Bruno Armirail est le symbole du courage et de la ténacité. Pour atteindre son rêve d’évoluer dans le peloton professionnel, il lui a fallu plus de deux ans pour effacer les traces d’un terrible accident de la route. A 24 ans, la bête à rouler des Pyrénées revient sur sa première année avec l’équipe Groupama-FDJ. Avec le sourire, avec plaisir. Deux mots qu’il cultive au quotidien.

« Les vacances m’ont fait du bien. »

Bruno, c’était bien les vacances ?

C’était bien dépaysant avec un séjour aux Maldives entre deux séjours à Dubaï. Cela m’a fait du bien et je suis rentré dans les Pyrénées, là où je vis, dans un petit village près de Bagnères-de Bigorre.

C’est quand même dingue de faire du vélo auprès des plus beaux cols pyrénéens et de préférer tirer de grands bouts droits ?

Je ne suis pas un grimpeur même si je l’ai été jeune. C’est une question de gabarit. J’ai commencé assez tard, vers 15–16 ans et seulement en VTT pour commencer. À la fin des cadets, je suis passé à la route en prenant une licence à l’AC Bagnères de Bigorre. Non loin du Centre Laurent Fignon qui est aujourd’hui un hôtel pour les cyclistes.

Quel bilan tires-tu de ta première année au sein de l’équipe Groupama-FDJ ?

C’est un bon bilan, même si bien sûr on peut toujours faire mieux. Je suis assez content de moi parce que tout le monde me dit que j’ai fait une bonne saison. J’ai un regret, j’aurais aimé gagner le contre la montre du Tour Poitou-Charentes. Je suis passé près mais j’ai chuté. J’étais à deux secondes d’Arnaud Démare quand je suis tombé. Sinon, je ne m’en suis pas mal sorti, notamment dans le Tour du Pays-Basque ou dans le Critérium du Dauphiné sans être un grimpeur.

Dès le début de saison, dans l’Etoile de Bessèges, il t’a fallu deux étapes pour montrer ce que tu savais faire : rouler et écrémer. Tu as participé aux victoires de Marc Sarreau ?

J’adore rouler, que ça gagne ou pas. C’est mieux quand ça gagne. J’ai fait ça toute la saison et jusqu’en Chine au mois d’octobre où j’ai travaillé en faveur d’Arnaud Démare. Je préfère rouler que d’avoir ma chance. Quand tu es leader, tu ne peux pas te louper. Équipier c’est plus facile niveau pression.

Tu n’as pas peur que cela passe pour un manque d’ambition ?

Aujourd’hui, je n’ai pas la capacité dans la tête d’être un leader. En progressant, dans trois, quatre ou cinq ans, on verra mais aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de jouer la victoire après 200 kilomètres.

Mais si tu gagnes un prologue, ce qui est bien possible, tu seras automatiquement leader ?

Tout dépend du profil des étapes à suivre… Si je porte un maillot de leader un jour, je ne baisserai pas les bras.

Du plaisir dans son métier !

À quel moment de la saison as-tu pris le plus de plaisir ?

Tout le temps ! A Bessèges c’était un bon moment, c’était le début de ma première année pro. On y a remporté deux victoires, les deux premières de l’équipe. Puis il y eut de bonnes courses, notamment dans le Critérium du Dauphiné. Je m’étais échappé pour la première fois en World Tour dans la cinquième étape. Il y a eu aussi le championnat de France gagné par Anthony Roux. J’avais fait une longue échappée avec plusieurs de mes équipiers.

Est-ce facile d’entrer dans ton équipe ?

C’est sans doute plus facile quand tu es stagiaire en fin de saison. En 2017, j’ai fini deuxième du championnat de France contre la montre puis encore deuxième de la course en ligne. Nicolas Boisson a pris contact avec moi pour être stagiaire. J’ai commencé à La Polynormande avec un groupe, puis le Tour de l’Ain avec un autre groupe et notamment Thibaut Pinot pour qui j’ai roulé les deux derniers jours. J’ai enchainé avec le Tour du Limousin puis le Tour de Poitou-Charentes dont j’ai pris la sixième place. Quand on m’a dit que je passais pro, c’était un rêve parce que mon parcours n’a pas été simple. J’avais été viré par l’équipe Armée de Terre en 2016 et j’avais été vraiment déçu. Je m’étais fixé un ou deux ans pour repasser pro. En France, c’est difficile de le faire quand tu as 25 ou 26 ans. J’ai fait tout ce qu’il fallait pour obtenir des résultats. J’ai eu un peu de chance au championnat de France. Puis quand j’étais stagiaire, Vital Concept a fait signer plusieurs coureurs de l’équipe (Kevin Reza, Lorrenzo Manzin, Johan Le Bon, Arnaud Courteille). Ça a fait des places pile au bon moment. Cette année, ça n’aurait pas été possible, je serais passé dans l’équipe Continentale. Romain Seigle aussi. Valentin Madouas, lui, avait déjà signé depuis longtemps.

Bruno a remonté la pente depuis son accident en 2015 !

Quand tu évoques ton parcours difficile, tu parles de ton terrible accident en 2015 ?

