… la sentence, terrible. J’étais avec Ivo Oliveira, qui m’a laissé partir, puis je me suis retourné et je l’ai vu rouler en tête de peloton, m’avaler et me déposer.  Ça, ça a fait mal. Il me restait une bonne partie de l’Angliru, mais avec la dureté des pentes, il valait mieux continuer à un bon tempo.

Il me tardait d’arriver aux copains à trois bornes. Ils étaient là, sous la banderole, ils gueulaient et m’ont un peu poussé dans le dos ! Merci d’ailleurs à tous les gens qui ont fait des poussettes dans l’Angliru. Ça fait partie du jeu, et ça fait vraiment du bien quand on est loin. Certaines portions étaient si dures que je ne savais pas comment j’allais avancer. Mes potes ont encore régalé les autres gars, puis ils m’envoyaient les vidéos le soir et tout le monde avait un grand sourire car ils amusaient bien la galerie. Je veux remercier Rémi dans cette journée qui s’est sacrifié pour moi. J’ai aussi perdu mes lunettes ce jour-là dans une descente. Rémi les avait vues, mais bon, il avait déjà suffisamment bossé pour moi toute la journée (sourires) ! À La Farrapona, le lendemain, je n’étais pas bien du tout. Alors quand UAE a mis un coup de vis dans l’avant-dernière montée, je n’avais pas trop envie de me battre, mais plutôt d’en garder pour la suite. C’était aussi la dernière fois que je voyais mes deux potes et on a immortalisé ça avec une belle photo. C’était trop bien de vivre ça avec eux, quelques années après cette fameuse soirée. On peut dire que la boucle était bouclée.

La veille de la deuxième journée de repos, on savait que l’échappée irait probablement au bout. Stefan y était puis on a réussi à faire le jump au dernier moment avec Thibaud. On était quarante devant et je sentais que j’étais dans une bonne journée. Je savais qu’il y avait quelque chose à jouer sur cette étape, même si elle n’était pas taillée pour mon profil. J’avais ma carte, mais je ne l’avais pas bien jouée. Je pense que j’avais les jambes pour être dans le groupe de sept qui est sorti dans le final, mais j’étais mal placé quand la décision s’est faite. Il m’a manqué la cartouche pour ressortir avec les gars comme Frigo car je l’avais utilisée pour remonter de la dernière à la dixième position du groupe. Je m’en voulais énormément. Je n’aurais pas battu Pedersen, mais ça m’aurait permis de me relancer et de faire mon premier top 10 sur un Grand Tour. J’ai maturé ces regrets toute la soirée, j’avais vraiment du mal à m’endormir. On n’a pas des millions d’opportunités, donc on n’a pas le droit de rater ces occasions, surtout quand on se sent bien. Durant la journée de repos, j’ai encore ressassé, mais comme me l’ont dit les mécanos : ce n’est pas une fois qu’on a fait dans son ben qu’il faut le baisser. Cette expression m’est restée.

Ceci étant, c’est aussi grâce à ces regrets que j’ai fait la journée que j’ai faite après le repos. Il n’y avait pas à ch** (sic), le but était d’être dans l’échappée car on savait qu’elle irait au bout. On a réussi à sortir au bon moment et on avait les cartes qu’on voulait ce jour-là avec Rudy, Brieuc et moi. C’était une situation rêvée d’en avoir trois sur une quinzaine de coureurs. On avait fait la première partie du boulot. On avait les deux rookies et l’expérimenté des Grands Tours en la personne de Rudy, qui était aussi mon collègue de chambre. J’en profite pour dire que c’était top de partager cette Vuelta avec lui. Comme j’aime à le dire, le vieux est mûr mais pas du tout pourri ! Il est encore hyper fort, et chapeau à lui de durer autant, de faire ce qu’il fait après autant d’années, d’être toujours présent. Qu’il ne change pas. C’est un mec extraordinaire avec qui j’ai passé de super moments. Fin de l’aparté. Dans le rang des phrases qui me sont restées, il y a aussi celle des directeurs sportifs, deux jours plus tôt : « dans les grosses échappées, le premier mouvement de course va souvent très loin ». Ce jour-là, quand j’ai vu Landa y aller, Bernal y aller, je me suis souvenu de ça, et j’ai décidé d’y aller. Il a fallu user une grosse cartouche pour les accompagner, je ne savais pas si ça allait aller loin mais ensuite j’ai vu Brieuc rentrer avec Nico Denz, et là j’ai compris que ça pouvait le faire.

