A 51 ans, Philippe Mauduit a rejoint le staff de l’équipe cycliste Groupama-FDJ et donne suite avec beaucoup d’enthousiasme à une carrière riche en expériences lui ayant permis de travailler auprès de très grands champions et aux quatre coins du monde. A la veille du Tour de La Provence, sa première course en 2019 et après avoir été en stage pendant 17 jours à Tenerife avec le groupe Thibaut Pinot, il nous dit son bonheur de travailler dans un groupe ‘’poussant le détail à un niveau que tu ne vois pas dans beaucoup d’équipes’’.

Philippe, comment appréhendes-tu ta première course derrière le volant de la voiture Groupama-FDJ ?

Je suis à bloc ! Pressé comme un cadet. Faire une première course avec sa nouvelle équipe, c’est toujours un événement en soi. Je vais devoir prendre mes marques. Les coureurs ne savent pas comment je vais réagir, à l’inverse je ne le sais pas non plus. Je me pose beaucoup de questions et finalement ce sera sans doute très simple. Simplement, j’ai beaucoup d’envie.

« Quand je me suis retrouvé avec eux, j’ai passé beaucoup de temps à observer »

Ces coureurs, pour la plupart te connaissent bien, tu viens de vivre 17 jours avec eux lors d’un stage à Tenerife. Comment cela s’est-il passé ?

Super bien, ils ont vraiment bien bossé. Julien Pinot était avec nous pour superviser le travail. Jacky Maillot nous y a rejoint pour surveiller l’adaptation à l’altitude et envisager le phénomène de l’hypoxie. Seul bémol, ils ont fini un peu souffrants. C’est dommage, quand tu as bien travaillé d’avoir ce genre de petit inconvénient mais les acquis étaient là. Tout est rentré dan l’ordre et ils sont tous prêts.

Ce stage t’a permis de bien faire connaissance avec Thibaut Pinot ?

Je ne le connaissais pas ou plutôt seulement comme on connaît un coureur d’une autre équipe et quand on se dit bonjour dans l’ascenseur d’un hôtel. J’avais plus de relations avec son frère Julien, nous avons un passé commun à Besançon. On s’appelait de temps en temps. C’est drôle mais quand tu rejoins une équipe, les gens de l’intérieur et de l’extérieur te parlent des coureurs. Avant de les côtoyer, j’avais plein d’infos. Quand je me suis retrouvé avec eux, j’ai passé beaucoup de temps à observer, j’ai laissé faire les choses. J’ai appris en laissant faire ce qu’ils ont l’habitude de faire. Thibaut, ça me semble être une belle surprise. En tout cas, je n’ai pas retrouvé le coureur dépeint par les médias. Et ce que j’avais lu sur lui n’est pas juste. Je m’attendais à ce qu’il soit taiseux, à découvrir un homme qui n’ose pas venir vers toi. Finalement, non, c’est tout le contraire. Il est avenant, il est bien dans son équipe. C’est un vrai leader avec des idées, des envies et des besoins. Il ne se la raconte pas. En fait, il a la qualité de tous les grands champions. On a toujours l’impression qu’ils sont inaccessibles et finalement ils sont très humbles en ayant la faculté de se remettre souvent en question.

« Bosser avec des mômes comme ça, rend heureux »

Et les autres ?

David Gaudu je ne connaissais pas perso mais je sais qui il est puisqu’il est français. Sebastien Reichenbach encore moins. Je m’y suis intéressé quand il était chez IAM Cycling mais s’agissant d’une autre équipe, tu ne te permets pas d’aller vers lui pour le rencontrer. En réalité, ces coureurs, j’en connaissais le palmarès, je me faisais une idée de leurs compétences mais c’est une belle découverte. Rudy Molard a toujours le sourire, il a toujours envie, il est toujours motivé et il est vachement pro ! Georg Preidler qui a réglé ses problèmes physiques et est parti à Gran Canaria pour rouler au soleil, quelle découverte ! Quelle éducation ! Bosser avec des mômes comme ça rend heureux. En réalité, pendant 17 jours, on n’a pas vu le temps passer. Avant de nous y rendre, nous avions noirci le tableau en leur disant ‘’ça va être dur’’, ‘’la première boutique est à une heure de route’’, ‘’on va rester en vase clos’’. Finalement, ça s‘est super bien passé. On ne s’est pas ennuyé !