En 2014, j’ai été Champion de France du contre la montre U23. Je signe pour l’équipe continentale Armée de Terre. Le 5 janvier 2015, je suis victime à Liévin d’un accident lors d’une sortie d’entraînement avec trois copains. Une voiture venant à contre sens a glissé et m’est rentrée dedans dans un virage. Elle roulait vite. J’ai eu une triple fracture de la rotule. Quand je suis remonté sur le vélo, fin mai 2015, j’étais heureux mais j’ai énormément galéré. J’ai beaucoup roulé pour rattraper le temps perdu mais il ne faut pas faire ça… C’était mes débuts chez les pros, je n’avais pas fait une course. La première a été le championnat de France, fin juin. J’ai fait 50 kilomètres. Mes bonnes sensations sont revenues fin 2016 voire début 2017 quand je suis reparti amateur avec le club de l’Occitane en DN1. J’ai fait beaucoup de rééducation jusqu’à l’hiver dernier. Ça m’a aidé. Pour suivre puis de nouveau faire mal aux autres.

Tu es passé par de gros moments de doute ?

Non, je ne peux pas dire ça. Dès le 5 janvier 2015, je savais que ce serait compliqué mais je me suis interdit d’y penser. J’avais l’espoir d’être chez les pros. Même quand je galérais, je me disais que j’allais y arriver. Je suis comme ça. Mes parents sont agriculteurs, je sais ce que c’est de galérer pour vivre. Gagner ma vie sur le vélo c’est plus facile même en galérant. Avec l’envie, on y arrive. Quand j’ai eu l’accident, tout le monde m’a oublié. L’équipe de l’Armée de Terre, l’équipe de France aussi. J’ai été immobilisé longtemps, j’ai perdu tous mes muscles. J’ai perdu en explosivité et je n’ai pas réussi à la récupérer complètement. J’ai encore des douleurs dans le genou mais j’ai bien avancé.

Groupama-FDJ : l’équipe idéale !

Tu as de grandes qualités de rouleur, est-ce une discipline que tu travailles beaucoup ?

Je fais bien les choses. Tout dépend du programme d’entraînement que me concocte David Han mais je roule sur mon vélo de chrono au minimum une fois par semaine. Ça fait travailler d’autres muscles et notamment les fessiers… Pour répondre à ta question, oui Groupama-FDJ est une équipe sympa. Il est facile de s’y s’intégrer. Si j’étais arrivé au stage de Calpe en décembre dernier si j’avais dû faire connaissance avec les 70 personnes, j’aurais eu du mal à me souvenir de tous les noms mais j’en avais vu pas mal en étant stagiaire. J’avais pris mes marques.

Tu as été surpris par le niveau d’exigence de Groupama-FDJ ?

J’ai été surpris par pas mal de choses. Lors du stage de Calpe, j’ai compris que le vélo de chrono est toujours en développement. On avait fait des tests sur la piste du vélodrome à Valence, pour calculer le CX et l’aérodynamisme. Fred Grappe, Julien Pinot et les autres travaillent beaucoup mais ça ne se voit pas de l’extérieur. Même si les vélos de route étaient bons, ils ont été changés en milieu de saison par de nouveaux vélos plus rigides. Personne ne dort…

Physiquement, tu as progressé en un an ?

J’ai pris de la force. J’espère faire un Grand Tour en 2019. Je ne vais pas le demander puisque je ne vais pas le décider. Si le staff sent que je peux y aller, il me le dira. Cette année, j’ai principalement disputé les épreuves de la Coupe de France et des courses par étapes. J’aimerais découvrir les classiques pour rouler toute la journée mais je ne suis pas un grand frotteur, je n’arrive pas à bien me placer. Tiens encore, il me manque ça aussi pour être un leader, je dépense trop d’énergie à me battre, je me fatigue plus… Il y a encore le souvenir de l’accident, la peur de subir trois ans de blessure. J’ai vu des personnes pour essayer de m’en débarrasser.

Comment s’est passé votre week-end avec les supporteurs puis à Chamrousse pendant deux jours ?

Dimanche matin, on a pris le bus pour aller de Lyon à Chamrousse. L’an dernier on avait été mis à rude épreuve. En descendant du bus, les organisateurs nous ont bien mené en bateau et on s’est dit ‘’Oh la la, on va en baver’’… Ils nous ont fait croire qu’on allait traverser un lac gelé mais on est allé au Spa, on y a passé l’après-midi. Le lendemain on a fait de l’accro-branches, du biathlon en remplaçant le ski de fond par de la course à pied, de l’escalade avant une descente en rappel. C’était les vacances par rapport à l’année dernière.

Il y a eu aussi la traditionnelle soirée d’intégrations des nouveaux coureurs ?

Oui, Stefan Küng a chanté en Suisse Allemand et on n’a rien compris (il rit). Je suis content qu’il soit là, il peut m’apporter beaucoup. J’espère courir un peu avec lui au cours de la saison. Je le connais depuis 2014 et le championnat d’Europe qui s’était disputé à Nyon. Pour le contre la montre, il y avait deux tours. Dans le premier j’ai fait jeu égal avec lui, dans le deuxième j’ai explosé. Lui a gagné et s’est imposé deux jours plus tard dans la course en ligne. Tout est dit.

Tu as repris l’entraînement ?

J’ai repris…demain ! J’avais mis un terme à ma saison après le Tour de Guangxi, fin octobre. J’ai roulé avec nos supporteurs samedi mais je m’entraîne à partir de demain. Chez moi il fait beau, il faisait 18 degrés mardi. Je vais préparer Calpe, bien reprendre pour ne pas trop subir. Ma première course, le 3 février sera le Grand Prix La Marseillaise. Comme en 2018.

Par Gilles Le Roc’h.

Aucun commentaire