Le groupe Soler a failli rentrer mais on a remis un cran au sommet d’une bosse, ils se sont relevés, et c’était fini. C’était top que je sois devant, et top que je sois avec Brieuc car on avait réussi à conserver notre surnombre ! On était en train de faire une super journée. Puis, on a attaqué la bosse décisive. C’était un beau mur, mais je me souviens être en jambes, et me rappeler de mon échec deux jours plus tôt. Je me suis dit : je ne peux pas laisser passer ma chance aujourd’hui, je reste dans les roues, je m’accroche comme un forcené et je ne lâche pas. Les jambes étaient bonnes, et j’ai réussi à basculer avec Landa et Bernal. J’ai eu le temps de réaliser que j’étais avec deux monstres du cyclisme. D’un côté, je me demandais ce que je faisais là, mais je ne faisais pas non plus de complexes : si j’y étais, c’est ce que c’était ma place. Je m’en foutais que ce soit Bernal et Landa, je voulais les taper. J’étais d’ailleurs dans une situation rêvée car je n’avais plus à rouler avec Brieuc vingt secondes derrière. Je sais que ça les contrariait, mais ils n’avaient rien à dire. C’était une situation légitime. Certains diront que la suite de l’histoire relève du karma… Dans la descente, j’ai commencé à sentir mon vélo tanguer, puis quand on a repris un petit repecho, j’ai compris que j’étais vraiment à plat. C’était difficile sur le moment, car j’ai compris que c’était en train de m’échapper.

J’ai essayé de rester calme car ça ne sert à rien de s’énerver dans ces moments-là. Bizarrement, il n’y avait que la voiture de Soudal-Quick Step derrière nous… La nôtre n’avait pas eu le droit de passer. L’assistance neutre est arrivée, a voulu changer la roue mais a coincé la chaîne. Puis j’ai mis le vélo sur le côté, j’ai vu passer Brieuc, un autre groupe, puis la voiture est arrivée et m’a donné un second vélo. J’étais un peu abattu, mais Yvon et Fred m’ont remotivé. Dans mes souvenirs, je n’ai appris qu’après la crevaison que l’arrivée était avancée au pied de la montée finale… Dans le même temps, j’entendais dans l’oreillette que Brieuc était en mesure de rentrer. Je me suis dit : s’il revient et claque après ce qu’on a vécu, c’est énorme. Au bout du compte, il lui a manqué une poignée de secondes. Personnellement, je n’avais pas envie de me résigner, j’avais envie de faire ma place, et j’ai attaqué à un kilomètre de la nouvelle arrivée. Seul Denz a pu me suivre et il m’a sauté sur la ligne. Tout de suite après, c’était beaucoup de frustration et je me suis dit que je venais peut-être de rater une occasion unique de gagner une étape sur la Vuelta. En tout cas, il y avait clairement match avec Bernal et Landa. Je ne suis pas un grand sprinteur mais eux non plus… On ne saura jamais.

Avec l’arrivée au sommet, je n’aurais sans doute pas gagné, mais j’aurais peut-être eu le temps de revenir pour faire troisième malgré la crevaison. J’étais malgré tout content de ne pas m’être démoralisé et d’être allé chercher un top 5. Brieuc avait signé un nouveau podium, Papa Rudy avait fait dixième, et on pouvait être fiers de la course qu’on avait produite. Brieuc était tout de suite venu me voir à l’arrivée. Il était aussi désolé pour moi, et encore plus car il n’avait pas réussi à rentrer. Il aurait voulu la claquer pour moi. C’était cool de partager ça ensemble. Il y a plusieurs choses à retenir de cette journée. Je suis conscient d’avoir fait quelque chose d’énorme ce jour-là, et ça me donne de la force pour le futur. J’ai montré ce dont j’étais capable sur ce type d’efforts. Quelques jours après la Vuelta, je pense que les gens ont plus de regrets que je n’en ai moi-même. Si ça ne devait pas se passer, c’est que ça ne devait pas se passer. Je crois que tout a un sens dans la vie. Et puis, a posteriori, ce n’était peut-être pas LA victoire à obtenir dans une carrière vu la manière dont ça s’est terminé, sans podium, ni public… J’ai reçu beaucoup de messages le soir, y compris de Marc, dont j’avais cette fois enregistré le numéro. Ce qui fait au chaud au cœur, c’est quand les copains nous disent qu’on les a fait vibrer derrière la télé. Je ne fais pas du vélo pour les autres, mais ça fait toujours plaisir de transmettre des émotions à ses proches.  

Sur la dix-septième étape, je me souviens qu’il y avait beaucoup de monde dans la montée finale, mais malheureusement la forêt avait été complètement ravagée par les flammes quelques semaines plus tôt. Ça sentait encore la cendre. Je faisais ma montée, seul, puis j’ai vu des combattants du feu nous applaudir sur le bord de la route. Mais je me suis dit que ce qu’on faisait n’était que du divertissement par rapport à eux, dont le métier est de sauver des vies. J’ai lâché mon guidon et je les ai applaudis en retour. Sans eux, cette montagne aurait subi des dégâts encore plus importants… À Valladolid, le contre-la-montre avait été réduit de moitié, et pour moi, c’était un vrai cadeau ! J’étais tellement, mais tellement content de me dire que je ne sortais que pour douze bornes et pas vingt-sept. Dans l’équipe on avait cinq mecs contents, et deux qui ne l’étaient pas ; nos deux rouleurs. En revanche, je peux dire que c’est assez impressionnant de les voir se préparer quand c’est leur jour. Le lendemain : journée la plus tranquille de toute la Vuelta. Ça s’est seulement affolé dans le final et Thibaud a réussi un nouveau top 10.