Cette équipe te réserve-t-elle des surprises ?

Oui vraiment ! Cela faisait dix ans que je n’avais pas travaillé en France. On dépeint souvent dans les médias les équipes françaises comme n’étant pas travailleuses avec des coureurs ronchons qui se plaignent sans cesse… En guise de quoi, je suis vraiment épaté par le professionnalisme de cette équipe. Tous poussent le détail à un niveau que tu ne vois pas dans beaucoup d’équipes. Les mécaniciens, le suivi des coureurs, la recherche et le développement, tout est très pro ! Je suis super content. De toute façon, j’avais envie de venir, Marc Madiot n’a pas eu besoin de me forcer beaucoup pour me décider. Depuis mon arrivée, j’ai eu beaucoup de bonnes surprises.

A quand remontent tes contacts avec Marc ?

Il m’a appelé en octobre 2017, j’avais signé 15 jours avant chez UAE-Team Emirates pour deux ans. J’avais bien les boules. Chez UAE je ne peux pas dire que j’étais mal mais, mince, j’avais loupé de peu une belle opportunité de revenir dans une équipe française. Marc m’avait dit ‘’ne t’inquiète pas, on a envie de travailler avec toi, on attendra deux ans !’’ Je me suis dit que je devais tout faire pour ne pas aller au bout de mon contrat. J’ai tout expliqué à mon patron, Giuseppe Saronni. Il m’a dit ‘’OK je comprends, on arrête le 31 décembre 2018.’’ Seigneur, je ne le remercierais jamais assez !

« On ne va pas cacher nos ambitions »

Et comment t’es-tu retrouvé en charge du groupe Thibaut Pinot appelé le ‘’groupe montagne’’ ?

Il y avait une envie de l’équipe d’avoir quelqu’un de nouveau pour s’occuper de ce groupe là. Marc ne m’en a pas parlé d’entrée mais c’est venu progressivement au fil des discussions que nous avons eues dans l’année. Il avait peut être cette idée dès le départ. Je précise que je venais pour l’équipe. Aujourd’hui je suis souvent avec Thibaut mais je suis là pour l’équipe et pour tous les autres coureurs. J’ai bénéficié d’un très bon accueil. Les choses sont simples, il n’y a pas d’ambiguïté, ça facilite la vie et je constate qu’il faut que chacun de nous soit pointu dans l’amélioration du système et pour l’évolution de l’équipe. Groupama-FDJ grandit en même temps que les hommes. Il y a peu de changements et les coureurs restent longtemps parce que ici les hommes sont fidèles. Souvent quand on dit d’une équipe qu’elle est une famille, il s‘agit d’une façade. Ici, ils ne prononcent jamais ce mot là parce que c’est naturel.

Quel est votre grand challenge cette année avec ce groupe montagne ?

Le Tour de France et le podium pour Thibaut. On ne va pas cacher nos ambitions. Pour réussir à relever le défi, il faut l’assumer et se le mettre dans la tête. Ce sera notre fil conducteur de l’année en passant par Tirreno-Adriatico, le Tour de Catalogne et le Critérium du Dauphiné. Dans le Tour de La Provence que nous disputons cette semaine, ce sera un peu compliqué parce que le contre la montre des Saintes-Maries-de-la-Mer va bloquer la course mais on va en profiter pour trouver des automatismes avant de les confirmer au Tour du Haut-Var.

Qui sont les équipiers de Thibaut en Provence ?

Rudy Molard, Antoine Duchesne qui est un beau personnage, David Gaudu, Romain Seigle que je vais mieux connaître grâce à ces quatre jours, Sébastien Reichenbach et Benjamin Thomas qui fait sa rentrée et prépare le championnat du monde sur piste. Lui, je le suis depuis qu’il a fait un numéro dans la troisième étape des 4 Jours de Dunkerque à Amiens en 2017 quand il portait le maillot de l’Armée de Terre. Ils étaient sortis à trois dont Sylvain Chavanel à 20 kilomètres de l’arrivée. Deux se sont relevés sous la flamme rouge, Benjamin est allé au bout. Je m’étais dit ‘’Oh, mais c’est qui ce gamin ?’’ Benjamin a un moteur hors classe !

« Je n’ai jamais oublié »

Qu’attends-tu de ton équipe cette semaine?

Je n’ai pas envie de leur mettre la pression du résultat immédiat. On a tout à construire même s’ils ont l’habitude de travailler ensemble. En descendant d’altitude, il y a un moment tampon ou tu ne peux pas être à 100% de tes capacités. Exiger un résultat serait mettre la charrue avant les bœufs et il n’y a pas besoin de leur mettre la tête à l’envers. Cette semaine, on va mettre des choses en place et courir en fonction du chrono initial. On va prendre du plaisir.

Tu es directeur sportif depuis dix-neuf ans mais tu as eu vraiment un parcours anachronique ?

Je ne pensais pas être directeur sportif un jour. J’avais fini ma carrière de coureur chez Besson-Nippo Hondo. J’allais courir en moyenne une fois par mois au Japon. Quand j’y ai fait mes adieux dans ma dernière course, je ne pensais pas revoir les dirigeants de ce sponsor japonais avec qui j’avais tissé des liens. Pour moi, je sortais du milieu cycliste, c’était fini. Un peu plus tard, ils m’ont appelé pour encadrer en France des juniors venant du Japon. J’ai refusé. Ils ont insisté, j’ai tenté l’aventure. Puis je suis allé en Chine, j’ai travaillé trois ans pour la fédération chinoise jusqu’en 2004. Là, j’ai été recruté par Jean-René Bernaudeau que j’ai quitté pour rejoindre Cervélo et Jonathan Vaughters. De là, remonte mon premier vrai contact avec Marc Madiot. L’équipe Cervélo avait annoncé pendant la Vuelta qu’elle s’arrêtait. Marc m’a appelé pour me demander si j’avais du boulot pour l’année d’après. Il m’a tendu la main mai c’était trop frais, je cherchais surtout à recaser le staff. Marc m’avait dit qu’il ne pouvait pas me donner un travail à l’année mais qu’il se débrouillerait pour me donner des jours de courses et que  je puisse rester dans le milieu. J’avais été surpris. Je n’ai jamais oublié. Après, je suis parti chez Saxo Bank. Puis chez Lampre avec Saronni. Puis Bahrain-Merida et UAE-Team Emirates. Sept ans après, au mois d’octobre 2017, Marc m’a recontacté…

Quels sont les champions qui t’ont marqué ?

Carlos Sastre avait demandé que je travaille avec lui, c’était une bonne expérience. Chez Saxo Bank, Bradley McGee était le directeur sportif numéro 1 et moi le numéro 2. Il s‘occupait beaucoup de Contador. Quand il est parti, il était logique que je continue avec Alberto. D’accord j’ai travaillé avec de grands leaders mais humainement, j’ai du mal à faire des différences. Le côté humain est très important et il n’y a pas de différences entre le leader et l’équipier qui va se sacrifier dans la première heure. Il ont tous besoin de la même considération. Le leader sait ce qu’il doit faire, c’est plus clair mais ce que fait l’équipier est tellement dur qu’il a besoin de tout notre soutien !

Aucun commentaire