Sur l’avant-dernière étape, on a réussi à prendre l’échappée avec Stefan, Rudy, mais le peloton ne voulait pas laisser la victoire et ça a été une journée de dingue. On avait été gâtés avec le chrono et l’étape de la veille, mais ce jour-là, ça a vraiment bourriné sévère. L’échappée a explosé dans l’avant-dernière bosse et on s’est fait reprendre par le peloton avant la Bola del Mondo. J’avais à cœur de faire la montée finale sur un gros tempo même si les jambes étaient bien entamées. C’était important pour moi. En troisième semaine, le but était de faire toutes les montées finales à fond, pour travailler pour la suite, et car il y avait moins de risques de se cramer. Les gens peuvent d’ailleurs se demander pourquoi j’ai fini 38e sur cette étape alors que j’avais été capable de suivre Bernal et Landa quelques jours avant. En fait, quand on est devant et qu’on sait qu’on joue la gagne, on devient un killer et les forces physiques sont décuplées. En plus, les bosses me convenaient davantage. Quand, en revanche, on bataille toute la journée dans l’échappée et qu’on se fait reprendre par le peloton, c’est plus difficile. Même si on est dans une bonne journée, on sait que le top 10 n’est pas jouable avec les favoris. Le cerveau débranche un petit peu, sans compter le fait que la montée finale de Bola del Mundo était un enfer. C’était même plus dur que l’Angliru pour moi. Dans les trois derniers kilomètres, les dalles de béton ne rendaient rien, il y avait des trous partout. Un enfer, vraiment un enfer. Mais de là-haut, on pouvait voir Madrid.

Ma copine était arrivée le matin-même pour vivre cette dernière journée, mais elle n’aura pas vu beaucoup de cyclistes… Ma sœur était aussi revenue avec son copain pour l’arrivée finale. On se doutait que ça allait être compliqué car on nous avait donné trois itinéraires différents pour rejoindre le circuit. Au bout de quinze kilomètres, on a compris que ça ne sentait pas bon car on n’empruntait pas l’itinéraire enregistré sur le Garmin. À l’approche du circuit, un spectateur s’est mis sur la route, il y a eu des écarts, ça a failli tomber devant moi et j’ai vraiment eu peur.  J’ai vu des coureurs lever les bras en l’air, on s’est arrêté 500 mètres après, puis le directeur de course nous a dit qu’on stoppait tout. On est montés dans les voitures, et on est repartis direct à l’hôtel. Je ne sais pas si je suis vraiment déçu de ne pas avoir vécu ce final, car je ne sais pas réellement ce que c’est, une arrivée de Grand Tour. J’étais simplement consolé par le fait qu’il y ait ma sœur, ma copine, et on a ensuite vécu une très belle soirée avec l’équipe. On a fêté cette fin de Vuelta de très belle manière et c’était génial de profiter de ce moment ensemble.

Je n’ai pas vécu l’arrivée de la Vuelta, mais j’ai eu la chance de rester deux jours sur Madrid avec ma copine, et de profiter de cette ville que je ne connaissais pas. Je n’étais pas forcément nostalgique, car j’étais encore pris dans le truc. Je réalise un peu plus maintenant car je suis rentré chez mes parents et que beaucoup de monde me parle de la Vuelta, et du fait que ça a été incroyable de me suivre. Je suis plutôt content de ce que j’ai réussi à faire. J’ai vécu des choses dingues avec la victoire de David, le maillot rouge, les belles perfs des coéquipiers. Il y a quelques regrets et déceptions mais je vais retenir le positif, car il y en a beaucoup. Je n’ai pas flanché sur ces trois semaines, j’ai fini la dernière semaine avec deux échappées et loin d’être cramé. C’était une première expérience sur trois semaines, et je trouve qu’elle ne s’est pas mal passée. J’étais à la fois excité et un peu anxieux, mais au final, si on n’est pas malade et qu’on se gère plutôt bien, c’est dur, certes, mais ça peut aussi très bien se passer physiquement. J’ai hâte d’être au prochain pour voir ce que ça peut donner avec l’expérience et la caisse en plus. Et un grand merci à tous les gens qui m’ont encouragé sur cette Vuelta et qui m’ont envoyé des messages. Ça fait toujours chaud au cœur.